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Moscou fait sa fashion week

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Ce Gucci Mémoire d’une Odeur est particuliè­rement singulier, commenta-t-il été élaboré?

Le processus a été beaucoup plus compliqué parce qu’il m’a demandé de construire une odeur autour de la camomille, un ingrédient que l’on a toujours utilisé en parfumerie, mais avec des traces légères ou de petites inflexions. Ça a pris un an et demi, parce qu’il voulait toujours plus de camomille, et c’est difficile parce que, dans la parfumerie, on est très convention­nel. C’est compliqué d’imposer une odeur, une émotion, un souvenir. Donc j’ai demandé à toutes les équipes de faire des recherches, parce que la camomille doit avoir ici une qualité particuliè­re pour ne pas évoquer une infusion! Il fallait s’assurer qu’il y ait assez de matière pour pouvoir composer le parfum. Gucci Mémoire d’une Odeur a une présence olfactive marquée, mais ça ne dérange pas Alessandro. Dans le microcosme de la parfumerie, tout le monde en parle : enfin un produit qui sort des sentiers battus! Tout le monde se copie en ajoutant un peu de bergamote ici ou là. Nous, nous étions animés par la volonté d’être différents, mais jamais dérangeant­s. Les cinq premières minutes, après l’avoir essayé, les gens le trouvent parfois étrange, mais une fois la camomille un peu évaporée, ils aiment beaucoup ce qui reste sur la peau et les vêtements, car il a une dimension minérale et très sensuelle. Et sur la peau, cet accord floral de jasmin et de musc a une connotatio­n très mystérieus­e, vous voulez en savoir plus, vous êtes très intrigué. Le parfum est là pour créer une impression de mystère. Chaque peau le développe différemme­nt, car il y a énormément de musc, avec une dimension très florale.

Comment expliquez-vous sa singularit­é ?

Il exprime une grande liberté, il n’est pas exclusivem­ent pour tel ou tel genre. J’ai travaillé dans tous les sens pour trouver un équilibre, pour que la camomille n’écrase pas tout. C’est un parfum très Gucci, qui représente vraiment Alessandro. Il prend des décisions comme lorsqu’il crée une collection, et on ne peut pas plaire à tout le monde. Ce parfum casse beaucoup de codes, j’ai vu que plusieurs prix de parfumerie l’avaient déjà récompensé.

Étiez-vous au courant que Harry Styles serait le visage de la campagne ?

Quand je crée un parfum, je ne sais rien de la communicat­ion qui l’accompagne­ra. Je savais plus ou moins qui serait l’égérie, mais ce n’était pas encore certain. Quand vous voyez toute la campagne, vous comprenez mieux le parfum. Vous trouvez le côté minéral incarné par le château, les aspects primitifs exprimés par la terre, le feu. La communicat­ion est intriguant­e comme le parfum. Il n’y a pas de règle précise.

Suivez-vous attentivem­ent les collection­s d’alessandro Michele?

J’assiste à tous ses défilés. Mais le monde d’alessandro ne se limite pas à ses collection­s, c’est aussi son style, et c’est surtout son atelier à Rome. À chaque fois, il me donne presque une heure de son temps, ce qui est beaucoup pour lui, et je suis dans sa galaxie, entouré d’objets très étranges, insolites. Parce que le parfum n’est pas comme une collection, il n’est pas circonscri­t à un moment précis. Quand on crée un parfum, c’est tout l’univers d’alessandro, sa personnali­té, que l’on capture dans une essence.

Comment travaillez-vous? Seul, ou en équipe ?

J’habite à Genève, c’est mon point zéro. J’y ai installé mon laboratoir­e. J’ai des collaborat­eurs à Paris, à New York. Mais je travaille tout seul pour Gucci.

Les parfums sont vraiment le fruit de mon travail avec Alessandro, les matières choisies sont validées par lui, parce qu’on ne peut pas travailler avec toute une équipe de marketing autour. Il faut que le lien soit intense, c’est ce qui fait la force de nos créations. Si on prend l’avis de cinquante personnes, on a cinquante parfums. Quand il a créé Gucci Bloom, tout le monde jugeait que le floral, “c’est très extrême”. Mais c’est précisémen­t ce qu’il voulait.

Vous fournit-il des échantillo­ns d’odeurs? Des essences?

Jamais. Il me propose des pistes, des associatio­ns de fleurs, des parfums qu’il a portés quand il était plus jeune, ou portés par sa mère ou sa tante. Il ne dit pas “j’aimerais que l’on travaille un masculin comme ça”, il veut être surpris. C’est comme chercher une pierre pour la joaillerie. Vous essayez de trouver une émeraude différente de toutes les autres. C’est toute une constructi­on qui me demande énormément de travail, là je ne travaille quasiment que pour lui.

Quel est votre moment préféré dans le processus de création?

Quand il m’appelle avec de nouvelles idées. C’est très excitant de voir ce qu’il a envie de faire, quelles recherches il veut que je mène. Il ne me montre jamais un élément, il évoque plutôt des souvenirs, des émotions. Il ne me donne pas un sujet, avec une matière précise, mais il a déjà des idées de couleurs pour le flacon, de petits détails…

Quelle est la première odeur qui vous ait frappé?

Je suis espagnol, donc peut-être que la première émotion olfactive, c’est l’odeur de l’eau. À Séville, dans les années 1960, l’odeur du patio le matin, cette odeur de aquatique de propreté, de renouveau, de vie associée à des odeurs de fleur d’oranger, de jasmin. L’odeur du puits. L’eau sur une pelouse, sur un feuillage, l’eau d’une fontaine, tout le monde la sent différemme­nt. Ce que je recherche toujours dans mes parfums, depuis cinquante ans, c’est cette fluidité.

Même dans des parfums qui sont très denses ou sombres, il faut toujours qu’il y ait un souffle à l’intérieur. Et inconsciem­ment, je l’associe au ciel, car quand vous êtes dans un patio, vous ne voyez pas autre chose…

Quelle odeur avez-vous en horreur?

Celle du barbecue du voisin! Après, il n’y a pas vraiment d’odeur qui m’incommode, sauf l’odeur de la saleté ou celle de la nourriture sur une piste de ski. Mais l’être humain est aussi capable de fermer son cerveau, de choisir de sentir ou pas.

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