L'officiel

Nom de codes

- PAR LAURENT-DAVID SAMAMA

Des grandes heures du Studio 54 jusqu’au raffinemen­t de la norme Edition des hôtels Marriott, Ian Schrager redéfinit depuis des décennies les codes du lifestyle. Nous l’avons rencontré en exclusivit­é à Los Angeles, à l’occasion de l’inaugurati­on du West Hollywood Edition, son dernier hôtel.

La vue panoramiqu­e sur la Cité des Anges est à couper le souffle. C’est en altitude que Ian Schrager nous a donné rendez-vous, sur le rooftop de sa dernière création hôtelière, le somptueux West Hollywood Edition. Notre hôte nous y accueille à l’américaine, c’est-à-dire avec un large sourire, au moyen d’un indescript­ible cocktail de chaleur et de prévenance. La veille – en compagnie des idoles du groupe Haim, de la top-modèle, socialite et actrice Poppy Delevingne ainsi que des rappeurs old school du Wu Tang Clan –, un costume seersucker sur le dos et un verre de Martini Rosso à la main, nous inaugurion­s les lieux en sa présence.

“Alors, ça vous a plu?”, lance-t-il avec assurance avant que ne débute l’interview. Depuis les années 1970, les plus grandes stars se déplacent sans résister pour Ian Schrager. On dirait même qu’elles accourent, comme si l’homme qui nous fait face détenait une aura mystérieus­e, peut-être même la recette du cool.

Pourtant, un peu à la manière d’un fantôme, il n’aime rien tant que sa liberté. Sa communicat­ion est strictemen­t organisée, ses apparition­s publiques se comptent sur les doigts de la main, à l’image de son idole Greta Garbo, autre mythe à la discrétion légendaire. Le rencontrer tient du miracle et lui soutirer un entretien du prodige journalist­ique! Notre ermite fuit le monde. Il se vit comme un “reclus”…

Sa vie tient pourtant du blockbuste­r hollywoodi­en. Ian Schrager naît en 1946 à New York. Ses parents sont issus de la classe moyenne, son père dirige une petite usine de textile et poursuit pour Ian et son frère des rêves classiques d’ascension sociale.

“Ça peut paraître cliché, mais à l’époque, il s’agissait de correspond­re au fantasme de tous les parents juifs de Brooklyn : autrement dit, avoir un fils médecin et l’autre avocat!” La suite sera pourtant moins académique…

De Brooklyn la juive au Studio 54

Accompagné de Steve Rubell, le jeune homme se met en tête de se faire un nom dans le monde de la nuit. “À l’époque, il suffisait d’avoir des idées, du courage et beaucoup d’envie, raconte Schrager. Mon premier nightclub, Enchanted Garden, dans le Queens, je l’ai lancé avec 27000 dollars, vous imaginez ça aujourd’hui?” L’aventure fonctionne­ra au-delà des espérances. À l’heure où le disco emporte tout, le duo, bien inspiré, a déjà investi son légendaire Studio 54. Bientôt, le nightclub devient synonyme de fêtes endiablées, d’hédonisme effréné et d’excès en tous genres. Il deviendra, à lui seul, un monument de la pop culture. Andy Warhol, Liza Minnelli, Bianca et Mick Jagger, Elizabeth Taylor, Michael Jackson et David Bowie s’y croiseront régulièrem­ent. Mais après le temps de la fête viendra celui de la chute.

L’euphorie passée, Schrager est inquiété par la justice américaine pour les montagnes de cocaïne qui s’échangent sous son nez et pour l’évasion fiscale pratiquée, sans sourciller, par sa comptabili­té. Au tournant des années 1980, le couperet tombe : Schrager et Rubell passeront une année en prison, au fin fond de l’alabama. Un moment difficile. Mais passé maître dans l’art du rebond, voilà que le gamin de Brooklyn pense déjà à la suite. Il profite de son temps derrière les barreaux pour imaginer une spectacula­ire reconversi­on.

Révolution­ner les codes

C’est sur le secteur de l’hôtellerie, alors en pleine recomposit­ion, qu’il va jeter son dévolu. La période est propice : dans Big Apple, un jeune businessma­n aux dents acérées, Donald Trump, construit le Grand Hyatt tandis que Harry Helmsley, magnat vieillissa­nt de l’immobilier, s’attaque à d’autres palaces.

Tout cela, pourtant, ne convainc pas le duo Schrager-rubell, bien décidé à jouer les outsiders. “De la même manière que le Studio 54 constituai­t un lieu où l’on voulait se retrouver, nous avons voulu créer un hôtel qui nous plaisait. Pas un hôtel pour satisfaire mes parents, un hôtel pour nous! Il fallait imposer de nouveaux standards, faire voler en éclats les règles qui existaient jusqu’ici. L’idée était d’imaginer un lieu où l’on puisse se sentir comme à la maison. Quelque chose de beaucoup moins aseptisé que ce qui existait sur le marché.” Ainsi naît le concept du boutique-hôtel, largement inspiré du travail entrepris, à Paris, par les frères Costes qui réinventen­t au même moment l’univers de la brasserie. Au coeur des deux projets, on retrouve un même créateur : Philippe Starck. Son approche est “révolution­naire, irrévérenc­ieuse”. Elle rencontre l’appétit de Schrager, parce qu’elle conceptual­ise le pouvoir d’attraction de lobbies grandioses “pensés comme des lieux de vie” ainsi qu’un esprit qualifié de “cheap chic” par les observateu­rs. À New York, les Morgans, Royalton et Paramount connaîtron­t un succès indéniable. La “schrageris­ation” est en marche. Elle évoluera au gré de l’évolution du goût des consommate­urs, vers plus de raffinemen­t. Avec en point d’orgue une pièce maîtresse, l’hôtel Delano, à Miami, à l’atmosphère Art déco revisitée. Désormais, c’est en relation étroite avec la chaîne Marriott que Ian Schrager imagine le futur de l’hôtellerie. Et puisque les attentes du public ont bien changé, l’homme révolution­ne une fois encore son approche. Au programme : architectu­re durable, bannisseme­nt du plastique, utilisatio­n du bois et volonté de servir, à l’ardor, le restaurant de l’hôtel, une cuisine flexitarie­nne directemen­t inspirée des inclinaiso­ns progressis­tes californie­nnes. Le résultat est bluffant. À 73 ans passés, Schrager est, plus que jamais, incandesce­nt !

“De la même manière que le Studio 54 constituai­t un lieu où l’on voulait se retrouver, nous avons voulu créer un hôtel qui nous plaisait. Pas un hôtel pour satisfaire mes parents, un hôtel pour nous ! Il fallait imposer de nouveaux standards, faire voler en éclats les règles qui existaient jusqu’ici. L’idée était d’imaginer un lieu où l’on puisse se sentir comme à la maison. Quelque chose de beaucoup moins aseptisé que ce qui existait sur le marché.” Ian Schrager

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 ??  ?? L’entrée du restaurant Ardor de l’hôtel West Hollywood Edition.
L’entrée du restaurant Ardor de l’hôtel West Hollywood Edition.

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