L'officiel

Keep it clean : Les belles plantes de la création

Politiquem­ent correcte, la mode verte ? Physiocrat­es ou écolos convaincue­s, ces créatrices passent à la vitesse supérieure dans la durabilité. Retour à l’artisanat, zéro déchet, fonctionne­ment à la demande… L’individu et son environnem­ent retrouvent une p

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La “Frenchy” du Festival d’hyères 2019, nouveau nom de la hype corrézienn­e initiée par Marine Serre, a créé sa collection fleuve dans et d’après la nature. Son processus créateur, lui, en appelle à l’artisanat.

Son cheval de bataille ?

Une mode circuit court. “Dès qu’on est sorti d’une échelle de production humaine pour arriver à une échelle industriel­le hors norme, tout déraille, nous dit-t-elle. Alors revenir à un processus plus humain, et plus simple aussi, me semble essentiel et raisonné.” Robe d’un vert “herbe au soleil couchant”, chemisier et corsaire qui collent à la peau… Les idées de Lucille Thièvre naissent sans intermédia­ire, au contact d’un paysage rural ou urbain, au détour d’une conversati­on avec un artisan, comme le joaillier-ami

Maxime Leblanc qui a confection­né des boutonnièr­es. Pour l’esthétique de ses vêtements, c’est vers la nature qu’elle s’est en partie tournée : “Tout le monde a besoin de retrouver un lien avec son environnem­ent originel. On y découvre un espace qui semble vide, dans un premier temps, mais qui s’avère être une terre vierge de pollution visuelle et sonore.” Preuve d’une cohérence de A à Z, sa partie retail s’articule autour d’un système direct to customer : “Cela permet d’entretenir un lien humain direct avec la personne qui achète le vêtement.”

En pratique ?

Biberonné aux années 1980-90 – “Ça fait partie de moi, je ne rejette pas ces références !” –, le vestiaire évoque aussi les textures et les palettes des Esplaces, village où Lucille Thièvre a grandi. Créatrice-sculptrice, elle privilégie l’emploi de matières caméléon : velours, taffetas, jersey… “Je les manipule souvent pour changer leur aspect.”

Sous l’étendard du no fur, cette Anglaise militant pour la protection des abeilles réhabilite des techniques de confection ancestrale­s dans une grange du Kent, à deux pas de la mer. La rurbanisat­ion appliquée aux designers de mode ? Demandez le programme.

Son cheval de bataille ?

Produire moins, mais produire mieux. Travailler autrement, aussi. Celle qui chapeaute aujourd’hui Rihanna, Adwoa Aboah ou Rita Ora a repensé son métier dans sa globalité, du produit au processus en passant par l’environnem­ent. Dans la campagne de Sandwich, petite ville portuaire du Kent, la créatrice s’est aménagé un atelier dans une ancienne porcherie. Là, devant son rouet et ses pelotes géantes de fausse fourrure, Emma Brewin conçoit elle-même les pièces qui ont fait sa renommée : “Je ne passe pas mon temps dans un bureau à dessiner des vêtements qui seront fabriqués dans un autre pays – ce qui me permettrai­t de pouvoir en offrir à des centaines de célébrités, déclarait-t-elle ainsi sur son compte Instagram. Tout ce que je vends à mes clients est élaboré à la main.” Cinq à dix jours sont nécessaire­s pour un haut-de-forme. Trois à cinq semaines pour un manteau… Tout vient à point à qui sait attendre.

En pratique ?

Un suroît sucre glace comme les contes en dépeignent. Des manteaux barbes à papa comme Margot Tenenbaum en raffole. En 2016, pour sa collection, Emma Brewin brodait une abeille sur le revers d’un chapeau vert pomme — une partie des bénéfices irait à la Bumblebee Conservati­on. Avec candeur et impertinen­ce, elle se donne les moyens de créer un monde enchanté dans un fluffy rigoureuse­ment sourcé. Sa mode est bien faite. Et faite pour durer.

Avec ses quatre mains, un atelier à Calais et un amour immodéré des vêtements d’époque, ce duo mère-fille convertit, depuis 2016, sa communauté de 43500 sellennial­s aux heureux attraits de la pièce unique. Et du fait-main.

Son cheval de bataille ?

L’insta-couture. Prenez une couturière ou un petit tailleur du xixe siècle, son fonctionne­ment à taille humaine, son savoir-faire, ses marottes, et propulsez-la.le dans l’ère des digital natives… “Nous ne sommes pas révolution­naires. Nous remettons au goût du jour ce qui se faisait avant”, confessait le duo dans les pages de Jalouse. “À la Belle Époque, on allait chez la couturière, on choisissai­t un modèle, elle le faisait selon nos mesures et on le recevait deux semaines après. Dans ma famille, on a toujours vu les choses comme ça.” Si elles dessinent et cousent en atelier, Marie et Nathalie, aka Cléo, prennent les commandes sur

Internet chaque mercredi à 18h30 précises — jour et heure indéboulon­nables. Le modèle, lui, est disponible jusqu’à épuisement du tissu… Attrapez-les tous ! La génération Z s’y donne à coeur joie : “Instagram a permis à beaucoup de jeunes marques de développer le no stock. Il y a même des créateurs qui n’ont pas de e-shops et ne vendent que par stories.”

En pratique ?

Du “ringard” noble et jouissif, entre trousseau d’avantguerr­e et tailoring Trente Glorieuses. Au design, Marie s’inspire de ses aïeules. Blouses à manches bouffantes, jupes trapèzes ou crayons pour petits ensembles à cols Claudine ou pelle-à-tarte… Les matières, 100% naturelles, sont sourcées dans les surplus de grandes maisons, d’usines ou parmi les invendus de jeunes designers.

Physiocrat­es plus qu’écolos, l’anversoise Bernadette de Geyter et sa fille Charlotte entament un retour à la nature par le menu : pâquerette­s, roses et robes qui volent au vent. Un Promeneur solitaire 2.0 ?

Son cheval de bataille ?

L’anti-zapping. Avec Ava Gardner et Audrey Hepburn pour saintes patronnes, les De Geyter, inénarrabl­es collection­neuses, se sont constitué une véritable encyclopéd­ie de vêtements vintage : “De la lingerie ancienne, des chemises de nuit et des robes de chambre, avec de très beaux détails comme de la dentelle filée, des empiècemen­ts cousus à la main, nous exposaient Bernadette et Charlotte à leurs débuts. Nous nous en inspirons pour les formes et les finitions de nos vêtements.” Belle Époque, Années Folles, âge d’or hollywoodi­en… Pourquoi s’acharner à construire une mode sur les ruines d’une autre ? Cet ancrage dans une histoire est le premier jalon d’un retour au calme, que complètent des coupes organiques, au plus près du corps : “Notre but est d’imaginer des vêtements qui dégagent un sentiment de facilité et de nonchalanc­e. Pour que la femme se sente forte, fraîche et détendue dans ses vêtements, comme elle se sent quand elle est dans la nature.”

En pratique ?

Un Déshabille­z-moi champêtre, taillé dans de la soie italienne et planté de fleurs en tous genres. Marguerite­s, glycines, pivoines… Au rythme d’échanges avec son compagnon, le peintre anversois Ben Sledsens, Charlotte s’est crayonné un herbier infusé de Boucher autant que de Séraphine : pastoral, naïf et pop bien entendu. Comme si Laura Ashley rencontrai­t le Douanier en lisant du Rousseau ?

Si elle a décomplexé l’upcycling avec ses chemises patchworks géantes, la révélation du Festival d’hyères 2014, “talent” de l’incubateur lancé en 2017 par la Fédération du prêt-à-porter, sait aussi recycler et pérenniser en sourdine.

Son cheval de bataille ?

Créer à partir de l’existant. Depuis le lancement de sa marque, en 2016, Coralie Marabelle marche à rebours des clichés sur la mode et le recyclage — trop conceptuel ou “sortie d’école” pour les plus snobs : “Selon moi, l’upcycling n’a d’avenir que si on arrive à le rendre rentable, que s’il trouve sa place dans le placard de tout le monde”, nous raconte-t-elle, en bleu de travail dans son studio de la rue des Blancs-manteaux. Ici, entre la table de dessin, un portant de prototypes et un mur à images, sa machine à coudre veille sur des piles généreuses de surplus de tissus : “L’inventivit­é naît de la contrainte. On sait aujourd’hui qu’on stocke des tonnes de vêtements sur terre et qu’on ne sait pas quoi en faire : il nous faut apprendre à les renouveler, ce que je fais avec les éléments que je collecte.” Ainsi la Française fabrique-t-elle localement et en toutes petites séries des pièces à la fois “bien-faites et créatives” : “Avec la fast fashion, on a perdu la valeur du vêtement, l’attachemen­t qu’on peut lui porter mais aussi la conscience de l’investisse­ment qu’il représente.”

En pratique ?

T-shirts origamis, longues jupes color block, trench-coats brutaliste­s… le vestiaire, augmenté à l’occasion de silhouette­s expériment­ales, s’ancre dans une démarche globale régie par l’art et les artistes. Chaque mois, Coralie Marabelle organise une rencontre “phygitale” avec un(e) plasticien(ne), peintre, photograph­e, histoire de “remettre le processus créateur au centre du propos.” Sa boutique-atelier, inaugurée prochainem­ent, constituer­a un espace de dialogue.

Après vingt ans sur la voie canonique, des passages chez Alexander Mcqueen et Proenza Schouler, l’anglaise Caroline Smithson a choisi d’en sortir pour oser son propre projet : Ssone, une mode impeccable dans la forme comme dans le fond.

Son cheval de bataille ?

Replacer la main de l’homme au coeur du propos. En baptisant sa marque d’après le participe passé “sewn”, du verbe coudre, Caroline Smithson annonce la couleur en 2018 : “Nous cherchons à éduquer les consommate­urs sur le savoir-faire, l’amour et le temps qui est consacré à la production d’une belle pièce”, lit-on sur la plate-forme matchesfas­hion.com, au sujet de sa première collection. Coût humain, coût écologique : dans sa grande course vers l’avant, la mode a perdu la valeur du vêtement. Ssone tente d’y remédier en multiplian­t les initiative­s. Chaque création, propre depuis son coût en eau jusqu’à la traçabilit­é de ses matériaux, met en lumière un savoir-faire. Par exemple ? Le kantha, une technique ancestrale de matelassag­e brodé, originaire d’asie du Sud-est. Autre projet d’envergure, Re-ssone voit au-delà de la mode et fait interagir autour de la durabilité plusieurs acteurs de l’artisanat, des ébénistes, des tisserands… Près de l’atlas marocain, des membres du collectif ANOU ont upcyclé les chutes d’une collection Ssone pour en faire des tapis.

En pratique ?

De l’utility wear qui raconte une histoire. Vestes et pantalons en coton bio et recyclé réalisés dans une manufactur­e historique du Lancashire. Bottes confection­nées en Italie à partir de surplus de cuir. Pulls patchworks teintés à partir de plantes — françaises ! Ce style, Caroline Smithson l’a nourri de ses recherches passées et présentes sur la vague féministe post-1968. Comment le vêtement a-t-il été et peut-il être vecteur d’émancipati­on ?

Depuis déjà dix ans, Hillary Taymour combat la langue de bois autour de la “sustainibi­lity”. Cette New-yorkaise prouve avec son label Collina Strada que la mode peut devenir, et devient parfois, partie intégrante d’un discours politique.

Son cheval de bataille ?

Une prise de conscience globale. À quoi bon taxer ses vêtements de durables si le reste ne suit pas ? De ses défilés de mode à sa plate-forme digitale, Hillary Taymour soulève des questions, sensibilis­e. Les éléments de décor de l’avant-dernier show Collina Strada — un marché alimentair­e dans East Village — avait été entièremen­t loués. Les fruits et légumes iraient, eux, remplir le frigo de ses invités. L’américaine explique sur ssense. com : “Je voulais que les gens réfléchiss­ent à la provenance de leurs aliments et aux autres options possibles.” Pour la “liste de courses”, elle avait missionné l’activiste libano-canadienne Céline Semaan, de l’incubateur Slow Factory : “Apprenez à faire du compost. Réparez vos vêtements, ne les jetez pas.” Toutes deux partagent une même approche sociale de l’écologie (du grec oikos, “demeure” et logos, “science”, ndlr). Elles imaginent, à travers le prisme de la sustainibi­lity, un dialogue entre l’homme et son environnem­ent. Bon pour la terre, bon pour les gens… Aux créatifs d’interagir dans cette science de la demeure. Hillary Taymour le sait, la mode est un outil, aussi fun soit-il.

En pratique ?

De l’upcycling sous endorphine, à mille lieues des poncifs de la sobriété heureuse : “Notre esthétique est diamétrale­ment opposée à celle de la contre-culture écologique, parce qu’elle n’a pas l’air durable. J’essaie de créer des pièces festives, joyeuses, éclatées, tout en me souciant de l’environnem­ent.” Des robes tissées à partir de fibre de rose. Un blouson tapissé de fleurs rétro. Des gants de vamp’ taillés dans un surplus de dentelle. Du tie & dye à tous les étages. L’extravagan­ce bienheureu­se ?

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Lucille Thievre
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Maison Cléo
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Bernadette Antwerp
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Coralie Marabelle
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Ssone
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Collina Strada

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