L'officiel

GAIA & LORENZO

Aussi à l’aise dans les répertoire­s symphoniqu­es que lyriques, LE CHEF D’ORCHESTRE SUISSE LORENZO VIOTTI, CURIEUX DE TOUT, POSE ICI EN COMPAGNIE DE L’ACTRICE GAIA WEISS.

- Interview BAPTISTE PIÉGAY Photograph­ie SONIA SIEFF Stlylisme JULIE DE LIBRAN

interview baptiste Piégay stylisme Julie DE libran Photograph­ie sonia sieff

L’OFFICIEL : À quand remontent vos premiers souvenirs de musique ? LORENZO VIOTTI : Très jeune, vers 5 ans, j’ai assisté à une représenta­tion de Simon Boccanegra de Verdi, un choc incroyable qui tenait aussi au fait que je voyais pour la première fois quelqu’un mourir sur scène, pour le retrouver vivant en coulisses ! J’étais fasciné par le monde du théâtre et la possibilit­é de jouer ainsi avec le drame, la vie, la mort…

L’O : Quelle a été votre formation ? LV : J’ai commencé par la percussion et la batterie, à 9 ans. Cette pratique m’a permis d’intégrer des orchestres, à Vienne, et de découvrir l’autre versant du travail d’orchestre. En tant que percussion­niste, on est installé au dernier rang de l’orchestre, et on a peu de contact avec le chef d’orchestre. Ce n’est en effet pas un instrument typique pour un chef, mais la dissociati­on des bras, la liberté corporelle apportent beaucoup lorsqu’on doit diriger, ainsi que le sens du rythme, du tempo, qui est essentiel. Je suis aussi fan de hip-hop, de funk, de soul, de jazz… J’ai beaucoup joué dans des groupes, et je continue à le faire, et cela m’a apporté une autre palette sonore, de stabilité, de rythme, de couleur, un rapport différent au tempo. Ce n’est pas sans doute pas très classique, mais c’était une formation importante. Cela m’arrive encore de jouer de la batterie sur scène, notamment des oeuvres de Bernstein, tout en dirigeant.

L’O : Comment expliqueri­ez-vous le rôle d’un chef d’orchestre à quelqu’un qui en ignore tout ? LV : C’est un peu un coach d’équipe de football participan­t à la Ligue des Champions, qui devrait entraîner une équipe différente chaque semaine, dont il faut gagner la confiance en très peu de temps. Sauf qu’à la place de onze joueurs, il y a cent personnes! C’est un métier sans règle. Il n’y a pas de

compétitio­n à gagner, mais des coeurs. Pour que votre émotion se transmette au public. Le chef d’orchestre est le pont entre la scène et le public, nos gestes ont un impact sur le son, qui permettra à l’orchestre de transmettr­e des émotions, ou pas…

L’O : Avant la mise en place d’une nouvelle interpréta­tion d’un opéra, écoutez-vous le travail des chefs d’orchestre qui l’ont déjà dirigé? LV : Pendant mon enfance et mon adolescenc­e, j’ai écouté beaucoup d’opéras, pour m’intéresser aux différents styles, les avoir dans l’oreille. Je n’éprouve ni peur ni pression lorsque j’accepte de diriger une grande oeuvre. Si j’ai accepté, c’est que je suis sûr d’avoir une vision singulière et qu’elle m’attire. Il y a des oeuvres que je ne suis pas prêt à diriger, peut-être parce que je n’ai pas encore la maturité nécessaire pour les défendre et apporter une lecture émotionnel­le au public qui me serait propre. Certains opéras, comme d’offenbach, sur fond mythologiq­ue ou héroïque, ne m’attirent pas encore. Comme elles n’attirent pas certaines génération­s plus jeunes, car il y a trop de décalage entre elles et les thèmes, qui sont parfois absolument inintéress­ants. Je comprends pourquoi il y a plus d’inclinatio­n pour le travail de Benjamin Britten, à l’image de son Peter Grimes, même s’il est plus complexe acoustique­ment, parce que ses thèmes sont plus proches de nous, il parle de communauté, de rejet, d’acceptatio­n. Alors que si vous faites une mise en scène d’aïda de Verdi, avec des éléphants sur scène, quel intérêt ? Aïda peut être magnifique, mais pas dans ce contexte. PAGES PRÉCÉDENTE­S, LORENZO : Trench, HUSBANDS. Pull, PRADA. Pantalon, HERMÈS. GAIA : Robe manteau et robe chemise, JULIE DE LIBRAN. Legging, JULIE DE LIBRAN X ERES. Sac, CELINE PAR HEDI SLIMANE. PAGE DE GAUCHE, LORENZO : Pull, HERMÈS. Montre, OMEGA. GAIA : Body, HERMÈS. Body, HERMÈS. Bracelet, JULIE DE LIBRAN X GOOSSENS. LDOREERN;ZOCO: Cllahneam"istaen, VGAOL" EINNTOIRNO­OR.OGSAAIA Rdoibaem,ajnutli,iepodme ELLIBLRATA­ON.. POMELLATO.

L’O : Jusqu’où la scénograph­ie peut-elle influer sur votre travail ? LV : C’est extrêmemen­t important. Je porte de l’attention à tout : aux lumières, au jeu des acteurs, aux costumes… Je questionne beaucoup le metteur en scène pour organiser la rencontre entre nos deux visions de l’oeuvre. Et j’essaie parfois de provoquer des chocs scéniques. S’il n’y a pas cet échange, c’est malheureux. À cet égard, j’ai eu pour l’instant beaucoup de chance. C’est aussi une problémati­que psychologi­que et humaine : comment aborder une oeuvre tout en préservant la liberté du scénograph­e ?

L’O : Vous préparez un Faust pour l ’Opéra de Paris. Quel est le moment le plus délicat dans la mise en place d’une nouvelle interpréta­tion ? LV : Travailler avec beaucoup d’individus, c’est composer avec leur personnali­té musicale, leurs idées et leur ego. Le point délicat tient à la psychologi­e. Le processus entier est fragile. Si la tension est productive, c’est merveilleu­x. Mais si un(e)tel(le) se comporte comme une diva, je n’ai plus aucun respect.

L’O : Quand vous réfléchiss­ez en amont d’une interpréta­tion, vous travaillez sur les timbres, les couleurs, les textures, etc. ? LV : C’est un ensemble. Toutes les techniques sont possibles. J’essaie d’abord de trouver le côté musical. Dans un opéra, chaque note sous-entend un mot. On ne peut pas parler juste de technique avec les musiciens, il faut aussi parler du caractère d’un passage, de la poésie d’une phrase, de l’érotisme d’une ligne. Il n’y a pas de règles définies. Il faut avoir une richesse d’imaginatio­n et rester un peu un enfant, continuer à rêver pour faire rêver le public.

L’O : Est-ce que l’absence du public change votre direction? LV : Non, même s’il s’agit d’un art vivant. Mais en Europe, on a tellement de chance, par rapport à nos collègues aux États-unis, qui n’ont plus de travail du tout depuis un an. Je ne vais pas m’arrêter de me battre pour mon art, même si l’on ne sent plus la présence, le souffle du public.

L’O : Quels autres arts vous influencen­t ? LV : Tous! Pour moi, l’opéra, c’est la rencontre de toutes les pratiques artistique­s : la poésie, donc le livret, la mode, donc les costumes, la scénograph­ie, qui renvoie bien sûr à la peinture dans son rapport à la lumière, à la compositio­n…

L’O : À partir de quand vous êtes-vous senti prêt à servir aussi bien le répertoire symphoniqu­e que lyrique ? LV : C’est un équilibre essentiel. Je dirige trois opéras par an, sinon, je dirige des oeuvres symphoniqu­es. Parfois, j’ai pu avoir envie d’arrêter l’opéra, au vu du manque de créativité des institutio­ns culturelle­s. Je vais bien sûr continuer mais selon mes conditions. En Europe, les grandes institutio­ns musicales devraient enrichir leurs propositio­ns envers la nouvelle génération. Cela ne passe pas seulement par le streaming. Il faut rendre ces grandes maisons plus accueillan­tes. Le chef d’orchestre n’est pas uniquement le type en costume qui gesticule de dos, il doit être le porteur d’un message, d’une soirée, d’une institutio­n. Il faut tendre la main au public, l’inviter par exemple aux répétition­s, montrer un peu de soi, comme je le fais sur les réseaux sociaux. L’opéra et le monde symphoniqu­e sont des univers merveilleu­x.

L’O : Quel est votre rapport à la mode ? LV : La mode et la musique classique ont un point commun : on fait un art du passé, en restant dans le présent, tout en anticipant l’avenir! Je me sens proche de la Maison Armani, de la classe de ses vêtements, de l’humilité de Monsieur Armani. J’adore l’horlogerie aussi, particuliè­rement la Maison Omega, qui estime que chaque participan­t à la création est essentiel. PAGE DE GAUCHE, LORENZO : Caban et col roulé, DIOR. Pantalon, BERLUTI. GAIA : Combinaiso­n, SAINT LAURENT PAR ANTHONY VACCARELLO. CI-DESSUS, LORENZO : Veste, chemise et pantalon, PRADA. Montre, OMEGA. GAIA : Pull et sac, CHANEL. Jean, CELINE PAR HEDI SLIMANE. Bague, JULIE DE LIBRAN X GOOSSENS.

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