L'officiel

GROWING UP ANDRA DAY

À l’écran, la chanteuse a fait connaître Billie Holiday à une nouvelle génération de fans. Mais celle qui a remporté le Golden Globe a d’autres histoires à raconter.

- texte Gwen thompkins stylisme laura ferrara Photograph­ie alexi lubomirski

“JE faisais LES PIRES TRUCS À L’ADOLESCENC­E. J’AI EU UNE période OÙ JE piquais LA VOITURE DE MA mère ET JE partais ME BALADER AVEC.”

Andra Day n’est pas Billie Holiday, sauf quand elle le veut bien. Et, dernièreme­nt, c’était le cas. Pendant toute la saison des récompense­s, c’est la chanteuse de jazz qu’elle incarne dans Billie Holiday – Une affaire d’état, de Lee Daniels qu’on croyait voir en personne sur les tapis rouges. Pour sa chanson Tigress & Tweed, Andra s’est inspirée des parfums favoris de la diva. Son nom de scène même fait écho à son surnom, Lady Day. Elle peut chanter comme Holiday, briller comme Holiday, être une grande gueule comme elle, aussi. Et quand elle se glisse dans ses chaussures, elle nous console un peu de la mort de Billie.

La plupart du temps, cependant, Andra est quelqu’un d’autre. Une femme de 36 ans, avec un autre nom et une famille qui l’aime, à la franchise vivifiante, éparpillée tout le long de la côte Ouest. Cassandra Monique Batie, comme son père l’a appelée, est une enfant de la Californie du Sud; une fille cadette à la répartie facile qui a grandi dans le sud-est de San Diego, où vit la majeure partie de la population noire de la ville. La famille Batie a emménagé ici pour travailler avec ou autour de l’immense flotte pacifique de la marine. Les gens du coin sont des marins, comme son père, qui a le grade de Master Chief, ou des Marines. Pourtant, Paradise Hills est le coin de San Diego le plus loin de l’océan. Il est plus proche de Tijuana, au Mexique, ce qui explique peut-être que Cassandra parle si bien espagnol, qu’elle connaisse par coeur les menus de restaurant­s à tacos et soit apparue récemment sur l’album du rappeur de San Diego Ryan Anthony, Barely See the Beach 3.

“C’est quoi, Grace et Frankie?”, demande Andra quand elle entend le titre de cette série de Netflix avec Jane Fonda et Lily Tomlin, qui se passe dans une maison sur la côte, juste au nord d’où elle a grandi. Pour des gosses de Paradise Hills, certaines parties plus blanches de la ville pourraient aussi bien être le Pays imaginaire. “Il faut que je jette un coup d’oeil.” L’inspiratio­n des voisins d’andra à San Diego, et plus au sud à Chula Vista, vient plutôt d’au-delà de la frontière, où la culture et l’esthétique résonnent profondéme­nt avec la forte population mexicaine et mexicano-américaine. Pas étonnant que, en 2015, Andra soit apparue à son Tiny Desk Concert (une session intimiste sur la radio publique NPR) comme le croisement improbable d’une Vénus du barrio et de Rosie la riveteuse. Foulard jaune noué autour de son chignon bouffant, pince à cheveux vert pétant retenant sa frange cuivrée, elle portait d’immense créoles en or, des bracelets indiens, des bagues, une écharpe léopard, un pull blanc et un pantalon palazzo imprimé évoquant piña coladas et brises tropicales.

Le natif de la Nouvelle-orléans Danny Barker, lauréat du Jazz Master décerné par le National Endowment for the Arts, disait souvent que le public écoute d’abord avec ses yeux. Ce jour-là, les auditeurs ont entendu ses ongles manucurés plus longs que ceux de Barbra Streisand, son mascara à la Eartha Kitt, son rouge à lèvres à la Sade. En d’autres mots, ils ont vu exactement ce qu’andra voulait leur montrer : la fille délurée du quartier qui a réussi. “Je fais ça pour les nanas du quartier, explique-t-elle. Et ce n’est pas seulement parce que j’en viens. C’est une attitude, un truc de fille, du genre ‘OK, peut-être que je suis fauchée, que je galère, que c’est dur émotionnel­lement, mais crois-moi que mes baby hair sont stylés, ma queue de cheval impeccable, mes boucles d’oreilles en place, mon make-up bien épais, mes cils bien longs, mes talons au point’. Parce que ça te remonte le moral. Parfois, c’est juste le petit boost de confiance dont tu avais besoin.”

La voix d’andra Day est dynamique et rauque, mi-chanteuse réaliste mi-gueuleuse d’hymne national, mâtinée de vocaliste de jazz laidback. “Le ton ambré de sa voix a bien des similitude­s avec celui de Billie Holiday”, dit Howard Reich, critique de jazz historique du Chicago Tribune, qui qualifie les envolées vocales d’andra d’“éloquentes”. Le fait qu’elle se glisse si facilement dans le timbre de Billie peut faire oublier qu’elle parle tout aussi couramment le langage des autres soeurs célestes du jazz, parmi lesquelles Ella Fitzgerald, Dinah Washington, Sarah Vaughan, Lena Horne et Nina Simone – des femmes du xxe siècle dont l’oeuvre est familière à qui se penche sérieuseme­nt sur la musique américaine.

“À l ’ église, on dit ‘ étudiez pour recevoir l ’approbatio­n’, explique Quiana Lynell, lauréate en 2017 du concours internatio­nal Sarah Vaughan de jazz vocal. Dans le jazz, vous devez montrer que vous avez fait vos devoirs pour être adoubé par tout le monde – les tourneurs, les agents et les musiciens avec lesquels vous pourriez être amené à travailler. Les instrument­istes ont le droit d’explorer. Les vocalistes, beaucoup moins.” Il faudrait surtout que les Fitzgerald, Washington, Vaughan et autres se taisent enfin. Le plus grand obstacle pour n’importe quel chanteur, finalement, est de trouver un son unique. Dans son périmètre recouvrant le jazz, le R’N’B, la pop et le hip-hop, Andra Day se doit de sonner comme Andra Day ou, plus précisémen­t, comme Cassandra Batie.

Chez les Batie, on a probableme­nt le talent dans les veines, mais c’est difficile à prouver en dehors de la First United Methodist Church de Chula Vista. C’est là que la famille se rendait à la messe et où la mère d’andra, Delia – alias Missy –, a travaillé pendant longtemps comme gardienne, avant d’en devenir la gestionnai­re. “Ma mère a une voix magnifique, mais on ne l’entend jamais, elle est si timide”, dit Andra, ajoutant que son père est aussi un excellent chanteur. Ses parents se sont séparés quand elle avait 17 ans. Son plus jeune frère, Jaxon, est allé au même lycée artistique qu’elle. Il en est parti avant de terminer ses études, mais est toujours

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France