IN THE MOOD FOR HANNES PEER
Depuis sa création en 2009, son agence d’architecture est l’une des plus courues d’italie, et bien au-delà, grâce à la vision que Hannes Peer a du design, qui se doit d’être un lieu de rencontre entre passé et contemporain.
Si son nom trahit ses origines autrichiennes, c’est à Milan que Hannes Peer a été formé avant de partir faire son apprentissage aux quatre coins du monde. Il y revient fonder sa propre agence d’architecture à la fin des années 2000. À son actif, le design de résidences privées comme d’espaces commerciaux, et plusieurs pièces destinées à devenir des classiques. Parmi elles : la collection Paesaggio pour SEM (un fauteuil Nuvola, une console Butterfly, une lampe Petali), l’impressionnant plafonnier Mobile, en alu, acier et silicium, ou le bien-nommé Paysage, un plafond composé de rectangles de verre suspendus. De quoi entrer dans le top 100 de l’architectural Digest France. Sa patte? L’éclectisme, quelque part entre industriel et artisanat. Des couleurs, des matières, des intentions. Un refus de se ranger dans une seule et même catégorie. Dans ses propositions, on note aussi bien l’influence du mouvement Fluxus que du brutalisme ou de Le Corbusier en passant par Agostino Bonalumi… ce qui rompt avec le sacrosaint académisme italien! “En Italie, les contraintes académiques sont très importantes, confirme-t-il. Mais j’ai jugé qu’il fallait s’en affranchir. Mélanger les styles sans avoir peur de briser les frontières. L’affirmation de ce mélange entre traditionnel et contemporain, entre des textures comme le bois, le béton, l’acier, la soie, le velours, c’est le fil rouge de mon travail, ma signature. En Italie, il y a beaucoup d’architectes, et la concurrence est rude. Il faut donc se distinguer et refuser toute tiédeur.”
Une forte personnalité se ressent donc dans les créations de Hannes Peer tout comme dans son parcours, très affirmé depuis sa plus tendre enfance : “J’ai officiellement pris la décision d’être architecte quand j’avais 10 ans !, raconte-t-il. Ma mère étant artiste, elle m’emmenait souvent avec elle dans les musées et les galeries, elle m’a initié au dessin dès mes 3 ans… Mais je ne voulais pas l’imiter car je la voyais se battre face à un quotidien éprouvant, tant du point de vue des finances que de l’inspiration. Je préférais étudier quelque chose qui me permettrait à la fois d’être créatif et de gagner ma vie normalement, d’avoir un métier plus structuré.” Après le bac, ce féru de mathématiques intègre l’école polytechnique de Milan. Puis il fait ses armes chez les plus grands, Rem Koolhaas à Rotterdam, Zvi Hecker à Berlin, puis part à New York, en Argentine… Son expérience auprès de Koolhaas est la plus déterminante de toutes. “Il n’est jamais satisfait! commente Hannes Peer. Il veut toujours plus. Après avoir travaillé pour lui, j’ai décidé de créer ma propre écriture architecturale, en sachant que ça allait me demander beaucoup de temps et d’investissement. Et j’ai commencé à me concentrer sur le lieu où je vivais.” En l’occurrence Milan, dont il apprécie particulièrement la période des années 60-70, tout en étudiant des personnalités cruciales de l’architecture italienne comme Carlo Mollino ou Gio Ponti. Ce qu’il préfère dans son métier? “Les recherches, inlassables. Et le lien quasi affectif à la maison ou l’appartement de ceux pour qui on travaille. On se plonge littéralement dans la vie des gens, l’intimité d’une famille ou d’un couple. On doit comprendre qui ils sont pour mieux servir leur intérieur, et on apprend ainsi à les aimer.” Comme il aime ses étudiants, à qui il donne cours de longues heures par semaine, leur transmettant le goût des recherches, des moodboards et des croquis à foison. Cet amour de l’enseignement, il le partage avec son maître à penser, l’artiste allemand Joseph Beuys (1921-1986) : “Il est le père conceptuel que je n’ai jamais eu. Il a créé le concept des sculptures sociales, comme il les appelait, il jouait sur la provocation, la politique également. D’après Beuys, tout le monde pouvait s’intéresser à l’art. Tous les jours, il partageait son savoir. Comme lui je crois beaucoup aux valeurs de l’enseignement.”
Son statut de professeur lui a permis d’être récemment vacciné contre la Covid-19, ce dont il se réjouit : “J’ai hâte de revenir à la normalité, de serrer les gens dans mes bras. Les contacts humains me manquent terriblement.” Cependant, malgré la crise sanitaire, Hannes Peer travaille. Beaucoup. En effet, les sollicitations autour de projets résidentiels ont explosé : “Il était temps! Les Italiens sont connus pour ne pas se soucier de leur maison car ils vivent longtemps chez leurs parents…, mais lorsqu’ils se réveillent, ils sont pleins d’exigences!” En revanche, son travail concernant le retail a drastiquement diminué. Ce qui nous amène à parler du tout premier projet de son agence, pour le fantasque styliste Alessandro Dell’acqua : “Cela a été mon premier projet galvanisant. Alessandro voulait un résultat optimal avec un minuscule budget et on a réussi à faire s’envoler un concept. Ça a été mon premier vrai client, il l’est toujours…” Depuis, tout s’est enchaîné : des collaborations avec Maison Prada, Numéro 1, le flagship Iceberg, SEM, la Blend Gallery de Rome et, en ce moment même, la marque parisienne La Chance, fondée par
Louise Bréguet et Jean-baptiste Souletie. Une table, nous confiet-il sans nous en dire plus, mais visiblement très enthousiasmé…
Lorsqu’enfin on l’interroge sur les qualités que doit absolument posséder un bel intérieur, Hannes Peer brille par la brute sincérité de sa réponse : “Se sentir chez soi. Être à son aise. Il ne faut surtout pas chercher à ce que son salon soit la copie conforme d’une page d’un catalogue, sans identité, sans chaleur. Il faut que le lieu où l’on vit nous ressemble. On parle beaucoup de minimalisme mais cela n’a pas toujours du sens. Si une pièce est remplie d’objets qui nous tiennent à coeur, on la garde comme elle est – à moins de suffoquer. C’est donc une question d’équilibre et de contrastes. Chez moi, j’ai une table d’un designer brésilien, Sergio Rodrigues, des appliques de Poliarte, mais aussi un tabouret africain… c’est un peu rock’n’roll, comme moi !”
“IL NE FAUT surtout PAS CHERCHER À CE QUE SON salon SOIT LA COPIE conforme D’UNE page D’UN CATALOGUE, SANS IDENTITÉ, SANS chaleur. IL faut QUE LE LIEU OÙ L’ON VIT NOUS RESSEMBLE.”