L'officiel

SEVENTIES STYLE SELON ST. VINCENT

Inspirée par le New York du début des années 1970, des bas-fonds aux soirées glam, ST. VINCENT signe un nouvel album au groove irrésistib­le. Entretien avec la reine du rock arty.

- texte noémie lecoq

Pour accompagne­r son nouvel album et en expliquer la genèse, Annie Clark, alias St. Vincent, a élaboré un petit comic book à l’ancienne, au dessin granuleux et aux couleurs acidulées. Tout s’enracine en 2010, quand son père se fait incarcérer suite à des manipulati­ons boursières – un choc que la chanteuse exorcisera en écrivant Strange Mercy, son troisième album, sorti l’année suivante. Tandis qu’elle devient une figure omniprésen­te de la scène rock américaine, son père collection­ne fièrement les coupures de presse qui la concernent depuis sa cellule texane.

“L’ESTHÉTIQUE était CELLE D’UNE FEMME glamour QUI N’A PAS FERMÉ L’OEIL DEPUIS TROIS JOURS. À PREMIÈRE vue, ON SE DIT QU’ELLE EST jolie, MAIS À Y REGARDER DE PLUS PRÈS ON SE rend COMPTE QUE SON MASCARA A COULÉ ET QUE SES ONGLES SONT CASSÉS ET SALES.”

L’histoire condense en quelques cases les neuf années pendant lesquelles “daddy” purge sa peine. Annie va lui rendre visite, se fait refouler à l’entrée quand ses vêtements sont trop moulants, lui envoie des romans… Enfin, il retrouve la liberté en 2019 et l’album Daddy’s Home commence à prendre forme dans l’esprit de la musicienne, influencée par les vinyles que son père lui passait en boucle quand elle était petite. Héritée des sonorités de la première moitié des seventies, cette ambiance à la fois lascive et effervesce­nte impression­ne dès le tout premier extrait dévoilé, le sublime single Pay Your Way in Pain.

Lorsqu’elle nous rejoint sur Zoom depuis Los Angeles, St. Vincent répète avec ses musiciens en vue d’une performanc­e à l’émission culte Saturday Night Live. “Le déclic est venu au moment où j’ai enregistré la chanson At the Holiday Party. J’étais avec mon ami Jack Antonoff (qui a coproduit Daddy’s Home avec elle, ndlr) au studio Electric Lady, et j’ai tout de suite su qu’on avait trouvé l’atmosphère du disque, qui ressemble à ce qu’on peut entendre sur les albums new-yorkais fabriqués entre 1971 et 1976. J’ai d’ailleurs l’impression qu’on traverse une époque similaire en ce moment : une révolte culturelle, un certain désenchant­ement, une incertitud­e économique… Cette époque difficile a vu naître des musiques géniales ! On s’est beaucoup amusés en studio. Chacune de ces nouvelles chansons dresse le portrait de personnage­s imparfaits qui font de leur mieux pour s’en sortir.” Alors que certaines de ses oeuvres précédente­s assumaient leurs effets spéciaux et leur complexité sonore, Daddy’s Home séduit par son immédiatet­é, ses rythmes contagieux et ses mélodies enivrantes. Une simplicité teintée de sophistica­tion qui en fait l’un des sommets de sa carrière. “J’ai réalisé cet album entre l’automne 2019 et la fin 2020, mais la pandémie mondiale n’ a pas vraiment eu d’ impact sur ma façon de travailler. J’ai eu davantage de temps pour m’y consacrer sans être interrompu­e.” Sur The Melting of the Sun, cette trentenair­e féministe rend hommage aux artistes féminines qui ont compté pour elle : musicienne­s, actrices ou écrivaines envers qui l’industrie a parfois été impitoyabl­e. “Je voulais simplement dire merci à Joan Didion, Joni Mitchell, Nina Simone, Tori Amos ou encore Marilyn Monroe pour ce qu’elles ont fait, pour leur courage et leur force. Elles m’ont rendu la vie plus simple et j’espère prolonger ce processus pour la génération suivante.” Placée vers la fin de l’album, la chanson Candy Darling est également une évocation émouvante de l’icône new-yorkaise transgenre, muse d’andy Warhol.

St. Vincent a fait ses débuts au sein de plusieurs groupes, à l’aube du xxie siècle. Elle a d’abord accompagné The Polyphonic Spree, puis Sufjan Stevens, avant de se lancer en solo. Son indépendan­ce ne l’empêche pas d’apprécier les collaborat­ions. En 2012, elle a ainsi façonné l’album Love This Giant en duo avec le mythique David Byrne, ex-leader des Talking Heads. Il y a quelques années, c’est à la rubrique people des tabloïds qu’on la croisait parfois, quand elle était en couple avec Kristen Stewart ou Cara Delevingne, mais elle a depuis retrouvé le respect de sa vie privée et une aura de mystère. Elle continue d’apparaître dans les pages mode et d’assister à de nombreux défilés. “Les vêtements me donnent de l’énergie, explique-t-elle. Ils m’aident aussi à raconter une histoire. J’ai grandi à l’époque de Nirvana et du mouvement grunge qui se caractéris­ait par son désintérêt de la mode. Les groupes arrivaient sur scène dans les mêmes vêtements qu’ils portaient la veille. De façon assez ironique, les gens se sont mis à copier cette attitude, et c’est devenu une mode en soi. J’admirais le look de Madonna, Björk, Marc Bolan et Kathleen Hanna de Bikini Kill. Avec ce nouvel album, j’avais vraiment envie de revenir à des costumes des seventies et aux robes façon nuisettes. L’esthétique était celle d’une femme glamour qui n’a pas fermé l’oeil depuis trois jours. À première vue, on se dit qu’elle est jolie, mais à y regarder de plus près on se rend compte que son mascara a coulé et que ses ongles sont cassés et sales. J’avais en tête des héroïnes blondes pas si lisses que ça.” Sur la pochette en noir et blanc, à côté de la typo elle aussi très seventies, Annie incarne tout à fait cette idée. Métamorpho­sée, elle a troqué sa chevelure brune habituelle pour un carré blond et une frange longue. Sous sa nuisette et sa veste en fausse fourrure blanche, on remarque que l’un de ses bas est filé. Calée dans un fauteuil, elle nous fixe, un discret sourire aux lèvres. Impériale et épanouie, tout comme ce nouvel album.

Album Daddy’s Home (Caroline), sortie le 14 mai.

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