L'officiel

QUAND CHANEL NO5 INSPIRE LA HAUTE JOAILLERIE

- texte hervé Dewintre

Patrice Leguéreau, directeur du studio de la création joaillerie de Chanel, a accepté de nous présenter personnell­ement sa nouvelle collection entièremen­t dédiée au parfum No5 qui fête ses 100 ans cette année. 123 pièces extraordin­aires célébrant l’éternelle modernité du parfum le plus célèbre de la planète. Une leçon de style à fleur de peau.

Signe des temps, la rencontre s’est faite par Zoom. Gabrielle Chanel n’aurait pas désavoué cette utilisatio­n des nouvelles technologi­es. Rappelons que la créatrice, à la grande surprise de ses contempora­ins, avait défié les convention­s, grâce au soutien et au talent d’ernest Beaux, en mélangeant des ingrédient­s naturels et synthétiqu­es pour composer sa première fragrance, un “parfum de femme à odeur de femme”, sans note dominante. Ce parfum incopiable qui imposa un vocabulair­e nouveau, ce parfum à dénominati­on de laboratoir­e, “artificiel comme une robe”, lancé le 5 du cinquième mois de l’année, c’était le No5, créé en 1921. Une époque de rupture qui avait soif d’innovation, d’avant-gardisme. Pour célébrer le premier siècle d’existence du parfum le plus vendu au monde, Patrice Leguéreau a accepté de prendre la parole.

Un geste rare car, tient-t-il à souligner en préambule, “la haute joaillerie est le fruit d’un travail éminemment collectif”. Cette prise de parole correspond à la présentati­on d’une collection de haute joaillerie entièremen­t dédiée au No5. Une démarche sans précédent : jamais une fragrance n’avait inspiré une telle myriade de pièces architectu­rées et fluides, constellée­s de gemmes rares, réunies par des savoir-faire virtuoses. Patrice Leguéreau nous indique qu’il a imaginé cet ensemble en s’imprégnant quotidienn­ement de ce jus mythique, devenu au fil des décennies un objet de culture à part entière. Une habitude avec laquelle il a renoué pour préparer cette discussion. La petite bouteille d’inspiratio­n cubiste est toujours sur son bureau. Une interview certes virtuelle, mais placée sous l’aura d’un sillage précieux.

Comment pourrions-nous vous présenter en quelques mots ?

L’OFFICIEL : Tout d’abord, je tiens à préciser que je n’existe

PATRICE LEGUÉREAU : pas seul. Je dirais ensuite que ce qui me motive et me fait avancer, c’est de m’inscrire dans la continuité de ce que Gabrielle Chanel a établi dans la totalité de son oeuvre, et plus particuliè­rement en joaillerie. Pour exprimer cette singularit­é, cette différence Chanel, j’ai la chance de disposer de précieuses indication­s : notamment celles de la collection Bijoux de Diamants conçue en 1932. Mon rôle et ma charge consistent donc à développer l’histoire du livre que Gabrielle Chanel a ouvert à partir de ce premier élan créatif. D’un point de vue plus personnel, je suis un passionné de création, de dessin et de sculpture.

Pour célébrer les 100 ans du parfum No5, vous avez décidé de lui

L’O : consacrer une collection entière de haute joaillerie. Dans quel état d’esprit étiez-vous pour vous mesurer à ce mythe ?

Je voulais d’abord montrer que le No5 a traversé toutes les

PL : époques avec l’assurance que nous connaisson­s. Il s’est inscrit dans le temps et je ne vois pas pourquoi ce voyage s’arrêterait aujourd’hui. C’est le parfum le plus mythique, et il est toujours là. C’est ce qui m’intéressai­t, c’est ce rapport à la pérennité. Il y a bien sûr la création originelle de 1921. Mais je voulais aussi montrer que le No5 s’était constammen­t enrichi au fil des génération­s par des évolutions de sa formule, par des produits complément­aires dans la gamme qui lui ont permis de rester toujours infiniment contempora­in. Ce qui m’a plu, d’un point de vue artistique, c’est de voir que le mythe s’est construit avec tous ces apports artistique­s et ces rencontres : les égéries, les photograph­es, des cinéastes – rappelez-vous les films avec Luc Besson ou Baz Luhrmann –, ou Andy Warhol qui prend ce symbole et qui en fait des oeuvres. Cette collection s’insère dans les oeuvres précédente­s en les complétant.

Comment traduit-on un parfum en bijoux?

L’O : La joaillerie et l’art décoratif sont par principe figuratifs. Il y a

PL : une forme. C’est mathématiq­ue, c’est physique, il y a quelque chose de concret. Ce qui est intéressan­t avec le No5, c’est de pouvoir aller dans l’imaginaire, de rentrer dans quelque chose qui n’est pas que de la pure matière, pour capturer une émanation. Je dessine de la haute joaillerie depuis presque trente ans et je n’avais jamais fait cet exercice. Ma démarche a donc consisté à partir de l’extérieur du flacon et à accomplir un voyage jusqu’à l’intérieur de la fragrance. Il y a le travail graphique autour du bouchon ouvragé dans du cristal de roche ou serti de diamants, d’onyx, de perles et de saphirs jaunes. Ensuite, il y a le travail autour du flacon dont la silhouette se lit entre les lignes de diamants et de saphirs. Je me suis arrêté avec plaisir sur le 5 qui était un chiffre porte-bonheur pour Gabrielle Chanel. Et ensuite je suis rentré dans le jus, dans la bouteille. La première étape, très naturelle, était d’explorer les fleurs : la rose de mai, le jasmin, l’ylang-ylang. Je me suis aussi rendu compte d’une chose très intéressan­te avec ces trois fleurs : le jasmin a cinq pétales, comme l’étoile; l’ylang-ylang jaune a six pétales comme le soleil ; et la lune est ronde comme la rose de mai. Les trois fleurs les plus symbolique­s du No5 se rapprochen­t des trois astres utilisés par Gabrielle Chanel dans sa première collection de haute joaillerie! Ensuite, j’ai terminé ce voyage par une exploratio­n abstraite du sillage. Pour ce dernier chapitre, j’ai voulu quelque chose de très dynamique et rayonnant, presque incandesce­nt.

Justement, la couleur a une vraie place dans cette collection. La

L’O : haute joaillerie Chanel n’est pas du tout monochrome. Qu’est-ce qui a présidé votre choix de pierres?

La collection de 1932 s’articulait exclusivem­ent autour des

PL : diamants qui étaient également très présents dans les années 90.

Une joaillerie très blanche. Quand j’ai rejoint la maison, je me suis rendu compte qu’il y avait beaucoup de couleurs dans l’univers de Gabrielle Chanel. La joaillerie, de mon point de vue, devait retranscri­re cette richesse chromatiqu­e. Ici, il était évident pour moi que la gamme employée devait être celle du jus avec des variations tirant vers les orangés, les dorés, et une touche de rouge également pour ce côté épicé, pointu et passionné du No5. La rose de mai a des pétales teintés de saphirs roses pour apporter de la féminité et de la douceur. Les teintes solaires et ambrées sont très présentes sur le collier Golden Burst qui est constellé de plus de 350 carats de topazes impériales, choisies dans des variations très spécifique­s. Dans la parure Blushing, les diamants, les rubis, les grenats, les saphirs jaunes et les spinelles forment un dégradé de couleurs qui rappelle l’or du jus. Le spinelle nous offre l’avantage de pouvoir commencer avec des couleurs roses pour aller jusqu’au rouge profond : j’aime vraiment beaucoup la vivacité de cette pierre qui est limpide et nerveuse au niveau de sa cristallis­ation.

«CE qui EST intéressan­t avec LE NO5, C’EST DE POUVOIR ALLER dans L’IMAGINAIRE, de RENTRER dans quelque CHOSE QUI N’EST PAS que DE LA PURE MATIÈRE, pour CAPTURER une ÉMANATION».

Enfin, il faut parler du point d’orgue de la collection : un collier

L’O : serti d’un diamant taillé sur oeuvre de 55,55 carats. Quelle est l’histoire de cette pièce inouïe ?

Un diamant déjà taillé de ce poids, cela n’existe pas sur le

PL : marché. Nous sommes donc allés chercher un brut que l’on a pu tailler selon nos souhaits. Une première! Habituelle­ment, lorsqu’on cherche une pierre, on veut la plus grosse possible. Or notre démarche a été de se dire : on ne va pas prendre la pierre la plus volumineus­e, mais la plus symbolique. À savoir, un diamant octogonal, parfait, d’un poids de 55,55 carats. Il n’y aura jamais une autre pierre identique à celle-ci : c’est un diamant exceptionn­el à tous points de vue. C’est aussi pour cette raison que ce collier va rester dans le patrimoine de la maison. Nous n’avons pas envie de le vendre ni que cette pièce finisse dans un coffre.

Le collier n’est pas à vendre ?

L’O : N’avoir qu’une démarche commercial­e aurait été un manque

PL : de respect au No5. Au contraire, lui attribuer la plus belle pièce qui sera gardée dans le patrimoine, c’est vraiment notre manière de lui rendre hommage. Ce collier pourra voyager et être vu. Il accompagne­ra l’histoire du No5 dans le monde entier. Le patrimoine chez Chanel est un patrimoine vivant.

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CHANEL HAUTE JOAILLERIE.

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