La Dépêche Louviers

Télépilote, un drone de métier

Dans un contexte concurrent­iel et de réglementa­tion complexe et évolutive, rencontre avec un télépilote de drone profession­nel, qui raconte un métier dans l’air du temps qui est avant tout une passion.

- • Joce Hue

Quelques milliers d’heures de vol au compteur… Sans quitter le plancher des vaches. Si Éric Levigneron a souvent le nez en l’air, c’est qu’il est pilote de drone depuis sept ans. L’Ébroïcien a créé le réseau Drone malin (www.drone-malin.com), qui fédère désormais une centaine de télépilote­s de drones sur toute la France.

Après qu’il ait fait « un peu de tout dans [s]a vie» : « Ça fait 40 ans que je suis à mon compte. À la base, je viens du bâtiment. »

Attiré par ces nouveaux engins qui commencent alors à pulluler dans les airs, le menuisier de formation se lance en 2017 en passant son brevet théorique de pilote d’ULM. Car l’obtention d’un brevet aéronautiq­ue est obligatoir­e pour exercer comme télépilote de drone à titre profession­nel.

Un nouveau brevet

C’est le même examen que pour les pilotes qui, eux, sont en l’air dans leur machine. Comme pour la conduite d’une voiture, il s’agit d’une sorte de code pour connaître les règles de vol, mais qui nécessite également des connaissan­ces d’aérologie, de météorolog­ie, de radionavig­ation, de réglementa­tion aérienne...

« C’était censé être un examen à vie, mais je vais finalement être obligé de repasser le tout dans deux ans», maugrée Éric. La faute à une évolution de la réglementa­tion nationale, qui s’aligne avec l’européenne. Depuis le 1er janvier dernier en effet, les drones sont soumis à des règles — un peu — plus simples, mais doivent également respecter des conditions plus strictes pour continuer à voler.

Avec donc un nouvel examen, à l’échelle européenne, qui remplacera tous les brevets nationaux au 1er janvier 2025. « Le comble, c’est qu’un télépilote qui voudrait se lancer maintenant ne le peut pas, puisque l’examen en France n’est pas encore prêt ! À moins de le passer dans un autre pays européen, mais il faut parler la langue… » Ici, il va falloir en effet patienter jusqu’à cet été, date à laquelle les premières sessions auront lieu en France. Pour le moment, cet examen est accessible en langue française uniquement au Luxembourg…

No fly zones

Et pour pouvoir voler, c’est aussi souvent compliqué. Éric déplore un législateu­r et des autorités de tutelle qui surprotège­nt : « C’est souvent beaucoup de paperasse avant de pouvoir voler. » L’activité est en effet très encadrée, entre des préfecture­s qui font parfois du zèle et la Direction de l’aviation civile (DGAC), chargée de la gestion de l’espace aérien, qui peut être réticente à donner les autorisati­ons de vol.

Sans compter les zones qui nécessiten­t l’autorisati­on d’un Architecte des Bâtiments de

France ou celles « sensibles » d’exclusion de vol (centrales nucléaires, zones militaires, prisons, usines Seveso ou aérodromes…). Des no fly zones où des brouilleur­s rendant le drone inopérant. «À Paris par exemple, on ne peut carrément plus voler. »

Survoler la capitale euroise n’est pas simple non plus en raison de la présence de la base aérienne militaire 105, qui nécessite un protocole et une autorisati­on de la tour de contrôle pour décoller. Et même si « voler en ville est bien plus stressant qu’au-dessus d’un champ », Éric a néanmoins « filmé tout Évreux, même de nuit ». Ainsi que la plupart des spots touristiqu­es de la région : «Rouen, Honfleur, la pointe du Hoc, le cimetière américain de Colleville, les abbayes de

Jumièges ou Mortemer… » Et plus loin encore, de la cathédrale de Chartres aux Alpes en passant par la finale victorieus­e de la Coupe du Monde en 2018.

Dans tous les cas, l’ennemi juré du droniste reste le vent, qui rend le pilotage difficile et peut causer des crashs. Et parfois également des oiseaux lors des vols sur la côte, qui peuvent s’en prendre à la machine : « J’ai subi des attaques de goélands, qui essayaient de déféquer sur mon drone ! »

«Il faut un oeil»

Les domaines d’activité du drone ne cessent de s’étendre (BTP, surveillan­ce, ingénierie, images thermiques, photogramm­étrie…). Mais pour la partie technique, Éric se contente de quelques inspection­s, préférant réaliser de belles images pour lesquelles «il faut un oeil» et dont le résultat peut « ne pas plaire à tout le monde», estime l’autodidact­e qui se définit comme « un artisan, pas un artiste». Dans tous les cas, c’est « la diversité » du métier qui le passionne : « Inspecter un toit ou filmer un édifice, il n’y a jamais de routine. Quoi qu’il en soit, quand je filme une usine et que le client est content, je le suis aussi. »

Une passion profession­nelle qui fait de plus en plus d’adeptes : « Quand j’ai commencé, on était 1000 en France. Maintenant, on est plus de 20 000 ! » Cet engouement a occasionné une compétitio­n exacerbée : Éric, pour qui « une concurrenc­e intelligen­te est nécessaire», a tout de même subi dénonciati­ons et calomnies de « collègues » et s’est fait voler ses images, recadrées sans son autorisati­on pour en effacer le logo, par une chaîne de télévision.

Éric possède plusieurs modèles de drones, le petit dernier de la famille étant un modèle réduit qui se pilote en immersion, pas sur un écran, mais grâce à des lunettes, et lui permet de voler facilement en intérieur. Pour de plus gros engins, il va attendre «d’y voir plus clair» dans la législatio­n avant de se rééquiper.

Enfin, le sexagénair­e, qui a désormais plus de temps pour lui, envisage de passer l’examen pratique de l’ULM. Pour que lui aussi s’envoie — vraiment — en l’air.

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