Agriculteurs et riverains, deux mondes que tout oppose, vraiment ?
Les relations entre agriculteurs et riverains étaient au centre de la table ronde organisée par les Jeunes agriculteurs lors de leur assemblée générale. Deux mondes irréconciliables ? Pas si le dialogue et la communication (re)prennent le dessus.
L’assemblée générale des Jeunes agriculteurs est toujours l’occasion pour les adhérents et les partenaires du syndicat d’assister à une table ronde sur un thème d’actualité. Après l’agrivoltaïsme l’an passé — une nouvelle forme de production d’électricité sollicitée par certains agriculteurs, mais à laquelle le président de Région Hervé Morin est totalement opposé —, les JA s’intéressaient cette année (mardi 20 février) aux relations parfois conflictuelles entre les agriculteurs et les riverains des champs et des élevages qu’ils exploitent.
Clauses parisiennes
« Comment concilier les exigences des riverains et l’activité agricole en bonne intelligence ?», se demandait le syndicat, qui avait réuni, pour tenter d’y répondre, un notaire, un militant associatif environnemental, des élus et des représentants du milieu agricole.
Pour Jean-Paul Legendre, maire d’Iville, à deux pas du Neubourg, et président de l’Union des maires de l’Eure, la problématique tient dans l’urbanisme et le changement de sociologie de nos campagnes : « Nos villages ont énormément évolué, mettant face à face maisons et grandes cultures. Il y a d’une part une confrontation physique, et deux mondes qui ne se comprennent pas. Une partie de la population a perdu les codes de l’agriculture », estime l’élu.
Au banc des accusés, les néo-ruraux, et notamment les Parisiens, sont pointés du doigt. Agricultrice dans l’est du département, mais aussi sénatrice, Kristina Pluchet a l’oeil des deux côtés du périphérique. Ceux qui ont quitté la capitale sont, selon elle, « des gens qui ont connu la pollution et qui en ont un profond rejet. Ils ne la supportent plus ». Alors, voir des tracteurs pulvériser des produits phytosanitaires dans les champs peut hérisser le poil de certains. Notaire à Évreux, Gaël Bailleul a constaté que le sujet « revient régulièrement dorénavant chez les acheteurs. On parle de clauses parisiennes. On alerte nos acquéreurs sur ces problématiques, cela devient de plus en plus prégnant, même si cela n’a pas freiné ou empêché des achats, contrairement aux éoliennes par exemple ».
Les ZNT agacent
Les chaînes d’information auraient leur part de responsabilité dans cette affaire, affirme Kristina Pluchet : « BFM TV a conditionné les Français en disant que les agriculteurs passaient leur temps à pulvériser du glyphosate ». Mais, observe la conseillère régionale Marie-Noëlle Chevalier, agricultrice de profession, le métier a aussi ses moutons noirs. « Une minorité d’agriculteurs font n’importe quoi, traitent le dimanche. Il y a un élevage de 300 000 poules à côté de chez moi. Des gens habitent à 40 m : c’est tellement mal tenu qu’ils ont des mouches toute l’année chez eux. Je trouve ça très embêtant pour les agriculteurs qui font attention », remarque-t-elle.
Du côté des agriculteurs, les réglementations agacent. « Les ZNT [zones de non-traitement, 5 m pour les cultures basses, NDLR] ont braqué les agriculteurs face aux riverains», pense la sénatrice. Les ZNT, « un non-sens » pour Jérôme Pasco, le maire de Conches-enOuche. « Arrêtons de prendre les gens pour des cons. Je ne connais aucune molécule qui va s’arrêter à 50, 100 ou 150 m. Arrêtons de faire suer les gens avec de telles réglementations. » Secrétaire général adjoint des Jeunes agriculteurs national, céréalier en Eure-et-Loir, Quentin Le Guillous rappelle que les agriculteurs « ont des contraintes. Si on les respecte, pas besoin de ZNT ». Zones que l’exploitant aimerait au passage voir intégrées dans les plans locaux d’urbanisme, donc dans les parcelles urbanisables, « et pas au détriment des terres cultivées ».
Dialogue et communication
Face aux tensions qui peuvent exister entre les agriculteurs et les riverains, Jérôme Pasco milite pour « l’équilibre et le compromis ». «Il faut composer avec notre territoire rural», pose l’élu. Tout est question de dialogue et de communication, entre des populations qui parfois s’ignorent complètement. Président de la Chambre d’agriculture de l’Eure, Gilles Lievens fait amende honorable : « Nos métiers sont complexes, on n’a pas su faire le premier pas, on a manqué d’ouverture. On a laissé la place à des organismes aux dogmes bien établis qui ont tapé sur l’agriculture. On s’est rendu compte qu’il fallait qu’on s’ouvre, qu’on explique, de façon simple. On a fait d’énormes progrès sur nos pratiques, il faut le dire haut et fort. » La Chambre d’agriculture a établi une charte de bon voisinage avec l’association des maires, « pour se comprendre, se parler et se respecter mutuellement. Il faut qu’elle soit un support pour nouer un dialogue avec des néoruraux », appuie Gilles Lievens.
«La solution aujourd’hui est dans le dialogue, acquiesce Stéphanie Guicheux, éleveuse à Sylvains-les-Moulins et secrétaire sortante des JA27. Le but n’est pas de créer de clivage entre les néo-ruraux et nous, on a besoin d’eux. Ne nous fâchons pas. À nous de nous investir dans les conseils municipaux, dans les écoles. » Sur ce point, Jean-Paul Legendre a sa petite idée. À l’approche des élections municipales, le président des maires de l’Eure aimerait un engagement : « pas un conseil municipal sans au moins un agriculteur. Rien ne vaut ce qui se passe au quotidien. Je souffre de voir de nombreux conseils municipaux ruraux sans un seul agriculteur ».
Florent Lemaire Eure Infos / La Dépêche