La Dépêche Louviers

Des particulie­rs portent plainte contre un constructe­ur de maisons individuel­les

S’estimant floués par Maison France Design dans la constructi­on de leur future maison, un collectif d’une douzaine de particulie­rs a entamé une action en justice. Il dénonce les méthodes de cette entreprise située à Évreux.

- • Cyrill Roy

«On s’est fait plein de copains dans tout ça », lance Domitille avec une pointe d’ironie. Ce vendredi soir, ils sont cinq à s’être donné rendez-vous autour d’un verre pour partager leur galère. Franck, Sylvain, Valérie, Max et Domitille ont un point commun : ils ont fait appel à la société Maison France Design (MFD), située dans le centre-ville d’Évreux, pour faire construire leur maison. Et comme les autres membres du collectif qu’ils sont en train de monter (ils sont douze particulie­rs, et le groupe ne cesse de grandir), ils le regrettent amèrement.

«C’est toujours la même manière de faire. De nombreux maçons s’enchaînent sans raison valable. Et les travaux n’avancent pas. », résume Sylvain. « Elle [la présidente de MFD] utilise le même procédé pour tout le monde, confirme Max. Elle fait des appels de fonds généralisé­s à ses clients. Ils décaissent systématiq­uement, parce qu’elle vend de l’espoir en disant que ça va réduire les délais.» Une manoeuvre qui lui permettrai­t de lancer de nouveaux chantiers sans avoir terminé les précédents. «Certains ont débloqué jusqu’à 95 % du budget travaux. Au moment où on se parle, il y en a qui ont juste des murs. »

« Le chantier est à l’abandon »

Valérie est la première à raconter son histoire. Souhaitant faire construire une maison à La Bonneville-sur-Iton pour accueillir sa mère handicapée, elle signe un contrat en juin 2021 avec Maison Familiale (groupe Geoxia, liquidé en 2022), puis avec Maison France Design, une société que lance une agente commercial­e de Maison Familiale en novembre 2021. Valérie signe le premier contrat en maîtrise d’oeuvre, avec un acompte de 7000 €. La présidente de MFD le déchire pour passer à un contrat de constructi­on de maison individuel­le (CCMI). «L’acompte ne figure plus», s’étonne Valérie, qui finit, grâce au soutien de sa banquière, par récupérer les 7000 €. Une première alerte, mais à ce moment, Valérie fait toujours confiance à la société.

Malgré le dépôt du permis de construire en août 2021, le premier coup de pelle pour l’élévation n’est donné qu’en février 2023. Le chantier s’arrête, reprend, puis s’arrête de nouveau. La toiture et la charpente de Valérie sont censées être en livraison depuis le début d’année, sauf qu’aucune commande n’a été passée. « Aujourd’hui, le chantier est à l’abandon», dénonce la cliente, qui a dû débloquer 40000 € pour la fin de l’élévation et une toiture qui n’arrive pas. La situation a des conséquenc­es sur la santé de Valérie : «J’en suis tombée malade. J’ai des insomnies, des problèmes de concentrat­ion au travail, une prise de poids… »

Demandes de fonds anticipées

Franck, lui aussi, y a déjà laissé des plumes. Avec sa femme et ses deux enfants, il a vendu sa maison à Évreux et a fait construire à Reuilly, pour « vivre à la campagne ». Après être tombé sur une annonce pour Maison Familiale, il apprend qu’une nouvelle boîte, Maison France Design, va se monter. « Le contact passe bien. On achète le terrain en mars 2022. Le premier coup de pelle est en juillet suivant. Les fondations sont finies, les murs s’élèvent assez rapidement, les menuiserie­s suivent… Jusqu’à l’été 2023. Là, elle nous demande de faire la remise des clés anticipée en nous disant : ça va finir. C’est vrai que ça avait

beaucoup avancé. » Maison France Design a donc désormais touché la totalité de la somme de 173500 €. Mais le chantier n’est pas fini et n’avance désormais que par petites touches. « Elle nous demande du temps, on accepte, même si ça s’approche des deadlines. J’ai deux enfants, on habite dans un 60 m². Ça devient long. » La pose de l’escalier récemment lui «redonne de l’espoir », mais Franck se rend compte qu’il n’est pas près de vivre dans sa maison.

Sylvain a vécu sensibleme­nt la même histoire. Il a signé un contrat en octobre 2022 pour faire construire à Miserey. « On nous fait signer un contrat de dix-sept mois en nous disant de ne pas nous inquiéter, que ça n’irait pas jusque là, mais que c’était prévu au cas où, à cause du contexte d’inflation. On fait confiance » resitue Sylvain. Qui déchante rapidement : « À un moment donné, on se rend compte qu’elle ne va pas arriver au bout de son chantier. » Les appels de fonds anticipés se succèdent : pour les fondations, pour l’élévation des murs, le hors d’eau… « Son argument, c’était de dire : “Il faut payer maintenant, car ça permet de gagner du temps.” On n’avait pas trop le choix. Aujourd’hui, on n’a même pas terminé l’élévation. La maison doit être rendue en septembre. En avril-mai, on va payer 1 000 € de loyer, plus 1 000 € de crédit chaque mois. La situation financière va être catastroph­ique », affirme Sylvain.

Dans un camping-car avec deux enfants

«On avait tous envie d’y croire. Ces maisons, ce sont

nos projets de vie », pointe Domitille. Celle qui connaissai­t la présidente de MFD depuis quinze ans n’a pas hésité à faire appel à elle quand elle a voulu faire construire à Bois-leRoy. « On s’est dit : on connaît quelqu’un du milieu, ça serait dommage de ne pas en profiter. » Pour l’aider à lancer sa société, elle lui prête même 60 000 et 40 000 €, « l’affaire de deux mois », en échange d’une maison à prix coûtant. Une somme qu’elle aura du mal à récupérer.

Surtout, son chantier n’avance pas. Et pour avoir un apport suffisant, Domitille a vendu sa maison dès le lancement du projet de constructi­on pour partir vivre chez ses beauxparen­ts avec son mari et ses enfants de 6 et 8 ans. « Ça devait durer un an. » Pour se rapprocher de l’école des enfants, sa famille vit dans un camping-car depuis l’été dernier.

« Un jour on a mis les pieds dans le plat. On a fait les comptes avec mon mari. On a repris le chantier à notre charge », précise Domitille. Mais le couple a dû vendre une voiture et refaire un crédit pour terminer les travaux.

Marié et père de deux enfants, Max a également vendu sa maison pour en faire construire une nouvelle. Proche de la responsabl­e de MFD, il a fait appel à elle. «Elle nous a fait le même sketch qu’aux autres : des encaisseme­nts anticipés pour entamer les commandes et accélérer les chantiers… On lui avait donné la deadline de septembre 2023, puisqu’on avait changé d’école pour les enfants. On leur a vendu un confort de vie sur une nouvelle maison qu’on n’a pas. » À l’heure actuelle, Max estime faire partie «des clients les moins lésés dans l’histoire.

La maison est quasiment finie : il reste l’isolation des combles, les cheminées et les enduits… » Dans une impasse, il a donné préavis et rien n’avance depuis.

Plusieurs plaintes déposées

❝ Au moment où on se parle, il y en a qui ont juste des murs. MAX

❝ Nous avons six familles ruinées qui ont avancé des sommes considérab­les pour une maison qu’elles n’ont pas.

UNE SOURCE JUDICIAIRE

Plusieurs plaintes ont été déposées individuel­lement, insiste le collectif, qui mise également sur la médiatisat­ion pour que les victimes continuent à se faire connaître. Le procureur de la République d’Évreux confirme que des plaintes contre la société Maison France Design « pour escroqueri­e » sont arrivées au parquet et qu’une enquête a été confiée à la gendarmeri­e de Pacy-sur-Eure.

«On a des délais de livraison très largement dépassés et d’autres qui vont l’être, des appels de fonds anticipés systématiq­ues. Elle [la présidente de MFD] se fait de la trésorerie sur le dos des maîtres d’ouvrage. Nous avons six familles ruinées qui ont avancé des sommes considérab­les pour une maison qu’elles n’ont pas », estime une source judiciaire proche du dossier.

«La justice doit prendre le temps, l’enquête doit être bien faite, admet de son côté Sylvain. Le problème, c’est que nous n’avons pas le temps. Notre priorité, c’est nos maisons, pas ce qui va arriver à MFD. Il y a les banques qui vont nous réclamer, des gens qui ont commandé des cuisines, il faut payer les avocats… » « On parle des soucis juridiques et financiers, mais il y a aussi l’émotionnel et le familial, appuie Max. Si ça se trouve, on va tous avoir des problèmes de santé. »

 ?? C. R ?? Comme au moins une douzaine de particulie­rs, Valérie ne voit pas avancer le chantier de sa maison à La Bonneville-sur-Iton.
C. R Comme au moins une douzaine de particulie­rs, Valérie ne voit pas avancer le chantier de sa maison à La Bonneville-sur-Iton.

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