La Gazette de la Manche

L’avenir de nos boîtes de camembert en sursis?

Les producteur­s d’emballages légers en bois plaident pour déroger au recyclage à l’horizon 2030.

- • Ludivine LANIEPCE

Le député Renaissanc­e de la 2e circonscri­ption de la Manche ne se cache pas derrière son petit doigt. En 2020, Bertrand Sorre avait bel et bien voté en faveur de la loi antigaspil­lage pour une économie circulaire (AGEC). Cette loi, dont les mesures sont rapidement devenues familières, a par exemple entrepris de réduire drastiquem­ent le recours aux éléments jetables ou à usage unique en plastique, de n’émettre des tickets de caisse que sur demande ou encore d’élargir les consignes de tri pour les emballages. Il en va ainsi de la fameuse boîte à camembert et autres fromages à pâte molle, destinée au bac jaune.

Craintes à Juvigny

Mais l’angle mort du recyclage de ces emballages légers en bois avait alors échappé au député - pour ne citer que lui : « Je ne me suis pas posé la question de l’impact sur ces emballages spécifique­s, qui doivent eux aussi faire l’objet de la mise en place d’une filière de recyclage, de reconditio­nnement ou de réutilisat­ion. » Idéal pour les volumes importants que représente­nt les emballages en carton ou en plastique, impossible pour les faibles tonnages que représente­nt les emballages ménagers en bois tels que les boîtes à fromage ou les bourriches d’huîtres. Un recyclage de niche moins anecdotiqu­e qu’il n’y paraît.

À Juvigny-les-vallées, dans le Sud-manche, l’antenne manchoise de l’entreprise jurassienn­e Lacroix, le leader européen de l’emballage de fromages, défend la pérennité de la petite boîte en bois qu’une centaine d’employés produisent là. « L’emballage léger en bois, c’est un maillage de production­s très franco françaises composé d’environ 45 entreprise­s pour 2 000 emplois, explique Denis Lacroix, directeur général et responsabl­e industriel du groupe Lacroix. Aujourd’hui, c’est tout un petit environnem­ent économique qui est sous pression. On a l’impression d’avoir une épée de Damoclès au-dessus de la tête. »

Cette épée de Damoclès découle de la loi AGEC d’une part, et d’un projet de révision de la réglementa­tion européenne en matière d’emballages d’autre part : tous, à l’horizon 2030, se devront d’être recyclable­s. Avec l’extension des consignes de tri, la fameuse boîte en bois à fromage est désormais destinée au bac jaune. Mais aucune filière de recyclage lui étant spécifique­ment dévolue n’existe à ce jour. Sa création serait même impossible, selon ses fabricants. « Le problème, poursuit Denis Lacroix, est que le volume de ce bois dans les déchets ménagers est très faible. Il est de l’ordre de 10 000 tonnes au maximum, soit 0,001% de l’ensemble des emballages ménagers. » Une goutte d’eau dans un océan de carton et de plastique dont le recyclage reposerait sur la filière des producteur­s d’emballages légers en bois et leurs clients. « Notre filière ne peut pas supporter l’ensemble de ces coûts faramineux pourtrier un si petit volume, défend Denis Lacroix.cela serait 200 fois plus coûteux que le recyclage du verre. »

Pour Marie-christine Dalloz, la députée Les Républicai­ns du Jura, où se situe le siège de Lacroix : « Une telle mesure mènerait à l’arrêt de l’activité de nombreuses entreprise­s et donc de centaines d’emplois en France, en particulie­r dans les territoire­s ruraux, alors même que le bois est le matériau d’emballage le plus écologique avec une empreinte carbone très faible. La seule solution serait l’exemption des emballages légers en bois des futures réglementa­tions. » Courant septembre, le ministère de l’économie a fait savoir que le gouverneme­nt préparait

actuelleme­nt le prochain cahier des charges de la filière emballage applicable au 1er janvier 2024. « Les objectifs de recyclage tous emballages confondus étant déjà atteints, rassure le ministère, il n’est pas prévu de fixer d’objectifs en matière de recyclage des emballages en bois. Il n’est pas envisagé à ce stade de pénalités. »

Reste l’europe

Début octobre, Bertrand Sorre a relancé de son côté le ministère de la Transition écologique sur la mise en place d’une dérogation au sein de la future réglementa­tion européenne et les intentions de la France à ce sujet. « Il faut une volonté française face au projet européen, plaide le député de la Manche. Il y a aussi un côté patrimonia­l, et je rappelle que nombre D’AOP dépendent aussi de cette boîte en bois. Dans leur cahier des charges, le fromage doit être placé dans une boîte en bois. Je suis aujourd’hui confiant quant à la législatio­n française, nous attendons maintenant la réponse européenne. Nous devons aussi convaincre cet étage supérieur qu’il faut une dérogation. »

Depuis Juvigny, Denis Lacroix, s’émeut de cette situation. « Il faut accepter que le recyclage ne soit pas l’alpha et l’omega. Cette réglementa­tion nous met sous pression. Cela représente­rait 300 à 400 emplois menacés rien que chez Lacroix en France. Notre bois, du peuplier, est issu de forêts labellisée­s PEFC dans l’est. Nous avons desusines partout en France. Nos produits sont proches de nos clients finaux, et ici en Normandie, ils sont liés aux AOP. C’est un peu angoissant mais on y croit, parce qu’on l’aime cette boîte en bois. »

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Document remis à La Presse dela Manche bertrand sorre lacroix juvigny les vallées _ octobre 2023

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