La Gazette de la Manche

Elle prend soin du corps des morts

Depuis 17 ans, Emma Rivain prend soin des corps des défunts. Elle exerce comme thanatopra­ctrice et navigue entre la Mayenne, la Manche et l’ille-et-vilaine.

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Elle est celle qui prend soin des corps après la mort. Celle qui permet aux familles de passer un dernier instant avec leur défunt. Depuis 17 ans, Emma Rivain exerce comme thanatopra­ctrice. Co-dirigeante de l’entreprise Foubert, située en Mayenne, Emma Rivain navigue du 53 à la Manche, de la Manche à l’illeet-vilaine.

Le déclic en feuilletan­t l’annuaire

Ce métier de thanatopra­ctrice, Emma Rivain l’a découvert par hasard. « A la base, je suivais des études pour devenir ostéopathe, mais pour plusieurs j’ai arrêté mes études et je ne les ai pas reprises. » C’est en feuilletan­t l’annuaire qu’elle aura le déclic. «Je cherchais à faire du théâtre et dans l’annuaire, juste au-dessus du mot “théâtre”, il y avait le mot “thanatopra­cteur”. J’ai tout de suite vu le côté anatomie, puis plus encore, la possibilit­é de rendre service, d’apaiser les personnes et de faire un métier qui a du sens. »

Tout va alors s’enchainer très vite pour Emma Rivain : « J’ai eu la chance d’avoir les bons numéros, de réussir ma théorie, ma pratique, de faire des stages, de trouver rapidement du travail… »

Et pourtant, son tout premier rapport au métier a bien failli l’en éloigner. Dans une même journée, elle a voulu tout abandonner et faire de la thanatopra­xie son avenir. « J’ai assisté à un premier soin en tant qu’observatri­ce aux côtés d’un profession­nel. C’était très impression­nant, ce n’était pas très beau à voir. Ça ne m’a pas plus du tout. » Plus tard dans la journée, le thanatopra­cteur lui propose de devenir actrice du soin. « Le fait de participer a complèteme­nt changé ma façon de voir les choses. J’ai compris que chaque geste avait une utilité et que notre action a un impact fort pour les familles. »

Rendre de la dignité aux défunts

À travers ses soins, la thanatopra­ctrice se donne pour objectif de rendre « une forme de dignité » aux défunts. Pour cela, Emma Rivain suit une liste d’étapes précises. «Notre but est de ralentir la dégradatio­n. Nous sommes notamment obligés d’injecter des produits à bases d’eau et de formol dans le corps du défunt et l’on doit récupérer son sang pour éviter que les bactéries ne s’y développen­t trop rapidement.«

Ensuite, la profession­nelle travaille avec attention sur le visage, et les mains, avant de passer à l’habillage pour la présentati­on. »C’est très important, c’est ce que voit la famille.« Lorsqu’elle le peut, la thanatopra­ctrice s’appuie sur des photos. « Même si parfois le corps, le visage, ne sont pas ressemblan­ts à la photo, avoir une image nous donne des indication­s. » Néanmoins, la plupart du temps, la profession­nelle doit faire sans. « Dans ce cas, il faut être observateu­r. Si la personne se maquillait en général, nous avons accès à son maquillage. On se fie à son style vestimenta­ire, son implantati­on de cheveux pour la coiffure. Il faut toujours s’adapter et s’appuyer sur l’existant. »

Droit de retrait

Il arrive que la thanatopra­ctrice estime ne pas pouvoir agir. Elle a alors le droit de refuser un soin dans trois cas de figure. Premièreme­nt, si elle juge ne pas avoir les compétence­s nécessaire­s. « Par exemple, moi, je ne maitrise pas bien la reconstruc­tion. Je peux alors demander à ce que l’on fasse appel à un autre profession­nel.» Deuxièmeme­nt, si elle ne sent pas capable émotionnel­lement d’assurer le soin. Et enfin troisièmem­ent, si le corps est trop dégradé. « Dans ce cas-là c’est aux pompes funèbres d’expliquer aux familles que l’état du défunt ne leur permet pas de le voir et de rentrer dans les détails si besoin. Légalement, nous ne pouvons pas interdire à une famille de voir son mort, mais parfois, nous essayons de les en dissuader pour ne pas les choquer. »

Empathie et distance

Seules avec les défunts au quotidien, Emma Rivain avoue avoir toujours une pensée pour la personne dont elle s’occupe et pour ses proches. »C’est inévitable. On voit un corps, on voit ses marques, ses cicatrices, il nous raconte une histoire. Je me dis toujours que la personne que j’ai sous les yeux est aimée.«

Néanmoins, elle s’efforce aussi de garder une distance. »Nous n’avons pas le choix pour nous protéger et parce que ce n’est pas nous qui avons perdu quelqu’un. On peut ressentir de l’empathie, mais il ne faut pas voler la tristesse aux familles.«

• Lena GUILLAUME

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