Des autopsies, mais surtout un contact avec les victimes de violences
Joanna Cornec, interne en médecine légale à Saint-lô, apporte un témoignage sur ce métier, qui tranche avec l’image caricaturale portée par les films et les séries.
Ce métier, Joanna Cornec y a pensé assez jeune. « J’ai toujours été intéressée par la science au sens large, et aussi aux affaires criminelles, quand j’étais au lycée. J’ai d’abord pensé à la police scientifique, mais c’est très technique et il n’y a pas de contact humain. Ce que j’aime dans mon métier c’est l’aspect double casquette : droit et médecine. Être là pour les gens, au contact des personnes, pour leur rendre service. »
« Un tiers de morts, deux tiers de vivants »
C’est par cette formule que Joanna Cornec engage l’explication de son travail, loin des idées reçues, qui imaginent le médecin légiste comme un praticien enfermé dans son laboratoire, à ne faire que des autopsies. « En fonction du lieu, le travail est très différent. En CHU (Centre Hospitalier Universitaire), on y trouve la partie thanatologique (ndlr : science ou étude de la mort), car toutes les autopsies médico-légales se font dans des CHU, qui disposent des plateaux techniques nécessaires. »
En hôpital de proximité, dans les UMJ (Unités Médico-judiciaires), Joanna et ses collègues rencontrent des personnes victimes de violences physiques, psychologiques ou sexuelles. L’objectif est de pouvoir donner des éléments à la justice.
L’autopsie, un premier travail d’analyse
« Quand il y a une autopsie à faire, nous sommes réquisitionnés par la justice. Nous n’avons pas les informations sur les familles et nous ne les rencontrons pas. Les interlocuteurs sont les gendarmes et les policiers. » Les médecins légistes ont toujours cette double obligation, qui fait qu’ils ne communiquent pas avec les familles : le secret médical et le secret de l’instruction, en cas d’enquête. « La médecine légale fait intervenir plein de personnes. On fait tout type de prélèvements, ce sont les experts derrière qui analysent. En anatomopathologie quand il s’agit de faire des études plus poussées sur les organes, mais aussi des infectiologues pour faire des expertises génétiques, et bien d’autres métiers. Nous sommes le premier maillon de la chaine. Nous sommes aussi amenés à faire ce qu’on appelle des levées de corps. Nous intervenons alors directement sur les lieux de crimes pour faire des examens. »
Pour une autopsie, la casaque (tenue de bloc opératoire), la charlotte, les gants et le masque sont de mises : « Le but, c’est d’être stérile pour ne pas contaminer avec un ADN étranger le corps et les preuves. »
Les consultations pour constater les violences
Joanna Cornec indique que les médecins légistes rencontrent les personnes pour tous types de violences, qu’elles soient physiques, « pour examiner les lésions externes, constater les blessures », ou psychologiques, « pour évaluer leur retentissement. » Le travail se fait en duo avec un psychologue. Les consultations se font parfois sur réquisition de la justice, ou en consultation libre.
Le but est notamment d’apporter une certification : « Seul le médecin peut déterminer une ITT (Incapacité temporaire ou totale de travail), qui donne une notion pénale à l’impossibilité de travailler de la personne. » Pour les hospitalisations libres, les personnes peuvent être guidées par un médecin généraliste, des travailleurs sociaux, des associations de victimes... « Nous pouvons recevoir aussi les victimes pour des conseils. »
Pour les mineurs, cela se fait en audition fermée. « C’est un temps d’accompagnement, en lien avec les UAPED (Unité d’accueil Pédiatrique Enfants en Danger), à but de prévention et de prise en charge des enfants victimes de violences. »
Tous les publics sont accueillis : « Des migrants s’adressent à nous pour apporter un certificat médical qui prouve les violences physiques reçues dans leur pays d’origine. »
Des consultations ont lieu deux fois par semaine au centre hospitalier d’avranches. « L’antenne d’avranches nous permet d’ouvrir des consultations au plus près des personnes, en couvrant un plus large territoire, et de diminuer les délais de prise en charge. Ce sont des consultations courtes en général, mais cela permet de se rendre plus disponible pour les victimes. »
La vision du grand public
Joanna Cornec raconte que « souvent, les gens ont la vision du médecin qui fait des autopsies. Ils ne savent pas exactement comment cela se fait d’ailleurs. Il y a aussi une grosse différence, c’est le temps de la justice. Le travail est beaucoup plus long que dans la fiction, certaines études complémentaires peuvent prendre plusieurs mois, en plus du temps de l’enquête. »
C’est quand elle évoque la partie pourtant majoritaire de son travail qu’apparait l’étonnement : « Quand on dit qu’on voit des gens vivants la plupart du temps, les personnes sont surprises. Le métier est très loin de l’image où l’on voit des morts toute la journée. »
• Thomas Meslin