Savencia menace de ne plus collecter le lait de 550 agriculteurs
Les producteurs laitiers d’ille-et-vilaine et du Sud de la Manche se mobilisent ce jeudi 8 février, 2024 à l’occasion d’une réunion avec le groupe Savencia, qui menace de ne plus les collecter.
Comme tous ses collègues éleveurs laitiers de L’OP Ouest’lait (organisation de producteurs), Daniel Tandé est en colère. Entre 200 et 300 agriculteurs se sont rassemblés, jeudi 8 février, devant les bâtiments d’armor Protéines-savencia à Maen-roch, aux portes de la Manche et de l’ille-et-vilaine.
Deux effets graves
Depuis déjà plusieurs mois, le géant agroalimentaire Savencia, qui leur achète leur production, a rompu les négociations avec Sunlait, association d’organisation de producteurs (AOP) à laquelle ils appartiennent. Le feuilleton judiciaire a émaillé l’année 2023, après que la justice a donné raison aux producteurs, avant d’inverser le verdict en appel.
Cette situation a deux implications graves pour eux. Leur lait est acheté moins cher que ce qu’il leur coûte à produire, en premier lieu. Mais surtout,
Savencia menace de ne plus collecter leur production après le 8 mars, date de fin du contrat, s’ils ne quittent pas Sunlait.
Pour comprendre ce conflit, il est nécessaire de remonter à la création de Sunlait, fin 2015. « L’association a regroupé différentes organisations de producteurs (OP) qui livrent à Savencia sur tout le territoire national », explique Daniel Tandé, éleveur à Saint-jean-surcouesnon et vice-président de L’OP Ouest’lait, l’une des plus importantes. Elle rassemble aujourd’hui 549 producteurs, sur les 1000 que compte Sunlait, principalement en Ille-etvilaine
et dans la Manche, avec quelques-uns dans le Calvados, dans l’orne et en Mayenne. «À l’époque, Savencia y était plutôt favorable, car cela lui permettait d’avoir un seul interlocuteur. »
Déclaration de guerre
Mais désormais, Sunlait est persona non grata chez le géant. En cause, le fait qu’elle l’a attaqué, en 2021, pour le prix trop bas et fixé unilatéralement en 2020. « Ils ont toujours dit qu’on leur avait fait une déclaration de guerre ce jourlà », poursuit l’éleveur. Depuis, la plaie s’infecte sans guérir, et
Savencia refuse de reprendre les négociations, en prévenant qu’ils ne discuteront avec les éleveurs que s’ils quittent L’AOP.
Il faut dire que l’association représente un poids important, avec ses 600 millions de litres de lait. Savencia préfèrerait négocier directement avec les OP, moins importantes, voire individuellement avec les producteurs, pour leur imposer un prix de rachat du lait qui soit aussi bas que possible.
Un véritable chantage
Ce jeudi 8 février, les représentants de L’OP Ouest’lait avaient obtenu un rendezvous avec Savencia. Avec une demande qui tient en deux revendications. Premièrement, « qu’ils augmentent immédiatement le prix d’achat du lait de 42 à 47 centimes du litre », insiste Landry Rivière, président d’ouest’lait. Et deuxièmement, «qu’ils arrêtent de mettre la pression et de faire peur aux agriculteurs : c’est Sunlait qui négocie pour nous, et ce n’est pas à eux de décider de comment nous nous structurons ».
Cette pression, Savencia l’exerce en effet de manière appuyée, par des appels répétés aux éleveurs, des visites et même des courriers de mise en demeure, les menaçant de ne plus collecter leur lait.
Aucun accord trouvé
A l’issue de la réunion avec Sophie Godet-morisseau, directrice générale de Savencia, aucun accord n’a été trouvé. « Ils ont refusé notre principale revendication, qui était de revenir autour de la table avec Sunlait », déplore Landry Rivière.
La prochaine étape, jeudi 15 février, avec une réunion du Comité de règlement des différends commerciaux agricoles (CRDCA). Les producteurs espèrent pouvoir prolonger le contrat jusqu’au 31 décembre 2024, pour alléger la pression, le temps de trouver un nouvel accord. En tout cas, « rien ne nous empêche maintenant de nous pourvoir en cassation ». Un pourvoi sur lequel Ouest’lait serait prêt à revenir, « si dans les prochains mois, nous arrivons à siéger côte à côte », appuie Landry Rivière.
C’est écoeurant de se dire qu’ils refusent d’augmenter de quelques centimes, alors qu’ils font des millions de bénéfices. DANIEL TANDÉ, éleveur laitier
Situation intenable
Le problème devient d’autant plus concernant que l’échéance du 8 mars approche. «Le lait est périssable et nécessite une collecte régulière », souligne Blandine, éleveuse laitière d’ille-et-vilaine, qui veut voir plus loin.
À côté d’elle, Daniel Tandé rappelle que «seule une infime partie du lait produit est vendue en magasin» et que « la majorité sert à faire du beurre, de la crème et même à être cracké, comme sur le site d’armor Protéines, pour extraire les protéines, au prix de vente bien plus élevé. »
Avant de glisser : « s’ils paient quelques centimes de plus aux producteurs pour couvrir les frais de production, ça ne va même pas se ressentir à l’autre bout, pour le consommateur ».