« C’est dans l’Adn de la juridiction de Pontoise »
Un plan « rouge Vif » (violences intrafamiliales) contenant 59 propositions que la députée (Renaissance) de la première circonscription du Val-d’Oise Émilie Chandler et la sénatrice centriste, Dominique Vérien, avaient remises en avril dernier au garde des Sceaux. L’idée était alors de créer des pôles spécialisés au sein de chaque juridiction pour lutter contre les violences intrafamiliales.
Huit mois plus tard, c’est au tribunal de grande instance de Pontoise que Éric Dupond-Moretti, ministre de la Justice, et Bérangère Couillard, ministre chargée de l’Egalité entre les femmes et les hommes et de la Lutte contre les discriminations, sont venus présenter ce pôle Vif, lundi 8 janvier. Avec celui-ci, le gouvernement souhaite permettre à un juge de prononcer, en cas d’urgence extrême, une ordonnance de protection en 24 heures, autorisant ainsi l’éviction du conjoint violent ou une interdiction d’entrée en contact avec la victime. Une nouvelle procédure de l’immédiat, qui donnera le temps au juge d’examiner la demande sans que la victime soit en danger. « L’idée est d’améliorer la justice sur ce contentieux de masse, a souligné Éric Dupond-Moretti précisant que le nombre de meurtres de femmes par leur conjoint ou ex-conjoint est en baisse de 20 % en France en 2023. Toutes les mesures sont mises en oeuvre pour nous permettre d’espérer une baisse drastique de ces crimes. »
« Être plus efficace »
Au tribunal de Pontoise, ce « pôle Vif » est constitué de 23 personnes, dont deux magistrats coordinateurs, 15 magistrats référents, deux chefs de service greffiers et quatre juristes assistants. « C’est vraiment de la mise en commun pour être plus efficace. L’idée est que l’on ne perde plus d’information », insiste le garde des Sceaux. « Un pôle qui préexistait au sein de notre juridiction et qui a été lancé chez nous l’été dernier », souligne la présidente du tribunal de grande instance de Pontoise, Danièle Choulet-Caillet, soulignant que la lutte contre les violences intrafamiliales est « dans l’Adn de notre juridiction
Le ministre de la Justice, Éric Dupond-Moretti, et la ministre chargée de l’Egalité entre les femmes et les hommes, Bérangère Couillard (à droite) sont venus présenter le pôle Vif au tribunal de Pontoise.
». Et pour cause, sa prédécesseure, Gwenola Joly-Coz, avait fait du tribunal valdoisien un laboratoire de lutte contre les féminicides. En 2017, il était le premier à mettre en place un service d’accueil unique du justiciable (Sauj) spécialement dédié à l’accueil du public et apte à donner des réponses concernant la justice pénale, mais aussi celles relevant des affaires familiales. D’autres expérimentations ont suivi dans le Val-d’Oise, comme le téléphone « grave danger » ou
le bracelet antirapprochement que le ministre de la Justice avait présenté lui-même au Tgi de Pontoise en septembre 2020. « Une juridiction qui est à la pointe de la lutte contre les violences intrafamiliales »,a lancé le garde des Sceaux.
Priorité absolue
« C’est un sujet quotidien », a insisté Danièle Choulet-Caillet. « C’est une priorité absolue du parquet », a renchéri le procureur de la République
Pierre Sennes soulignant que 4 056 procédures estampillées Vif ont été ouvertes en 2023 soit une augmentation de 130 % en trois ans. Le magistrat voit en cette hausse « une satisfaction, car cela veut dire que plus de victimes poussent les portes de la gendarmerie ou de la police ». Ainsi, le tribunal a enregistré une hausse significative du nombre de déferrements, de comparutions immédiates, de placements sous contrôle judiciaire avec l’éviction du conjoint violent, et de mesures judiciaires prises dans l’urgence. En 2023, 983 décisions on t été rendues par le tribunal correctionnel de Pontoise dans le cadre d’affaires de Vif. En ce sens, 73 téléphones « grave danger » ont été distribués, 89 ordonnances de protection ont été prononcées sur 139 requêtes, alors que 39 bracelets antirapprochement sont actifs aujourd’hui.
Cannibalisation des audiences
Alors que des audiences spéciales Vif ont lieu tous les vendredis avec une durée « de cinquante minutes minimum pour traiter correctement chaque dossier », « l’explosion du contentieux vient cannibaliser toute l’activité pénale », regrette Luc Pèlerin, procureur adjoint et co-coordinateur du pôle Vif et ce alors que le tribunal, qui souffre d’un manque de moyens et de magistrats, est déjà engorgé. Une situation qui contraint les juges a prononcé des renvois d’audience avec la crainte que cela entraîne. « Mais quel dossier renvoyer ? On a peur de se tromper, car un dossier ne révèle pas tout », témoigne une magistrate du pôle Vif. « Au gouvernement, on propose des lois de finances qui proposent plus de postes : 700 magistrats ont déjà été recrutés pour aider la justice à absorber cet afflux de procédure », répond Éric Dupond-Moretti. Il y a un an, la présidente du tribunal et le procureur de Pontoise réclamaient 44 postes de magistrats. « Un minimum pour faire le travail tel qu’il existe aujourd’hui », soulignait alors Danièle Choulet-Caillet. Dans sa lutte contre les Vif, il en faudra sûrement encore plus.