L’État français condamné à verser 1,7 million d’euros à un assureur
La cour administrative d’appel de Versailles a condamné l’État à verser 1,7 million d’euros à l’assureur de la pharmacie des Flanades, qui avait été la cible d’un « incendie criminel » à Sarcelles, pendant les émeutes de 2014.
Cette pharmacie appartenant à l’époque à René Banon avait été la cible, le 20 juillet 2014, d’un incendie commis dans le cadre d’une manifestation propalestinienne qui avait dégénéré et engendré de nombreux dégâts dans des commerces appartenant à la communauté juive.
Manifestation
Un collectif d’habitants de Garges-Sarcelles avait en fait déclaré la manifestation en préfecture quatre jours avant sa tenue le dimanche 20 juillet à 15h, aux abords de la gare Rer de Garges-Sarcelles. Le préfet de l’époque, Jean-Luc Névache, avait alors pris un arrêté pour interdire « toute manifestation ou rassemblement de 12h à 20h sur le parcours déclaré ainsi qu’aux abords des synagogues et mosquées » dans un périmètre de 900 m autour de la gare car il craignait « des risques de troubles à l’ordre public ».
Mais finalement, à partir de 14h30, « des manifestants se sont néanmoins rassemblés sur place », rembobine la cour administrative d’appel de Versailles dans un arrêt en date du 6 février qui vient d’être rendu public. L’organisateur avait ensuite « appelé les participants à se disperser dans le calme » mais « les heurts sont survenus juste après ».
Les manifestants s’étaient donc dirigés vers la synagogue de Sarcelles et « des poubelles ont été incendiées et des voitures cassées sur leur passage ».
Des dégâts commis par des « casseurs »
L’intervention des forces de l’ordre avait permis « le repli »
de ces personnes mais « de petits groupes de jeunes »
s’étaient confrontés aux policiers et avaient commis « des dégradations », notamment sur le « mobilier urbain » et les « commerces » du centre commercial des Flanades.
La pharmacie Banon avait alors été pillée et incendiée, avant que « trois personnes »
ne soient interpellées. La compagnie d’assurances de l’officine n’en était toutefois pas restée là : Generali avait saisi le tribunal administratif de Cergy-Pontoise afin de faire condamner l’État pour sa propre « responsabilité » dans les divers préjudices subis par sa cliente. L’assureur avait ainsi obtenu plus de 1,6 million d’euros.
Reste que le préfet du Vald’Oise a fait appel de cette condamnation : le représentant de l’État considère que sa responsabilité ne doit pas être engagée car les dégradations de la pharmacie Banon sont « sans lien avec la manifestation » pro-palestinienne qui s’était tenue ce jour-là. Elles ont en fait été commises « par un groupe structuré à la seule fin de les commettre », assurait le préfet.
Mais en réponse, l’assureur de l’officine avait souligné que les dégradations avaient bien été commises par des « manifestants » et « non par des casseurs ayant prémédité leur action ». L’État a donc bien commis « une faute lourde » dans la mise en oeuvre de ses pouvoirs de police.
« L’incendie de la pharmacie s’est ainsi produit au plus tard deux heures et demie après le début de la dispersion de la manifestation (...), par l’action de personnes présentes lors de la manifestation et à proximité du lieu de celle-ci », tranche ainsi la cour administrative d’appel de Versailles en préambule de son arrêt.
Une cinquantaine de jeunes
« Si le préfet soutient que les dégradations (...) ont été commises par un groupe structuré ayant l’intention de participer à de telles dégradations (...), il ne l’établit pas sur les pièces versées au dossier », poursuivent-ils.
L’autorité administrative pointait aussi le fait qu’elles avaient « uniquement » visé les « commerces tenus par des personnes de confession juive » pour en déduire leur
« caractère prémédité », mais
« ni le procès-verbal de police joint à sa requête », « ni la note blanche [des Renseignements généraux, ndlr] qu’il a produit » ne permettent de
« corroborer » cette allégation, en déduisent les juges.
La note blanche des RG indiquait d’ailleurs qu’une « cinquantaine de jeunes démontrant peu d’intérêt pour le thème prévu du rassemblement de son agrégés lors d’une conférence de presse », mais là encore, « ni cet élément ni les autres pièces du dossier » ne permettent de considérer que les dégâts causés sont « le fait d’un groupe (...) constitué et organisé auparavant dans le seul but de les commettre ».
Les dégradations - commises au moyen de « matraques », de « tirs de mortiers », « cocktails molotov » ou de « barres de fer » - sont donc bien « le fait d’un attroupement ou d’un rassemblement » au sens du Code de la sécurité intérieure, selon les juges administratifs.
Contrainte de déménager
Pour rappel, l’activité de la pharmacie n’avait pu reprendre qu’au bout de quatre mois, en novembre 2014, dans « un autre local bénéficiant d’une moindre clientèle de passage », jusqu’à sa réintégration dans les lieux d’origine deux ans après l’incendie.
Sa « perte de chiffre d’affaires » a au final été évaluée par des experts à partir de « la tendance d’activité (...) avant le sinistre », de la « concurrence locale » et de « la tendance observée sur le marché national de l’activité pharmaceutique ».
La « vétusté » du centre commercial et la « tendance négative » de l’activité sur les douze derniers mois, mises en avant par le préfet, avaient d’ailleurs été « prises en compte » dans leur rapport.
« En l’absence de tout autre élément de nature à infirmer les constatations et la méthode d’évaluation employée par ce rapport, il y a lieu d’estimer que l’arrêt provisoire de l’activité, puis sa poursuite dans un autre local (...) sont à l’origine d’une perte d’exploitation pour la société exploitant la pharmacie Banon d’un montant de 820 910 euros, soit le montant versé par la société Generali à son assurée », conclut la cour.
Au total, la condamnation de l’État a donc été légèrement réévaluée à la hausse par la cour administrative d’appel de Versailles : l’État devra verser 1,7 million d’euros à l’assureur du pharmacien, en plus de 1 500 € pour ses frais de justice.