Promenade insolite : Hôtel du Jazz
Une histoire méconnue, de jolis souvenirs : à l’été 64, le vieil Hôtel des Falaises à Jullouville est entré dans la légende du jazz.
Il y a, juste en face de la façade défraîchie à l’enseigne un peu rose bonbon sous les pins, une ruelle qui mène tout droit à la plage. Elle n’était pas goudronnée autrefois. C’était un simple chemin qui conduisait à la grève.
Summertime
La ruelle est encadrée de jolies maisons bourgeoises et de bicoques un peu usées. Dans les années 60, on appelait ce quartier “l’Edenville”, le petit paradis, en référence à l’une des premières belles maisons de vacances ainsi baptisée, construite à cette époque sur la colline qui marque l’entrée de Carolles à Jullouville. Le paradis si bien nommé, un certain Bud Powel l’a découvert presque par hasard à l’été 1964. Il fut l’une des très grandes légendes du jazz, le roi du be-bop. Cette musique jugée révolutionnaire cassait les codes du jazz classique. Son séjour à Jullouville il y a plus d’un demi-siècle a laissé des traces : le pianiste américain compagnon de route de Dizzy Gillespie, Charlie Parker, Miles Davis and co et dont le conseiller en France était l’un des amis de l’ancien propriétaire de l’hôtel, Roger Guerrier, joua chaque soir pendant une dizaine de jours dans la boîte de nuit alors accolée à l’établissement. Ses “jam sessions” en compagnie d’autres musiciens de passage, dont plusieurs granvillais de l’époque, furent enregistrées. Un disque collector a même été baptisé “Holidays à Endeville”. Certains sur place s’en souviennent encore. Daniel Lesguillier, aujourd’hui élu de Jullouville, avait 18 ans à l’époque. “C’était une ambiance extraordinaire. Nous avions le sentiment d’assister à quelque chose d’exceptionnel”. Et ça l’était vraiment. Le père du be-bop, dont la vie tumultueuse le fit séjourner régulièrement en hôpitaux psychiatriques, avait découvert Jullouville pour s’y reposer avant de rentrer aux Etats-Unis où une série de concerts l’attendait.
Jazz et... Chopin !
Christian Ducasse, talentueux photographe de presse installé à Champeaux, spécialiste du jazz et auteur d’un livre référence sur “Le monde des batteurs de jazz”, a retrouvé des photos de cette période. L’une d’elles est amusante, on voit Bud Powel rêveur, les pieds dans l’eau sur la plage de Jullou ! Elle a été prise par Jean Tronchot, l’un des fondateurs du magazine Rock and Folk qui s’était déplacé en Normandie pour rencontrer la star. Sur un autre cliché, le pianiste est allongé au pied de la digue de Jullou, entouré de quelques amis dont le saxophoniste Johnny Griffin qui débarqua lui aussi à l’Hôtel des Falaises pour accompagner son compatriote virtuose dont on raconte qu’il passait une grande partie de ses journées à faire ses gammes en jouant du Chopin ! Un autre encore montre la star américaine se rendant à la plage protégé du soleil par un parasol de bistrot tenu par un de ses proches, tel un body-guard veillant sur la santé de l’artiste. Souvenirs, souvenirs... L’Hôtel des Falaises n’a rien oublié. Son patron, Gilles Baron, que ses amis surnomment Cochise, renoue depuis plusieurs années avec la tradition. Epaulé de Christian Ducasse et d’Hervé Hec, autre passionné de jazz, il accueille des “jam sessions” à la saison, comme au bon vieux temps. Un avant goût jazzy de paradis, l’Edenville.
Pratique. Bar hôtel des Falaises, avenue Vauban à Jullouville.
Tél. 02 33 61 83 29.