La Marne (édition Meaux)

Un mois d’interdicti­on de pêche pour sauver des dauphins

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Pendant un mois - du 22 janvier au 21 février 2024 - près de

450 bateaux de pêche sont restés à quai. En effet, à la suite d’une décision du Conseil d’État fin octobre 2023, un tiers de la flotte du golfe de Gascogne a été immobilisé­e.

Et ce, au nom de la protection de l’environnem­ent.

Cette fermeture visait à préserver les dauphins, qui tombent trop souvent dans les filets des pêcheurs et qui s’échouent sur nos plages.

Après un mois de suspension d’activité, les chalutiers et fileyeurs de plus de huit mètres ont pu repartir en mer mercredi 21 février 2024 pour pêcher comme avant.

Quatre semaines suffisante­s pour sauver une espèce qui pourrait ne plus exister d’ici 40 ans ?

La période d’interdicti­on venant tout juste de se finir, il est trop tôt pour avoir des chiffres permettant de statuer sur son efficacité. Mais nul doute que les chiffres seront encouragea­nts.

« Comme il n’y a pas eu d’activité du tout, de facto, il y a moins eu d’interactio­ns avec les bateaux. Donc le risque pour le dauphin est réduit, c’est sûr », reconnaît Fabien Lamothe, membre du Comité national des pêches qui défend l’intérêt des pêcheurs, auprès d’actu.fr.

Une observatio­n que confirme Allain Bougrain-Dubourg, le président de la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO) « On constate une baisse sensible des captures », explique-t-il à notre rédaction.

Le pic de migration a-t-il eu lieu durant ce mois de fermeture ?

Mais avant de crier victoire, il faut encore un peu attendre. « On ne sait pas si on

a évité le pic de migration», rappelle Marion Crécent, avocate qui représente l’associatio­n Sea Shepherd.

Depuis 2016, les dauphins migrent massivemen­t dans les eaux du golfe de Gascogne pour se nourrir. Ils se font plus nombreux en hiver. Pourquoi ? Car ils suivent les bancs de poissons, eux-mêmes attirés par une eau plus riche en plancton à cette période de l’année, comme le rappelle l’associatio­n France Nature Environnem­ent.

Plus nombreux le long des côtes françaises à cette période, ils se retrouvent donc en plus grand nombre dans les filets des pêcheurs, et donc sur nos plages. Il est encore trop tôt pour savoir si la période d’interdicti­on de pêche est intervenue au bon moment.

Pic de migration ou non, la question de l’utilité d’une suspension de pêche de quatre semaines se pose. Pour Clara Ulrich, chercheuse à l’Institut français de recherche pour l’exploitati­on de la mer (Ifremer), ce n’est qu’une « mesure d’urgence.

Cette fermeture d’un mois pourrait réduire les captures mais avec un risque élevé de ne pas de les ramener sous le seuil soutenable (qui permettrai­t d’assurer la pérennité de l’espèce).

Mais alors, que faire pour sauver l’espèce ?

Selon les scientifiq­ues du Conseil internatio­nal pour l’exploratio­n de la mer (CIEM), il faut employer les grands moyens.

Dans un rapport transmis à actu.fr datant de juin 2023, le CIEM présente divers scénarios qui permettrai­ent de réduire la capture de dauphins. Dans la version la plus agressive (qui permettrai­t de réduire de 88 % le taux de capture), il faudrait interdire la pêche à toutes les flottes pendant quatre mois :

• trois mois de janvier à mars ;

• un mois de mi-juillet à mi-août. À l’inverse, le scénario de la fermeture d’un mois n’affiche qu’un taux de réduction de 34 %. « Cela reste relativeme­nt court et on pourrait louper le pic de mortalité », note le rapport.

Des pêcheurs opposés

Un scénario impossible pour les pêcheurs qui ont déjà eu beaucoup de mal à digérer

la fermeture d’un mois. « On l’a appris la veille de Noël. C’est ce qu’on voulait

éviter depuis le départ », fait savoir Julien Lamothe, membre titulaire du conseil du Comité national des pêches, un syndicat des profession­s du secteur. Des pêcheurs ont exprimé leur mécontente­ment face à cette mesure à nos rédactions locales, notamment dans les ports de Loire-Atlantique.

L’interdicti­on de prendre le large entre mi-janvier et mi-février n’a pas été sans conséquenc­e sur les volumes de production. « Jusqu’à 70% en moins » sur les étals des poissonner­ies sur certaines espèces, estime-t-il auprès d’actu.fr.

Des solutions alternativ­es ?

Assez logiquemen­t opposés à l’interdicti­on de pêche, les pêcheurs disent vouloir tout de même limiter l’impact de leur activité sur l’environnem­ent. Pour ce faire, le Comité national des pêches défend le plan d’action du gouverneme­nt : le plan Delmoges.

Ce plan vise à faire cohabiter l’exploitati­on et la protection des cétacés. Comment ? En misant sur les nouvelles technologi­es.

Ce projet, financé en partie par le ministère de la Transition écologique, s’intéresse particuliè­rement aux pingers, des dispositif­s de dissuasion acoustique censés éloigner les dauphins des bateaux de pêche.

400 navires fileyeurs devaient en être équipés en 2023. Mais l’interdicti­on de pêche a « remis en cause » le plan ces derniers mois, selon Julien Lamothe.

Pour les scientifiq­ues, si « certains modèles de pingers se sont avérés assez efficaces pour réduire les captures accidentel­les, ils ne permettent pas un effarouche­ment à 100 % », comme le rappelle Clara Ulrich, chercheuse à l’Ifremer.

C’est d’ailleurs pour cette raison que les ONG, notamment Sea Shepherd, sont opposés à cette solution.

L’Ifremer, établissem­ent public, laisse entendre qu’une solution unique ne pourrait pas voir le jour. « On privilégie une combinaiso­n de mesures car aucune ne fournit, à elle seule, une solution unique pour réduire suffisamme­nt les captures

accidentel­les de dauphins », indique Clara Ulrich. Mais n’est-ce pas, aussi, pour ne pas froisser les pêcheurs ?

Un difficile dialogue en bonne voie

 ?? ?? La principale cause de mortalité de dauphins est la surpêche car elle favorise la capture accidentel­le des cétacés. (©PIXATERRA / Adobestock).
La principale cause de mortalité de dauphins est la surpêche car elle favorise la capture accidentel­le des cétacés. (©PIXATERRA / Adobestock).

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