Charles Pépin : « le passé ne passe jamais »
Le philosophe Charles Pépin viendra présenter son livre « Vivre avec son passé, une philosophie pour aller de l’avant », mercredi 24 avril, à 19 h, à la librairie Michel, à Fontainebleau. Interview.
Le philosophe, romancier, et chroniqueur Charles Pépin sera à la librairie Michel à Fontainebleau, mercredi 24 avril pour présenter son dernier livre « Vivre avec son passé, une philosophie pour aller de l’avant ». Exit les belles paroles de Brel, non, rien ne peut s’oublier. Selon l’auteur, présent et passé sont indissociables. Bons et mauvais souvenirs nous forgent au quotidien. Explications.
➜ Pourquoi avez-vous souhaité vous pencher sur le sujet du passé ?
J’ai eu 50 ans, je suis arrivé dans ce milieu de vie. Il m’est apparu que l’enjeu, pour moi, maintenant, est de bien vieillir et non pas de rester jeune. Et puis, je me suis plongé dans les récentes découvertes de la neuroscience sur la nature des souvenirs et le fonctionnement de la mémoire. Ces deux éléments déclencheurs ont créé le livre.
➜ Le sous-titre de votre livre, c’est « une philosophie pour aller de l’avant ». Est-ce qu’aller de l’avant signifie faire la paix avec son passé ?
En effet, il s’agit d’avoir un rapport apaisé avec son histoire, mais cela ne passe pas simplement par une acceptation. Je comptais, au début, écrire un livre sur l’acceptation du passé et je me suis rendu compte qu’il s’agissait moins d’une acceptation que d’une intervention dans le passé.
➜ C’est-à-dire ?
Quand on comprend que nos souvenirs sont, en partie des fictions, des reconstructions, alors on comprend que, pour faire la paix avec son passé, souvent, il faut le ré-écrire, le réinterpréter, le revivre. Faire la paix avec son passé, d’accord, mais pas seulement en l’acceptant, en étant interventionniste. Plus nous savons ce dont nous héritons, mieux nous pourrons fonder un avenir nouveau.
➜ On entend pourtant souvent dire qu’il faut oublier le passé…
Notre illusion de la modernité fait que, pour inventer sa vie, il faudrait se détourner du passé, comme si le passé était passé. En réalité, le passé persiste dans le présent sous de multiples formes et notamment sous la forme de ces souvenirs dans notre cerveau qui sont malléables et mouvants. Pour aller de l’avant, il va falloir trouver la bonne distance avec ce passé.
➜ Comment fait-on pour trouver ce bon équilibre alors ?
D’abord, on se méfie du ressassement ou de la rumination. Et on se méfie aussi de cette illusion qu’on pourrait se débarrasser simplement du passé. Entre les deux, il y a une voie de la sagesse qui permet de trouver la bonne distance. Il faut d’abord savoir qui on est, avoir une bonne connaissance de soi et de son chemin. Ensuite, il s’agit de chercher dans le passé des indices de ce qui pourrait nous rendre heureux aujourd’hui et demain. Le passé est aussi un réservoir infini d’indicateurs sur ce qui pourrait nous rendre heureux demain.
➜ Comment trouver cet équilibre quand on a des souvenirs douloureux, voire traumatiques ?
L’idée, c’est de les retravailler pour mieux réussir à vivre avec. Et aller chercher les souvenirs heureux pour se réchauffer à la flamme des joies passées. Être heureux d’avoir été heureux afin d’éviter toute nostalgie.
➜ Concrètement, faut-il se donner des rendez-vous réguliers avec nos souvenirs ?
Avant de leur donner des rendez-vous, il faut au moins savoir les accueillir quand ils arrivent. À ce moment-là, il faut savoir arrêter de répondre à son mail et plus généralement de s’agiter dans une dictature quotidienne de choses à faire. Quand un bon souvenir à disposition, au lieu de le contempler, de rentrer dedans et d’insister, comme le montre Proust, on passe à autre chose et, du coup, on est mordu par une forme de nostalgie, parce qu’on ne prend pas le temps. Il suffit de se mettre en mode avion et de résister aux sollicitations du monde.
Et puis, en effet, on peut les convoquer, faire des méditations des bons souvenirs. Donner des rendez-vous à ses bons souvenirs, c’est tellement simple et tellement jubilatoire.
➜ Se souvenir des jours heureux peut pousser à la nostalgie aussi…
Dans la nostalgie, on regrette que ce passé ne soit plus. Alors qu’on devrait d’abord se réjouir que ce bonheur ait été.
D’accord, ce n’est pas très facile. Proust le montre bien, il faut insister un peu dans la réminiscence. Mais ce n’est pas difficile non plus. Nos bonheurs passés sont là, à disposition, dans notre mémoire, prêts à être revécus. Et d’ailleurs, souvent, revécus, d’une façon encore meilleure. Tous nos souvenirs sont des réécritures.
➜ Que faire quand c’est un mauvais souvenir qui surgit ?
On peut réécrire nos mauvais souvenirs pour mieux les supporter. Imaginons qu’on est en bateau. Le vent arrière représente tous les souvenirs du passé. Il faut bien régler la voile pour aller vers l’avant. Si elle est mal réglée, la voile va trembloter pour faire du sur-place. Avoir une bonne distance avec son passé permet de prendre le mouvement de la vie. Quand on avance, on voit les choses différemment. On se fait de nouveaux souvenirs avec des expériences nouvelles qui vont nous aider à mieux vivre avec les mauvais souvenirs.
➜ Votre madeleine de Proust, c’est une chanson…
Dans le livre, j’évoque, en effet, la chanson de Gainsbourg, Variations sur Marilou. Mais je pourrais aussi parler des gougères de Bourgogne, des paysages du Var… Ces madeleines nous montrent que le passé est bien là et qu’il a une odeur, une lumière, une mélodie. Le passé nous constitue, nous ne serions rien sans lui.
➜ Finalement, dans ce livre, il est question de passé, de présent, mais aussi de futur. Vous démontrez que le temps n’est pas une notion linéaire. Est-ce que ça rend la notion du temps qui
Si le vertige, c’est celui du temps qui passe et qui ne revient jamais, si c’est un vertige de l’irréversible alors évidemment, il s’agit d’en sortir puisqu’au fond, le passé n’est pas irréversible, il peut revenir. Ce qui est contre-intuitif, c’est que, pour que l’avenir soit ouvert, il faut que je connaisse le passé et non pas que je m’en désintéresse.
➜ D’ailleurs, vous affirmez qu’à force de vouloir oublier le passé, il revient comme un boomerang…
C’est ce que les psychologues appellent l’effet rebond. On ne peut pas décider d’éviter ce qui ne peut pas partir. Toutefois, l’évitement, ça marche au début. Si on veut oublier des souvenirs douloureux en surinvestissant sa carrière professionnelle, par exemple, au début, ça marche. Mais c’est un piège. Il y aura un effet rebond d’autant plus violent qu’on aura nourri l’illusion de s’être débarrassé du passé. Il vaut mieux regarder son passé, l’analyser et comprendre qu’on peut s’en alléger, mais jamais s’en débarrasser.
➜ Et, pour s’en alléger, vous parlez de méthodes empruntées à la neuroscience, comme le reparantage. Pourriezvous
C’est la forme la plus radicale de l’intervention dans le passé. Dans le reparantage, on n’intervient pas seulement sur l’émotion associée au souvenir, mais sur le souvenir lui-même en faisant intervenir une personne du présent dans le souvenir qui viendra l’adoucir. Un psychologue américain résume cela très bien en disant « il n’est jamais trop tard pour avoir une enfance heureuse ». On peut retravailler les souvenirs.
➜ Pourquoi certaines personnes ont peu de souvenirs d’enfance ?
La vie passe. Les souvenirs plus récents prennent la place. Néanmoins, les souvenirs d’enfance sont là, mais ils sont relégués en arrière-fond de la conscience. Pour les retrouver, il faut être davantage disponible à tous les phénomènes d’amorçage, c’est-à-dire être sensible au présent : les auteurs, les chansons, le papier peint, le ciel, les couleurs… cette attention au présent fait revenir le passé.
➜ Les sollicitations technologiques quotidiennes nous empêchent-elles d’être moins attentifs au présent ?
Disons que c’est à double tranchant. D’un côté, on est trop sollicités et on a moins de présence. En même temps, on garde plus de souvenirs dans des archivages, des vidéos, des photos. Les réseaux sociaux permettent d’archiver les souvenirs. Grâce à ça, on n’a plus d’indices de ce qu’on a vécu.
➜ Quel serait votre plus beau souvenir ?
Les rencontres amoureuses sûrement. Ce moment où la vie bascule, où on est soudain totalement décentré. On a l’impression que quelqu’un d’autre importe plus que soi. J’ai aussi de très beaux souvenirs d’émotion mystique dans la nature. Je me souviens une fois d’une trouée de soleil après une giboulée de grêle à Varangéville où j’ai eu l’impression de voir quelque chose d’éternel. Et puis, je garde également des souvenirs narcissiques, notamment quand j’ai eu l’agreg de philo. De bons souvenirs, j’en ai plein. En écrivant ce livre, j’ai appris à les méditer, à les chérir, à les entretenir, à passer du temps du temps avec eux.
■ Rencontre avec Charles Pépin, mercredi 24 avril, à la librairie Michel, 15 rue de la Paroisse, à Fontainebleau, à 19 h, entrée libre.