Alice Zeniter a fait salle comble
Vendredi 3 novembre, la librairie du Renard s’est une nouvelle fois transformée en salle de conférence pleine à craquer. Une centaine de personnes, rien moins, est venue à la rencontre d’Alice Zeniter pour l’écouter parler de son cinquième roman, « L’art de perdre », édité chez Flammarion et paru en août dernier.
Alice Zeniter est d’ailleurs venue en voisine, elle réside fréquemment entre Saint-Brieuc et Paimpol.
Valérie et Benoît Le Louarn, maîtres des lieux, sont rodés à l’exercice. Cette fois, pourtant, était un peu spéciale. Ils accueillaient une lauréate potentielle du prix Goncourt. Il a finalement été décerné, lundi, à Eric Vuillard.
« L’art de perdre »
Ce fut l’occasion aussi, pour Louise Pearce et Pol-Ewen Thomas, élèves de 1re ES au lycée Kerraoul, membres du jury du Goncourt des lycéens, d’interviewer la romancière en direct.
« L’art de perdre » s’articule en trois parties, trois générations successives. C’est tout d’abord l’histoire d’Ali, un algérien de Kabylie avant et pendant la guerre d’Algérie, sa vie heureuse avant, misérable ensuite dans un camp français puis dans une cité HLM de l’Orne, rejeté de son pays natal et si mal accueilli dans celui pour lequel il s’est battu.
Suivra la vie tourmentée de son fils aîné Hamid, tentant de trouver sa place malgré ce passé si lourd à porter, puis enfin de sa petite-fille, Naïma, qui cherchera à comprendre cette histoire que personne ne lui a racontée.
Sans fard
Alice Zeniter a soulevé l’admiration de son public. L’écrivain est sincère, sans fard et pour ne rien gâcher, drôle et modeste malgré son érudition Échanges : Louise : « Êtes-vous Naïma, l’héroïne de votre roman ? »
Alice Z. (S’exclame) : « Non ! Je suis la narratrice. » (Réfléchit) : « Quoique… Je pourrais l’être à la manière de Flaubert, Emma Bovary, c’est
moi ! Mais alors je suis tous les personnages, le grandpère, la grand-mère, tous les parents de Naïma. » (Sourit) : « C’est assez plaisant de se comparer à Flaubert. »
Pol-Ewen : « Que pensezvous de vos adversaires au Goncourt ? »
Alice Z. : « Des adversaires ? Non ! Ce sont des copains ! Heureusement car écrire est un travail solitaire. C’est bon de se lever le matin en se disant qu’on va passer de bons moments avec des amis. C’est ce qui nous arrive quand on est sélectionné pour un prix comme celui-ci. On circule de ville en ville, ensemble, c’est très chaleureux et réconfortant. On ne pense pas : Je vais le pousser dans l’escalator, ce sera un concurrent de moins puisqu’on n’a jamais vu attribuer le Goncourt à titre posthume. Sincèrement, pour moi, celui qui mérite le Goncourt chaque année, c’est Eric Vuillard. Tous les ans, je le lui donne. »
« Au Goncourt, je n’ai pas d’adversaires mais des copains »
Une saga historique
Benoît Le Louarn s’est étonné des passages terribles relatant la guerre d’Algérie. Alice Zeniter a passé beaucoup de temps à fouiller les textes relatant cette période pour écrire un roman très réaliste. « J’ai travaillé entre autres avec le livre de Pierre Bourdieu, Algérie 60. J’ai appris beaucoup grâce à lui. La société algérienne était déjà foutue à cette époque. La guerre a fait exploser les clans, comme le soc d’une charrue déchire les flancs d’une montagne. Le sommet reste intact, mais le sommet n’est pas le monde. »
Une spectatrice : « Vous êtes du côté des vaincus, comme l’annonce votre titre ? »
Alice Z. : « Oui ! L’histoire est toujours écrite par les vainqueurs. Il faut faire exister la version des vaincus. Quand on est vaincu, on reste silencieux, on croit avoir perdu le droit de parler. C’est une perte immense. Et un poids que l’on porte. Le silence est comme une page blanche. J’ai écrit dessus, trois générations plus tard, après avoir grandi avec ce poids sur mes propres épaules sans en comprendre la cause. »
Pol-Ewen conclut : « Vous mettez en lumière ce que la France passe sous silence. »
Alice Z. : « Oui. Et l’histoire se répète, c’est pareil aujourd’hui avec les migrants. Il leur faudra peut-être trois générations pour s’intégrer. Cela ne se décide pas de l’extérieur. »
La vie n’est pas un conte de fées
Louise : « Votre roman ne se termine pas vraiment, la fin reste ouverte. Y aura-t-il une suite ? »
Alice Z. : « Non. Mon livre ne se termine pas par Ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants parce que cela n’arrive jamais dans la vie. Les contes de notre enfance nous mentent. La vie est un combat quotidien qui ne s’arrête jamais. Par exemple la cause féministe s’est améliorée au fil des générations de l’histoire, mais il ne faut pas baisser la garde. La fin de mon roman n’est pas finissante pour exprimer la nécessité de la poursuite de ce combat-là, entre autres. »
« L’art de perdre » par Alice Zeniter - Alice Zeniter - éditions Flammarion - 512 pages - 22 €. Prochaine rencontre à la librairie du Renard : Emmanuel Le Page, dessinateur, auteur de ArMen, publié aux éditions Futuropolis le 1er décembre. Alice Hulot, correspondante