La Presse d'Armor

Port Lazo : le port du massacre ?

-

Il est des lieux dont le nom porte à s’interroger. À Plouézec, la grève de Port-Lazo en est un. En breton, PortLazo se dit Pors Lac’ho : le port de la tuerie ou du massacre. Difficile dans ce lieu paisible, que seuls les va-etvient des ostréicult­eurs viennent agiter, d’imaginer que, voici presque douze siècles, la mer avait pris la couleur du sang.

À l’abri de la pointe de Bilfot, à deux kilomètres du bourg de Plouézec, se niche Port Lazo. Une plage caillouteu­se agrémentée de maigres étendues de sable. Une plage familiale, surtout fréquentée par les locaux.

L’abbé Guézou, recteur de Plouézec de 1842 à 1875, est le premier à soulever le mystère de ce nom si effrayant. C’est sous son ministère, en 1848, qu’ont commencé les travaux d’édificatio­n de l’actuelle église de Plouézec. Construite selon les plans de l’architecte Alphonse Guépin, l’église a été achevée en 1854 et consacrée en 1868.

Officielle­ment, l’église s’appelle Église Saint-Pierre mais, dès le début, les paroissien­s l’appellent « Notre-Dame du Gavel » (Gavel signifie berceau en breton). Pourquoi ce nom ? C’est l’énigme que l’abbé Guézou a tenté de résoudre. Ses recherches l’ont amené au IXe siècle…

À l’époque, Port-Lazo (qui donc ne s’appelait pas encore Port-Lazo) était un havre assez accueillan­t protégé par la Pointe de Bilfot et les deux rochers de Mez-Goëlo. C’est cet endroit en apparence paisible que choisirent des visiteurs indésirabl­es venus de la mer pour venir explorer la terre de Bretagne. « Les Anglais, raconte l’abbé Guézou, abordèrent avec une flotte les côtes de Plouézec et y opérèrent une descente à l’effet de guerroyer et d’envahir le pays. Ils portèrent le ravage et la désolation, avançant ainsi à l’intérieur des terres avec un horrible carnage. »

Il est bien probable que ces Anglais qui débarquère­nt un beau matin sur les côtes plouézecai­nes aient plutôt été Normands. Et même Vikings… Car les Anglais vont attendre le XVe siècle et la Guerre de Cent Ans pour organiser des excursions en France. Ceci dit, par commodité et pour respecter la légende, ces Vikings seront dans ce récit des Anglais.

Un périple sanglant

Ces Anglais se lancent dans un périple sanglant, avec toute sa cohorte de viols, carnages et pillages. Ils poussent leur incursion jusqu’aux alentours de Pont-Melvez où ils rencontren­t une forte résistance de la part des habitants qui les forcent à se replier.

À l’endroit où les héroïques autochtone­s se sont élevés contre l’envahisseu­r, une croix est érigée pour commémorer l’événement « dans ce lieu arrosé de sang ». Cette croix est nommée « Kroaz ar forc’h houarn », croix de la fourche de fer, l’arme favorite des locaux qui avaient eu le courage de s’opposer aux Anglais.

« Le ravage et la désolation »

Leur périple ayant été, somme toute, fructueux, les Anglais décident d’arrêter là leur excursion sanglante et de se replier vers Plouézec où les attendent leurs bateaux, à l’échouage à Port-Lazo. D’autant plus vite qu’ils sont pourchassé­s par les Bretons qui ont bien l’intention de profiter de leur avantage psychologi­que, et surtout numérique - la troupe grossissan­t au fur et à mesure qu’on s’approchait de la côte pour leur tailler des croupières.

« Un affreux carnage »

Les Anglais ne savent pas encore que, pour eux, tout espoir de quitter la terre de Bretagne, aujourd’hui si hospitaliè­re, est vain. En effet, pendant que la troupe semait la terreur et la désolation à l’intérieur des terres, les femmes de Plouézec se sont ruées sur les bateaux anglais à l’échouage et sur les équipages : « Il se passa alors, rapporte l’abbé Guézou, un affreux carnage et les femmes parvinrent à exterminer tous les marins anglais qui étaient restés à bord et terminèren­t leur victoire en brûlant tous les navires ennemis. » De cet épisode, les Plouézécai­nes gardent, par-delà les siècles, une

réputation de férocité (qui n’est, bien entendu, pas justifiée).

En arrivant à Port-Lazo, le combat est inévitable : « Le massacre, reprend l’abbé Guézou, fut atroce de part et d’autre. Cet endroit de la côte, où eut lieu la destructio­n de la flotte anglaise fut appelé, et s’appelle encore, Porz Lac’ho, ou port de la tuerie, du massacre. »

Une chapelle où périt le dernier ennemi

Les Anglais rescapés durent gagner les hauteurs et former un camp provisoire. Le capitaine breton, qui avait de la religion et, toujours selon l’abbé Guézou, « avait souvent invoqué le secours de la Vierge dans ses batailles » fit le voeu de bâtir une chapelle sur le lieu où périrait le dernier ennemi. Ce fut sur les hauteurs de Kérity que les combats s’achevèrent, une fois le dernier envahisseu­r envoyé ad patres, « dans une plaine située au nord du village de Lan Kolaz et proche de Kerguemest. »

C’est à cet endroit que fut donc érigée la fameuse chapelle qui prit le nom de Notre-Dame du Gavel. De l’endroit où finit le combat, un ruisseau coulait vers Goas-Plat où il formait une mare. Cette mare fut appelée Poul ar Glac’har (mare de l’affliction).

Deux versions s’opposent pour expliquer ce nom. Certains disent que la mare fut rougie du sang des assaillant­s anglais, d’autre qu’elle fut comblée par les cadavres des combattant­s de cette terrible bataille.

De la chapelle Notre-Dame du Gavel, il ne reste plus de trace. Elle a été démolie à la fin du XVIIIe siècle par Monsieur Serel des Forges qui, avec les pierres, fit construire une grande maison à Lan Kolaz et un moulin à Beauport.

À cette époque (et ce jusqu’en 1834), cette partie de Kerity et l’abbaye de Beauport faisaient partie de la paroisse de Plouézec. C’est donc tout naturellem­ent que l’autel de la chapelle et les statues de Notre-Dame du Gavel et de Saint-Joseph qui s’y trouvaient furent transférés vers l’ancienne église de Plouézec (qui se trouvait à peu près à l’emplacemen­t de l’actuelle).

En 1906, la statue de NotreDame du Gavel vint, en procession, de Beauport à Plouézec. Elle était précédée de femmes porteuses de fourches, rappelant ainsi les événements terribles de Port-Lazo. La fontaine, située sur la place du bourg de Kerity, serait aussi le seul vestige de la chapelle.

Décidément maudite pour les voyageurs venus de l’autre côté de la Manche, Port-Lazo fut le théâtre, plus de mille ans plus tard, d’un autre drame. Lorsque Benignus Stefan, pilote tchèque de la Royal Air Force, trouva la mort sur la grève de Port-Lazo le 8 mars 1943, abattu lors d’un combat aérien.

François CABIOC’H

Les femmes de Plouézec à l’assaut Des fourches à la procession

 ??  ??
 ??  ?? Port-Lazo est aujourd’hui bien calme…
Port-Lazo est aujourd’hui bien calme…

Newspapers in French

Newspapers from France