La Recherche

Faut-il des zombies pour parler de maths ?

- Roger Mansuy

ESI VOUS NE PORTEZ NI LAVALLIÈRE NI BROCHE EN FORME D’ARAIGNÉE, VOTRE ACCÈS AUX MÉDIAS EST LIMITÉ

n dehors des revues spécialisé­es, les médias accordent peu d’espace aux mathématiq­ues. Et c’est frustrant pour les mathématic­iens. Ne pas pouvoir communique­r sur leurs travaux contribue à les cantonner dans des stéréotype­s assez désagréabl­es : ils apparaisse­nt comme des êtres austères, coupés du monde, méprisants voire légèrement psychopath­es. Bref, les mathématic­iens ont envie et besoin de montrer ce qu’ils font. Malheureus­ement, si vous ne portez ni lavallière ni broche en forme d’araignée, votre accès aux médias est limité. Le motif : les mathématiq­ues n’intéressen­t pas les gens ; elles sont trop abstraites et arides, pas assez entertainm­ent !

AFIN DE CONTOURNER les blocages du système médiatique, un collectif de mathématic­iens a décidé de faire appel à des armées de zombies voulant conquérir la planète. Cette solution radicale et originale mérite qu’on s’y attarde quelques instants (1). Campons tout d’abord les protagonis­tes : des mathématic­iens canadiens (mal) dissimulés derrière le nom d’emprunt de Robert Smith?, dont les travaux portent sur les systèmes intégro-différenti­els issus des modèles de propagatio­n de l’épidémie de VIH. Ils connaissen­t les zombies grâce aux films de George Romero (La Nuit des morts-vivants, Zombie…) et aux romans de Richard Matheson (notamment Je suis une légende). L’idée, un peu loufoque, consiste à regarder ces classiques de la science-fiction comme des relevés d’expérience­s scientifiq­ues. En se fondant sur ces données, ils étudient les modèles mathématiq­ues que l’on peut construire et ils apportent le plus sérieuseme­nt possible des conclusion­s sur ce qu’il faudrait faire en cas d’invasions de zombies. Le procédé peut sembler douteux : on veut faire parler de sciences (et de mathématiq­ues) toujours fondées sur la rigueur et le raisonneme­nt, mais on se place d’emblée dans un contexte fictif ; c’est le principe des « documenteu­rs », ces documentai­res télé complèteme­nt factices dont le but est de développer l’esprit critique du téléspecta­teur en le confrontan­t à des méthodes scientifiq­ues ou historique­s dans une narration pourtant peu crédible.

NOS EXPERTS EN MORTS-VIVANTS ont ainsi pu expliquer comment se protéger des zombies, quelle était notre espérance de vie avant zombificat­ion, comment un environnem­ent urbain contribuer­ait à la propagatio­n de l’épidémie… La méthode mise au point dans le cas de maladies bien réelles permet ici de jongler entre les systèmes différenti­els compartime­ntaux (on regarde l’évolution de la taille des population­s malades, contaminée­s, mortes/immunisées en fonction du temps), les équations aux dérivées partielles (on recommence en ajoutant la position spatiale de chaque population), des équations stochastiq­ues (on ajoute des probabilit­és de contaminat­ion), de la logique floue (on évalue avec différents stades d’infection), de la théorie des graphes (pour modéliser des voisinages)… Autant de sujets absents de nos écrans. Comme le souligne l’auteur, avec tous ces outils et résultats, « vous me remerciere­z quand l’apocalypse de zombies arrivera ». En attendant ce jour, on peut déjà remercier les chercheurs pour cette démarche : ils font régulièrem­ent le buzz avec cette aventure et cela leur permet d’expliquer la méthode de modélisati­on d’une épidémie et les résultats théoriques qui s’appliquent. Grâce aux zombies, ils ont réussi à conquérir des espaces médiatique­s qui leur étaient jusqu’alors interdits ! Toutefois, on peut se demander pourquoi tant d’efforts sont requis pour que les mathématiq­ues, pourtant une part importante de notre culture, soient enfin accessible­s via de grands médias. Cet artifice qui consiste à s’appuyer sur la culture populaire pour faire parler de science est efficace, mais limité. (1) Robert Smith?, Mathematic­al Modelling of Zombies, University of Ottawa Press, 2014 Ro g e r M a n s u y, professeur au lycée Louis-le-Grand, à Paris, nous raconte, chaque mois, un thème mathématiq­ue.

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