TRIBUNE D’ULRICH DIRNAGL
Les avancées récentes de la recherche biomédicale fournissent d’innombrables opportunités pour le développement de stratégies préventives et thérapeutiques innovantes. Hélas, seule une petite partie de ces découvertes, si efficaces lors des tests précliniques sur animaux, rencontrent ensuite le succès au stade de l’application clinique, lors des essais sur l’homme. Ce taux élevé de déperdition peut être mis en lien avec les inquiétudes sur la fiabilité et la reproductibilité de la recherche biomédicale. Il existe des faiblesses substantielles dans la manière de planifier, de conduire, d’analyser et de rapporter ce type de recherche ; il existe aussi des problèmes de contamination ou de mauvaise identification des réactifs et des lignées cellulaires. Dès lors, rien de surprenant à ce qu’une majorité de scientifiques du domaine aient le sentiment de se trouver au milieu d’une « crise de reproductibilité ». Comment la surmonter ? Les chercheurs ne sont pas incités à résoudre ces problèmes par eux-mêmes ; et quand bien même ce serait le cas, je ne crois pas qu’ils en aient les moyens. Selon moi, c’est aux institutions scientifiques (universités, organismes de recherche, sociétés professionnelles, revues scientifiques, etc.) et à ceux qui financent la recherche de trouver les moyens de surmonter la crise de reproductibilité en biomédecine. Cela passe par la mise en place de structures et de systèmes d’incitation alternatifs, à même d’empêcher que les pratiques scientifiques soient guidées par de mauvais intérêts. Il existe toute une série de réformes institutionnelles possibles. En voici une sélection, dont la mise en oeuvre devrait être vérifiée, certifiée et approuvée par les agences de financement. Il faut par exemple que les institutions scientifiques fournissent l’accès complet aux résultats de la recherche qui est menée en leur sein ; cela n’est possible qu’en instaurant l’accès ouvert aux publications et à toutes les données de recherche. Il est également nécessaire de mettre à disposition des chercheurs des outils tels que le cahier de laboratoire électronique, qui permet de conserver une trace numérique de tout le travail entrepris, et de partager plus facilement les projets de recherche et les données obtenues. Les institutions scientifiques doivent par ailleurs établir des normes de bonne pratique, qui garantiront le respect des mesures destinées à prévenir les biais de recherche : l’analyse en aveugle, la réplication des expériences… Leur mise en oeuvre doit être contrôlée par des audits réguliers et aléatoires des laboratoires et des départements de recherche. Enfin, il faut que ces institutions mettent sur pied des programmes obligatoires de formations pour tous leurs spécialistes en biomédecine – quelle que soit leur expérience –, qui doivent aborder la conception des expériences, l’analyse et l’interprétation des données, ou les méthodes pour bien rédiger un rapport. Ces mesures, globales, pourraient être couplées avec d’autres, propres à chaque établissement de recherche. L’ensemble pourrait être intégré dans un algorithme servant de base, par exemple, pour les demandes de financement compétitives.
DU TEMPS ET DES RESSOURCES
Il existe donc pléthore de mesures pour améliorer la qualité de la recherche biomédicale. Mais une « culture de la qualité » ne verra le jour que si ces mesures sont combinées avec le développement d’indices novateurs : il est indispensable que les institutions scientifiques honorent un travail de recherche fiable au même titre qu’un autre faisant preuve d’originalité. Elles doivent aussi définir des sanctions appropriées pour les scientifiques dont les travaux ne respectent pas le niveau d’exigence de ces normes. Les institutions scientifiques et les organismes de financement de la recherche ont le pouvoir de transformer la recherche biomédicale. Cela demande de la détermination, du temps et des ressources. Mais le jeu en vaut la chandelle. Car la récompense d’une recherche plus robuste et plus prédictive, qui serait à la hauteur de l’immense potentiel de la recherche biomédicale moderne, c’est l’amélioration de la santé humaine.