Quand l’intestin agit sur le cerveau
Des bactéries du microbiote intestinal favoriseraient le développement de cavernomes, des malformations vasculaires cérébrales.
Nichées dans l’obscurité du tube digestif, certaines bactéries du microbiote intestinal joueraient un rôle majeur dans le développement de malformations vasculaires cérébrales. Une équipe internationale, menée par Mark Kahn, de l’université de Pennsylvanie, aux États-Unis, a en effet montré que la présence dans les intestins de bactéries à gram négatif accélère la formation d’angiomes caverneux (1). Aussi baptisé es« cavernomes », ces malformations cérébrales se manifestent par la dilatation et l’agglomération de petits vaisseaux qui peuvent déclencher des crises d’épilepsie et des hémorragies cérébrales. À ce jour, en dehors de la chirurgie, aucune solution ne permet de traiter ces lésions qui touchent une personne sur 200. En 2013, Élisabeth TournierLasserve, de l’Inserm, et son équipe découvrent que l’apparition des cavernomes résulte de la perte de fonction de l’un des trois gènes CCM (cerebral cavernous malformations) à la suite d’une mutation (2). « Mais nous avions remarqué que, dans une même famille, certains membres présentaient de nombreux cavernomes, très grands et suceptibles de causer des hémorragies, tandis que d’autres, tout en étant porteurs de la même mutation, pouvaient vivre sans rencontrer de problèmes », souligne Elisabetta Dejana, de la Fondation italienne pour la recherche sur le cancer, à Milan. Ce premier résultat suggérait un rôle important de l’environnement. Cette intuition a été confirmée par l’expérience de l’équipe de Mark Kahn. Les biologistes ont élevé deux lignées de souris dépourvues d’un des trois gènes CCM. Ces dernières développaient alors de nombreux cavernomes. Mais, de façon étonnante, une fois transférés dans un autre vivarium, leurs petits ne portaient pratiquement plus de malformations. Mis à part une poignée d’entre eux, chez qui les chercheurs ont décelé la présence de bactéries de gram négatif dans la flore intestinale. Lorsqu’elles sont détruites, ces bactéries ont pour particularité de libérer dans la circulation sanguine une endotoxine de leur paroi. Celle-ci se fixe alors à un récepteur de l’immunité, présent notamment à la surface des cellules qui tapissent les vaisseaux sanguins du cerveau. Les biologistes ont donc eu l’idée d’injecter chez les souris mutées un antagoniste du récepteur qui empêche la fixation de la toxine. Ce qui a réduit jusqu’à 90 % la formation de cavernomes.
RÉSULTAT PROMETTEUR
Cette étude confirme le rôle de l’endotoxine. Lorsque cette dernière traverse le tube digestif et rejoint la circulation sanguine, elle se fixe sur son récepteur et déclenche une cascade de réactions chimiques qui accélère le développement des cavernomes. « Ces résultats sont très importants, car jusqu’ici on savait que le microbiote jouait un rôle dans le développement de certaines maladies comme l’obésité, mais on ne comprenait pas comment, souligne Elisabetta Dejana. Ici, les auteurs élucident le mécanisme en jeu. Et c’est prometteur, car on peut envisager d’inhiber l’activité de l’endotoxine et de changer le microbiote des personnes dont on sait qu’elles présentent une mutation pour limiter le développement des cavernomes et réduire leurs effets. » Mais, comme le rappelle la chercheuse, avant cela, il faudra confirmer ces résultats chez l’homme.