Cognition animale Le grand corbeau, malin comme un singe
Les hommes et les grands singes ne sont pas les seuls animaux à savoir ajuster leurs décisions immédiates en fonction des événements à venir. Le grand corbeau possède lui aussi cette faculté de planification.
Avant de quitter votre appartement, vous emportez avec vous un portefeuille et un sac à dos, car vous savez que vous allez en avoir besoin pour faire vos courses. Cette séquence d’actions paraît anodine et, pourtant, elle requiert une capacité de représentation abstraite des événements à venir. Jusqu’à présent, on pensait cette compétence unique aux humains et aux grands singes. Mais des éthologues du département des sciences cognitives de l’université de Lund, en Suède, ont démontré que le grand corbeau (Corvus corax) possède lui aussi cette capacité de planification (1). « On savait le grand corbeau capable de cacher la nourriture et de la stocker pour plus tard, explique Valérie Dufour, éthologue au CNRS à Strasbourg. Mais on ne savait pas si cette aptitude était généralisable à d’autres contextes que celui de la cache. » Pour le vérifier, les éthologues ont adapté un protocole conçu au départ pour les grands singes (2). Le principe ? Cinq corbeaux nés en captivité sont entraînés à deux comportements : l’utilisation d’un outil – un caillou – pour ouvrir une boîte renfermant une récompense – de la nourriture –, et le troc auprès d’un humain d’un jeton contre une récompense.
Contrôle de soi
Chaque corbeau est ensuite mis en présence de la boîte renfermant la récompense, mais sans outil pour l’ouvrir. Puis la boîte est retirée de la volière. Une heure après, plusieurs objets – dont l’outil – sont mis à disposition du corbeau. Ce dernier doit alors faire un choix et n’en sélectionner qu’un seul. Après un quart d’heure, la boîte est réintroduite dans la volière. Résultat : dans 78 % des cas, les corbeaux parviennent à sélectionner l’outil quinze minutes avant d’en avoir l’usage et réussissent ainsi à récupérer la récompense lorsque la boîte est réintroduite dans la volière. Dans une deuxième expérience, la boîte est réintroduite dix-sept heures après, avec le même succès (88 %). Dans un autre test où l’outil est remplacé par un jeton, le taux de réussite est toujours aussi bon. Mieux encore, si les corbeaux ont le choix entre une récompense immédiate ou l’outil, ils renoncent à la récompense dans plus de 73 % des cas, au profit de l’outil qui leur donne accès à une récompense plus tardive (la boîte est introduite quinze minutes après), mais plus appétissante. Les corbeaux font ainsi preuve d’un contrôle de soi et d’une capacité de planification au moins équivalente à celle des grands singes. (1) C. Kabadayi et M. Osvath, Science, 357, 202, 2017. (2) V. Dufour et E.H.M Sterck, Behav. Process., 79, 19, 2008.