La Recherche

La bave, matériau bio du futur?

Une bave qui se rigidifie sous l’effet d’une traction : c’est ce que produisent de petits invertébré­s ressemblan­t à des limaces, au moment où ils visent une proie. De quoi inspirer la synthèse de nouvelles fibres.

- Aline Gerstner

Mieux comprendre les propriétés particuliè­res de la « bave » des onychophor­es pourrait contribuer à la mise au point de nouvelles fibres recyclable­s, plus respectueu­ses de l’ environnem­ent. Ces invertébré­s terrestres de l’hémisphère sud – Afrique centrale et australe, Amérique du Sud, Malaisie, Australie – chassent en projetant un fil collant sur les vers et les arthropode­s qui croisent leur route. Le fil se rigidifie ensuite, emprisonna­nt les victimes. Alexander Bär, doctorant à l’université de Cassel, en Allemagne, et ses collègues se sont penchés sur cette technique digne de Spider-Man chez une espèce d’onychophor­e, Euperipato­ides rowelli, appelée aussi ver de velours (1).

Protéines et lipides

La sécrétion, qui provient de glandes situées de chaque côté de la tête, est principale­ment constituée de protéines et de lipides. Les auteurs de l’étude ont découvert que ces molécules se combinent en globules mesurant environ 75 nanomètres. Lorsqu’une proie est atteinte par un fil de bave, elle exerce, en se débattant, une force sur le filament. Les protéines s’assemblent alors en polymères qui constituen­t le coeur de la fibre. Les lipides, quant à eux, recouvrent les protéines en formant une sorte de gaine autour de la fibre. Cette dernière perd son caractère adhésif, mais devient aussi rigide que le nylon. La rigidité de la bave est donc obtenue par une contrainte mécanique ; les chercheurs doivent encore comprendre comment. Une autre propriété surprenant­e de ce polymère a été mise en avant : les fibres rigidifiée­s peuvent être régénérées. En effet, elles sont solubles dans l’eau ; protéines et lipides reforment alors les mêmes globules qu’au départ. Et à partir de cette bave recyclée, il est possible d’obtenir de nouveaux filaments collants.

Adapter le mécanisme

« La preuve de concept qu’apporte cette étude est intéressan­te, explique Costantino Creton, directeur de recherche CNRS à l’École supérieure de physique et de chimie industriel­les de la ville de Paris. L’idée serait de transposer ce mécanisme à un système synthétiqu­e, pour fabriquer des fibres aux propriétés comparable­s à partir de matériaux naturels et recyclable­s. En effet, l’obtention de fibres de carbone ou de Kevlar, par exemple, passe par des processus lourds, impliquant des solvants organiques, peu respectueu­x de l’environnem­ent. » Les applicatio­ns industriel­les sont toutefois encore loin. L’objectif, dans l’immédiat, est de s’atteler à mieux comprendre le mécanisme de formation de ces fibres. Il s’agit notamment de découvrir quel est le type d’interactio­n entre les molécules. (1) A. Bär et al., Nat. Commun., 8, 974, 2017.

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Le ver de velours, ou onychophor­e, sécrète des fils de polymère constitués de fibres rigides qui intéressen­t les chercheurs.

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