Quand les chimistes tablaient sur les affinités
Pendant des siècles, la théorie des affinités électives a fédéré les plus grands chimistes européens, qui rivalisaient de tables pour caractériser l’attraction spéciale de certains éléments entre eux. Avant que Claude-Louis Berthollet, inventeur de la con
Le soufre noircit et brûle en général les métaux à cause de l’affinité naturelle qu’ il a pour eux », écrit vers 1250 l’évêque et alchimiste Albert le Grand. C’est là, dans le vocabulaire chimique, l’une des premières mentions du mot « affinité », alors entendu comme une force expliquant l’attraction spéciale de certains éléments entre eux et les réactions chimiques qui aboutissent à leurs combinaisons. Les spéculations sur la nature de cette force varient au cours des siècles : mystérieux lien alchimique, parenté entre éléments qui chercheraient à retrouver une union antérieure (selon l’Allemand Johann Conrad Barchusen en 1698), attractions gravitationnelles entre particules de matière (selon le physicien anglais Isaac Newton), forces électriques ou magnétiques, contraintes géométriques, aspirations à des formes parfaites (pour le naturaliste français Buffon). Quelques chimistes cartésiens, tel Nicolas Lémery, se méfient de ce qui peut passer pour une « force occulte » et évoquent une chimie fondée sur des petites particules de formes diverses et complémentaires, agitées par les mouvements d’un fluide subtil, comme l’éther. Mais ils peinent à convaincre. Alors, durant une grande partie de l’histoire de la chimie, l’étude des réactions consiste à rechercher, dénombrer, caractériser différents types d’affinités. Des affinités d’agrégation (entre particules de même matière), de composition (formation d’un composé nouveau), de dissolution, de décomposition, affinités doubles (réactions entre corps composés)… Chaque grand chimiste part ainsi à la « chasse aux affinités » et se doit de tenter de construire un système organisé et cohérent. Dès 1648, l’Allemand Johann Rudolf Glauber range les métaux par ordre d’« affinité » pour le mercure, c’est-à-dire leur facilité à former des amalgames mercuriques. Étienne-François Geoffroy, professeur au Jardin du roi, actuel Jardin des plantes, publie en 1718 une première table d’affinités de 16 colonnes, chacune représentant un élément alchimique en dessous duquel sont placés les éléments réagissant avec lui.
Plusieurs milliers de cases
En 1775, le Suédois Torbern Bergman construit un tableau d’affinités de 64 colonnes et 50 lignes – soit plusieurs milliers de cases remplies de symboles alchimiques ! La table de Bergman permet assez bien de prévoir le sens des réactions acido-basiques. Ainsi, le carbonate de sodium (natron) réagit avec du chlorure de calcium