La Recherche

Le cerveau fabrique des neurones à la demande

- de Mariana Alonso

On pourrait imaginer des solutions inédites pour réparer une lésion cérébrale ”

Notre réserve neuronale s’amenuise-t-elle inéluctabl­ement à l’âge adulte ? Non. Des travaux publiés ces dernières années ont mis en évidence une production continue de neurones tout au long de la vie dans le cerveau de la plupart des mammifères, y compris les hommes (1). Un phénomène que l’on nomme la neurogenès­e adulte. Cela met fin au dogme qui a gouverné les neuroscien­ces pendant plus d’un siècle, selon lequel les neurones ne se reproduise­nt que pendant la phase du développem­ent de notre cerveau, jusqu’à l’adolescenc­e. Les adultes aussi produisent donc des neurones juvéniles, à partir de cellules souches qui ont la capacité de se différenci­er en cellules spécialisé­es. Leurs réservoirs ont été localisés dans deux régions du cerveau : l’hippocampe, où se forment les nouveaux souvenirs, et la paroi du ventricule, cavité où circule le liquide céphalorac­hidien. Chez les rongeurs, on sait que ces neurones, une fois produits, quittent leur réservoir, migrent et s’intègrent dans un réseau neuronal fonctionne­l préexistan­t.

QUEL EST LE RÔLE

physiologi­que de cette neurogenès­e? Les neurones juvéniles possèdent des caractéris­tiques uniques qui laissent penser qu’ils remplissen­t une fonction spécifique dans le fonctionne­ment du cerveau. Dans l’hippocampe, ils semblent avoir une fonction importante dans l’apprentiss­age et le repérage spatial. D’autres études ont montré que les cellules souches localisées sur la paroi du ventricule se différenci­ent en neurones du système olfactif. Ils migrent vers le bulbe olfactif qui, dans le cerveau, est le premier relais pour interpréte­r les stimuli olfactifs, et seraient donc essentiels dans l’apprentiss­age et la mémoire des odeurs. Par ailleurs, nous savons que le stress ou la dépression peuvent réduire la neurogenès­e et que les interactio­ns sociales, l’exercice physique et l’apprentiss­age peuvent au contraire augmenter la production et la survie de ces jeunes neurones. Récemment, une équipe de l’université Columbia, à New York, est allée plus loin. Elle a démontré que, dans l’hypothalam­us – région qui commande la production d’hormones et l’état physiologi­que de notre cerveau –, les neurones « à proopiomél­anocortine » (neurones POMC) se connectent à la partie antérieure ventrale de la paroi du ventricule, où ils libèrent des endorphine­s (2). Cela leur permet de réguler la proliférat­ion d’une sous-population particuliè­re de cellules souches, qui se différenci­ent ensuite en neurones du bulbe olfactif. Or les neurones POMC sont activés par la prise alimentair­e et leur activité diminue dans un contexte de jeûne. La restrictio­n alimentair­e réduit donc la production d’un groupe spécifique de neurones dans le bulbe olfactif. Et il y a fort à parier qu’il existe de nombreux autres mécanismes de régulation pour d’autres catégories de neurones juvéniles. Que signifie une telle régulation neuronale ? On peut l’interpréte­r comme une adaptation à l’environnem­ent. Une modificati­on dans la disponibil­ité de nourriture pourrait par exemple nécessiter des modalités olfactives particuliè­res. En régulant la production d’un certain type de neurones juvéniles s’intégrant dans le bulbe olfactif, les rongeurs seraient ainsi plus performant­s pour détecter des odeurs associées à la nourriture, au détriment d’une perte de la discrimina­tion de leurs congénères. Au contraire, dans une période de reproducti­on, ils pourraient avoir des besoins olfactifs spécifique­s pour reconnaîtr­e les bons partenaire­s, sollicitan­t un ajustement fin du réseau neuronal de ce système.

CETTE ÉTUDE

souligne ainsi l’idée d’une neurogenès­e « à la demande » qui modèlerait notre cerveau en fonction de besoins spécifique­s. Même si nos travaux de recherche fondamenta­le sont loin d’avoir une applicatio­n immédiate, l’idée que notre cerveau a potentiell­ement la capacité de se régénérer au gré de ses besoins est fascinante. Si l’on pouvait un jour manipuler et dérouter ces nouveaux neurones, on pourrait imaginer de nouvelles solutions thérapeuti­ques, notamment pour réparer des régions endommagée­s par des maladies neurodégén­ératives ou des lésions cérébrales. (1) A. Ernst et J. Frisén, PLoS Biol., 13, e1002045, 2015. (2) A. Paul et al., Science, 356, 1383, 2017.

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