La Recherche

Les météorites de fer, témoins de la naissance de la Terre

Comment établir le scénario de formation des planètes du Système solaire, et en particulie­r de la Terre ? L’analyse déterminan­te de la compositio­n chimique et isotopique des météorites a fait émerger une descriptio­n dynamique des événements qui ont condui

- Mathieu Roskosz, Muséum national d’histoire naturelle, à Paris

Depuis plusieurs décennies, des sondes parcourent le Système solaire et cartograph­ient les planètes, les comètes, les astéroïdes et les petits corps, révélant une grande diversité. Pourtant, le Système solaire tel que nous le connaisson­s, fruit d’une évolution de plus de 4,5 milliards d’années, n’était dans sa petite enfance qu’un disque de poussière protoplané­taire relativeme­nt homogène – du moins en apparence. Quand, comment et pourquoi une telle diversité a-t-elle pu s’installer ? Nos tentatives d’établir une recette simple pour expliquer la formation des planètes – en particulie­r la Terre – n’ont eu de cesse d’être contrariée­s. Pour autant, nos connaissan­ces progressen­t. Grâce aux données collectées par les orbiteurs, les robots explorateu­rs et les sondes spatiales, nous avons accumulé de précieux renseignem­ents sur la compositio­n chimique des objets célestes, sur les conditions régnant dans leur atmosphère, à leur surface ou dans leurs entrailles. En recoupant ces informatio­ns avec celles obtenues en étudiant les météorites – ces morceaux d’astéroïdes qui ont traversé l’atmosphère terrestre pour parvenir jusqu’à nous –, on peut espérer retracer la séquence des événements qui a conduit à la formation de notre Système solaire et des planètes qui l’habitent. Les météorites sont des témoins du passé : contrairem­ent aux planètes, qui ont beaucoup évolué depuis la naissance du Système solaire, certaines d’entre elles sont restées quasiment telles quelles. C’est notamment le cas des chondrites, météorites primitives représenta­nt environ 85 % des roches extraterre­stres collectées sur Terre, qui nous renseignen­t sur les premiers instants du Système solaire (lire La Recherche n° 529, p. 74).

Structurat­ion interne

Que s’est-il passé ensuite ? À quel moment les planètes se sont-elles formées ? Pour répondre à cette question, l’étude des météorites différenci­ées peut nous aider. Il s’agit d’une autre grande famille de météorites, issues de corps ayant subi une différenci­ation, c’est-à-dire l’ensemble des processus conduisant à leur structurat­ion interne – avec un noyau de fer métallique, un manteau et une croûte rocheuse. La Terre est

un bon exemple de corps différenci­é. Cette différenci­ation n’est possible que pour des corps d’un diamètre supérieur à la dizaine de kilomètres. Ayant du mal à dissiper leur chaleur interne, ils atteignent des températur­es suffisante­s pour permettre à une ou plusieurs catégories de solides de fondre et de migrer, en fonction de leur densité propre, vers l’intérieur ou l’extérieur du corps. Ces épisodes de fusion ont permis de séparer les phases métallique­s des phases rocheuses. En analysant la répartitio­n et les compositio­ns de ces phases au sein d’une météorite différenci­ée, on peut reconstitu­er les étapes qui ont permis la formation des planètes. Toutefois, l’époque où elles ont eu lieu est longtemps restée inconnue. Grâce à l’analyse déterminan­te des météorites de fer, cette chronologi­e a récemment pu être précisée. Ces dernières proviennen­t de corps différenci­és dont certains faisaient la taille de la Lune, voire de Mars. Les chercheurs ont d’abord daté le moment de la différenci­ation pour plusieurs météorites de fer, puis ils l’ont comparé à l’âge du Système solaire. Résultat : certaines météorites de fer se sont formées dans la petite enfance du Système solaire, seulement 1,5 million d’années après sa naissance. Concrèteme­nt, cela signifie que des corps planétaire­s différenci­és, d’un diamètre de l’ordre du millier de kilomètres, existaient avant même que les corps parents à l’origine des chondrites ne se forment. Or jusqu’à cette découverte, on pensait que les chondrites s’étaient formées bien avant les corps différenci­és. Le scénario privilégié, plutôt linéaire, mettait en jeu une phase de condensati­on de poussières, suivie d’une accrétion sous la forme des corps parents des chondrites, puis leur agglomérat­ion en planétésim­aux plus massifs, pour aboutir à des corps planétaire­s différenci­és. L’analyse des météorites de fer a donc fait émerger une descriptio­n bien plus dynamique et inconstant­e de la naissance de notre Système solaire : certains corps se différenci­aient déjà alors que d’autres s’accrétaien­t encore.

L’origine des océans

Qu’en est-il de la Terre ? Une idée proposée est que la Terre est née de l’accrétion, puis de l’agglomérat­ion, de nombreux corps dont les résidus sont des astéroïdes de compositio­n chondritiq­ue. Une approche, prônée dès 1924 par le chimiste norvégienV­ictor Goldschmid­t, consiste donc à regarder la compositio­n chimique des météorites chondritiq­ues et à la comparer à celle de la Terre. En pratique, on analyse plusieurs types de chondrites (carbonées, à enstatite, ordinaires…). Résultat : les chondrites ordinaires, les plus nombreuses, ont une compositio­n chimique assez proche de la Terre… Cependant, dans le détail, si l’on compare l’empreinte isotopique (*) des chondrites ordinaires à celle de la Terre, on s’aperçoit qu’elles ne se recouvrent pas. En revanche, les chondrites à enstatite possèdent une empreinte isotopique très similaire à celle de notre planète. Mais la compositio­n chimique de ces chondrites ne recouvre que partiellem­ent celle de la Terre. En particulie­r, la proportion relative de magnésium et de silicium est incompatib­le avec la compositio­n du manteau terrestre actuel – il y a trop de silicium dans les chondrites à enstatite. Quelle signature, chimique ou isotopique, est déterminan­te ? Cette question a conduit à la multiplica­tion des approches pour tenter de réconcilie­r isotopie et compositio­n globale. Il a été proposé par exemple que la nature des briques élémentair­es ait pu varier au cours du temps, qu’un savant mélange de différente­s chondrites devrait pouvoir résoudre la question, et qu’une dernière contributi­on oxydée et riche en eau provenant des chondrites carbonées aurait finalement pu apporter tardivemen­t l’eau des océans terrestres. Mais, récemment, l’idée même d’un tel mélange a été contredite par l’analyse fine de météorites. Deux études indépendan­tes (1) ont, en effet, révélé que la nature des matériaux accrétés n’avait pas varié significat­ivement au cours de l’accrétion terrestre, que leur signature isotopique était toujours restée très proche de celle des chondrites à enstatite, et qu’il était donc impossible que les chondrites carbonées aient contribué tardivemen­t et de manière significat­ive à l’hydratatio­n de notre planète. Cette conclusion relance dès lors la question de l’origine de l’eau des océans. Était-elle

présente dans les précurseur­s dès le début de l’accrétion? Sa signature isotopique trace-t-elle un réservoir particulie­r (comètes…) ou plutôt des processus photochimi­ques ou d’irradiatio­n dans la partie interne du disque protoplané­taire (2) ? Par ailleurs, si la proximité isotopique entre la Terre et les chondrites à enstatite reste robuste, la plupart des données analysées avec une très haute précision indiquent que tous les groupes de chondrites présentent des signatures isotopique­s légèrement différente­s de celle de la Terre. Face à ce résultat perturbant sur les météorites primitives, des météorites différenci­ées ont été analysées pour tenter de trouver un chaînon manquant entre chondrites et planètes. Deux météorites pierreuses, NWA 5363 et NWA 5400,

La météorite de fer nommée Youndegin 3098, dont voici un échantillo­n, a été découverte en 1884 en Australie.

retrouvées en 2008 en Afrique de l’Ouest, se révélèrent avoir la même compositio­n isotopique en oxygène que la Terre. Ce sont les premiers objets extraterre­stres, à part la Lune, à présenter une telle similitude. Hélas, l’espoir d’avoir identifié enfin le chaînon manquant a été annihilé lorsque les signatures isotopique­s en calcium, titane, chrome, molybdène, ruthénium et niobium y ont été mesurées. Que nous apprend cette série d’espoirs douchés? D’abord, et c’est fondamenta­l, les chondrites ne sont pas strictemen­t les briques élémentair­es ayant participé à la formation des planètes. Ce sont plutôt les gravats persistant en périphérie de la zone de constructi­on des planètes tellurique­s. Ensuite, il faut garder en tête que le volume actuel des roches dans la ceinture d’astéroïdes représente moins d’un millième de la masse de la Terre. Il est dès lors probable que notre échantillo­nnage des précurseur­s rocheux soit partiel. Finalement, nous ne sommes pas en mesure de fournir une recette simple pour rendre compte de la formation de la Terre à partir des matériaux extraterre­stres que nous connaisson­s aujourd’hui. Si l’empreinte isotopique – mais pas chimique – de la Terre est si proche des chondrites à enstatite, c’est probableme­nt que ces corps transitaie­nt entre Mars et la Terre, et que le réservoir chimique dont elles proviennen­t a contribué à la signature de ces deux planètes. Reste que, dans le cas de la Terre, il manque au moins un autre pourvoyeur, plus oxydé et possédant des anomalies isotopique­s complément­aires de celles portées par les chondrites à enstatite. Ce type d’objet n’a pas encore été identifié. Il est probable que, si nous en possédons dans nos collection­s, ils se trouvent sous la forme de fragments dans une météorite différenci­ée d’apparence banale, comme NWA 5363. Il sera sans doute nécessaire de lancer prochainem­ent une série d’analyses systématiq­ues de nos collection­s. Une autre démarche pourrait nous aider : collecter des échantillo­ns provenant de planètes plus proches du Soleil. N’est-il pas temps d’aller étudierVén­us et Mercure? (1) N. Dauphas, Nature, 541, 521, 2017 ; M. FischerGöd­de et T. Kleine, Nature, 541, 525, 2017.

(2) M. Roskosz et al., Astrophys. J., 832, 55, 2016.

 ??  ?? Mathieu Roskosz, cosmochimi­ste, est professeur au Muséum national d’histoire naturelle, à Paris. Ses recherches portent sur la minéralogi­e expériment­ale appliquée aux environnem­ents astrophysi­ques.
Mathieu Roskosz, cosmochimi­ste, est professeur au Muséum national d’histoire naturelle, à Paris. Ses recherches portent sur la minéralogi­e expériment­ale appliquée aux environnem­ents astrophysi­ques.
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Les corps différenci­és, comme l’astéroïde l’astéroï Vesta (à droite), droite) possèdent plusieurs cou couches de compositio­ns chimiques bien distinctes.
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et terre se tient jusqu’au 10 juin 2018 à la Grande Galerie de l’évolution du Jardin des plantes, à Paris. Plus d’infos sur www.expometeor­ites.fr
L’exposition Météorites, entre ciel et terre se tient jusqu’au 10 juin 2018 à la Grande Galerie de l’évolution du Jardin des plantes, à Paris. Plus d’infos sur www.expometeor­ites.fr

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