Les météorites de fer, témoins de la naissance de la Terre
Comment établir le scénario de formation des planètes du Système solaire, et en particulier de la Terre ? L’analyse déterminante de la composition chimique et isotopique des météorites a fait émerger une description dynamique des événements qui ont condui
Depuis plusieurs décennies, des sondes parcourent le Système solaire et cartographient les planètes, les comètes, les astéroïdes et les petits corps, révélant une grande diversité. Pourtant, le Système solaire tel que nous le connaissons, fruit d’une évolution de plus de 4,5 milliards d’années, n’était dans sa petite enfance qu’un disque de poussière protoplanétaire relativement homogène – du moins en apparence. Quand, comment et pourquoi une telle diversité a-t-elle pu s’installer ? Nos tentatives d’établir une recette simple pour expliquer la formation des planètes – en particulier la Terre – n’ont eu de cesse d’être contrariées. Pour autant, nos connaissances progressent. Grâce aux données collectées par les orbiteurs, les robots explorateurs et les sondes spatiales, nous avons accumulé de précieux renseignements sur la composition chimique des objets célestes, sur les conditions régnant dans leur atmosphère, à leur surface ou dans leurs entrailles. En recoupant ces informations avec celles obtenues en étudiant les météorites – ces morceaux d’astéroïdes qui ont traversé l’atmosphère terrestre pour parvenir jusqu’à nous –, on peut espérer retracer la séquence des événements qui a conduit à la formation de notre Système solaire et des planètes qui l’habitent. Les météorites sont des témoins du passé : contrairement aux planètes, qui ont beaucoup évolué depuis la naissance du Système solaire, certaines d’entre elles sont restées quasiment telles quelles. C’est notamment le cas des chondrites, météorites primitives représentant environ 85 % des roches extraterrestres collectées sur Terre, qui nous renseignent sur les premiers instants du Système solaire (lire La Recherche n° 529, p. 74).
Structuration interne
Que s’est-il passé ensuite ? À quel moment les planètes se sont-elles formées ? Pour répondre à cette question, l’étude des météorites différenciées peut nous aider. Il s’agit d’une autre grande famille de météorites, issues de corps ayant subi une différenciation, c’est-à-dire l’ensemble des processus conduisant à leur structuration interne – avec un noyau de fer métallique, un manteau et une croûte rocheuse. La Terre est
un bon exemple de corps différencié. Cette différenciation n’est possible que pour des corps d’un diamètre supérieur à la dizaine de kilomètres. Ayant du mal à dissiper leur chaleur interne, ils atteignent des températures suffisantes pour permettre à une ou plusieurs catégories de solides de fondre et de migrer, en fonction de leur densité propre, vers l’intérieur ou l’extérieur du corps. Ces épisodes de fusion ont permis de séparer les phases métalliques des phases rocheuses. En analysant la répartition et les compositions de ces phases au sein d’une météorite différenciée, on peut reconstituer les étapes qui ont permis la formation des planètes. Toutefois, l’époque où elles ont eu lieu est longtemps restée inconnue. Grâce à l’analyse déterminante des météorites de fer, cette chronologie a récemment pu être précisée. Ces dernières proviennent de corps différenciés dont certains faisaient la taille de la Lune, voire de Mars. Les chercheurs ont d’abord daté le moment de la différenciation pour plusieurs météorites de fer, puis ils l’ont comparé à l’âge du Système solaire. Résultat : certaines météorites de fer se sont formées dans la petite enfance du Système solaire, seulement 1,5 million d’années après sa naissance. Concrètement, cela signifie que des corps planétaires différenciés, d’un diamètre de l’ordre du millier de kilomètres, existaient avant même que les corps parents à l’origine des chondrites ne se forment. Or jusqu’à cette découverte, on pensait que les chondrites s’étaient formées bien avant les corps différenciés. Le scénario privilégié, plutôt linéaire, mettait en jeu une phase de condensation de poussières, suivie d’une accrétion sous la forme des corps parents des chondrites, puis leur agglomération en planétésimaux plus massifs, pour aboutir à des corps planétaires différenciés. L’analyse des météorites de fer a donc fait émerger une description bien plus dynamique et inconstante de la naissance de notre Système solaire : certains corps se différenciaient déjà alors que d’autres s’accrétaient encore.
L’origine des océans
Qu’en est-il de la Terre ? Une idée proposée est que la Terre est née de l’accrétion, puis de l’agglomération, de nombreux corps dont les résidus sont des astéroïdes de composition chondritique. Une approche, prônée dès 1924 par le chimiste norvégienVictor Goldschmidt, consiste donc à regarder la composition chimique des météorites chondritiques et à la comparer à celle de la Terre. En pratique, on analyse plusieurs types de chondrites (carbonées, à enstatite, ordinaires…). Résultat : les chondrites ordinaires, les plus nombreuses, ont une composition chimique assez proche de la Terre… Cependant, dans le détail, si l’on compare l’empreinte isotopique (*) des chondrites ordinaires à celle de la Terre, on s’aperçoit qu’elles ne se recouvrent pas. En revanche, les chondrites à enstatite possèdent une empreinte isotopique très similaire à celle de notre planète. Mais la composition chimique de ces chondrites ne recouvre que partiellement celle de la Terre. En particulier, la proportion relative de magnésium et de silicium est incompatible avec la composition du manteau terrestre actuel – il y a trop de silicium dans les chondrites à enstatite. Quelle signature, chimique ou isotopique, est déterminante ? Cette question a conduit à la multiplication des approches pour tenter de réconcilier isotopie et composition globale. Il a été proposé par exemple que la nature des briques élémentaires ait pu varier au cours du temps, qu’un savant mélange de différentes chondrites devrait pouvoir résoudre la question, et qu’une dernière contribution oxydée et riche en eau provenant des chondrites carbonées aurait finalement pu apporter tardivement l’eau des océans terrestres. Mais, récemment, l’idée même d’un tel mélange a été contredite par l’analyse fine de météorites. Deux études indépendantes (1) ont, en effet, révélé que la nature des matériaux accrétés n’avait pas varié significativement au cours de l’accrétion terrestre, que leur signature isotopique était toujours restée très proche de celle des chondrites à enstatite, et qu’il était donc impossible que les chondrites carbonées aient contribué tardivement et de manière significative à l’hydratation de notre planète. Cette conclusion relance dès lors la question de l’origine de l’eau des océans. Était-elle
présente dans les précurseurs dès le début de l’accrétion? Sa signature isotopique trace-t-elle un réservoir particulier (comètes…) ou plutôt des processus photochimiques ou d’irradiation dans la partie interne du disque protoplanétaire (2) ? Par ailleurs, si la proximité isotopique entre la Terre et les chondrites à enstatite reste robuste, la plupart des données analysées avec une très haute précision indiquent que tous les groupes de chondrites présentent des signatures isotopiques légèrement différentes de celle de la Terre. Face à ce résultat perturbant sur les météorites primitives, des météorites différenciées ont été analysées pour tenter de trouver un chaînon manquant entre chondrites et planètes. Deux météorites pierreuses, NWA 5363 et NWA 5400,
La météorite de fer nommée Youndegin 3098, dont voici un échantillon, a été découverte en 1884 en Australie.
retrouvées en 2008 en Afrique de l’Ouest, se révélèrent avoir la même composition isotopique en oxygène que la Terre. Ce sont les premiers objets extraterrestres, à part la Lune, à présenter une telle similitude. Hélas, l’espoir d’avoir identifié enfin le chaînon manquant a été annihilé lorsque les signatures isotopiques en calcium, titane, chrome, molybdène, ruthénium et niobium y ont été mesurées. Que nous apprend cette série d’espoirs douchés? D’abord, et c’est fondamental, les chondrites ne sont pas strictement les briques élémentaires ayant participé à la formation des planètes. Ce sont plutôt les gravats persistant en périphérie de la zone de construction des planètes telluriques. Ensuite, il faut garder en tête que le volume actuel des roches dans la ceinture d’astéroïdes représente moins d’un millième de la masse de la Terre. Il est dès lors probable que notre échantillonnage des précurseurs rocheux soit partiel. Finalement, nous ne sommes pas en mesure de fournir une recette simple pour rendre compte de la formation de la Terre à partir des matériaux extraterrestres que nous connaissons aujourd’hui. Si l’empreinte isotopique – mais pas chimique – de la Terre est si proche des chondrites à enstatite, c’est probablement que ces corps transitaient entre Mars et la Terre, et que le réservoir chimique dont elles proviennent a contribué à la signature de ces deux planètes. Reste que, dans le cas de la Terre, il manque au moins un autre pourvoyeur, plus oxydé et possédant des anomalies isotopiques complémentaires de celles portées par les chondrites à enstatite. Ce type d’objet n’a pas encore été identifié. Il est probable que, si nous en possédons dans nos collections, ils se trouvent sous la forme de fragments dans une météorite différenciée d’apparence banale, comme NWA 5363. Il sera sans doute nécessaire de lancer prochainement une série d’analyses systématiques de nos collections. Une autre démarche pourrait nous aider : collecter des échantillons provenant de planètes plus proches du Soleil. N’est-il pas temps d’aller étudierVénus et Mercure? (1) N. Dauphas, Nature, 541, 521, 2017 ; M. FischerGödde et T. Kleine, Nature, 541, 525, 2017.
(2) M. Roskosz et al., Astrophys. J., 832, 55, 2016.