La République de Seine-et-Marne (Édition A-B)

Sarah Abitbol : « Cette loi, c’est ma double médaille d’or »

L’Assemblée nationale a voté, la semaine dernière, sa loi sur l’honorabili­té des clubs, La championne de patinage, Sarah Abitbol, viendra débattre à Coulommier­s, dans le cadre de la Journée internatio­nale des droits des femmes, vendredi 8 mars.

- • Propos recueillis par Vanessa ASPE

La honte se trouve désormais dans le camp des agresseurs. En thérapie depuis 2004, Sarah Abitbol tente de réparer les stigmates psychologi­ques causés par les agressions sexuelles dont elle a été victime entre 15 et 17 ans. Violée par Gilles Beyer, son entraîneur, la championne de patinage artistique a su trouver le courage de porter haut sa parole à travers un livre, Un si long silence, coécrit avec Emmanuelle Anizon et paru aux éditions Plon.

➜ On dénombre 700 cas avérés de violences sexuelles dans plus de 54 fédération­s sportives en France. Un jeune sportif sur sept sera concerné par ces violences avant ses 18 ans...

Ces chiffres sont hallucinan­ts. Il y a une omerta dans tous les clubs. C’est la raison pour laquelle il faut agir. On a trente ans de retard.

➜ Les choses bougent malgré tout, l’Assemblée nationale a adopté à l’unanimité la loi Abitbol visant à « renforcer la protection des mineurs et l’honorabili­té dans le sport », jeudi 29 février...

Je suis sur un nuage. Avec l’associatio­n La voix de Sarah, on se bat pour la nouvelle génération. A cinq mois des Jeux olympiques, c’est un signal très fort qui est envoyé. Les présidents de club vont se remettre en question. Ils sont désormais obligés de contrôler tout le monde : les encadrants, les éducateurs, etc. Si l’un des membres du club a un casier judiciaire et a eu des actes de violences envers un enfant, il ne pourra revenir dans aucun club. Et si le président ne l’a pas signalé, ce dernier encourt 15 000 € d’amende et la suspension immédiate. Jusqu’ici, ce n’était pas une obligation. Le livre, c’était ma médaille d’or. Cette loi, c’est une double médaille d’or. Les détracteur­s auront encore plus peur. Et cette idée me rend plus forte.

➜ En Seine-et-Marne, le club de patinage de Dammarie-lès-Lys a vu évoluer Morgan Ciprès, accusé de harcèlemen­t sexuel sur une mineure de 13 ans, alors qu’il était aux Etats-Unis. Avec cette loi, le patineur ne peut donc pas revenir dans son club d’origine ?

De toute façon, il a quitté le milieu du patinage. Il a arrêté sa carrière à la suite de ce problème. Mais effectivem­ent, s’il voulait revenir dans n’importe quel club, ça ne serait pas possible. Cette loi, c’est une avancée extraordin­aire. Pour autant, il faut continuer. On ne va pas relâcher. Je sais que d’autres femmes n’ont pas encore libéré leur parole.

➜ Quatre ans après la sortie de votre livre, comment vous sentez-vous ?

Ça dépend des moments. Mais, de manière générale, je me sens de mieux en mieux. On va dire que je suis guérie à 70% voire à 80%, selon les journées. Je parviens maintenant à me rendre dans les centres commerciau­x avec ma fille, ce qui représente une belle victoire. L’autre fois, je me suis même garée au parking ( Sarah Abitbol a été violée par son entraîneur notamment dans un parking, ndlr). On n’oublie jamais rien, on vit avec, mais on s’en sort. J’en suis la preuve vivante.

➜ Vos souvenirs sont remontés à l’âge de 27 ans, après dix ans d’amnésie traumatiqu­e. Quel a été le déclic ?

Mon fiancé de l’époque a senti quelque chose. Il me trouvait triste et angoissée alors que j’avais toutes les raisons d’être heureuse. On était amoureux, j’avais intégré la troupe d’Holiday on ice... Il faisait très attention à moi. Alors, un jour, il a mis la main sur mon épaule et m’a dit : « il s’est passé quelque chose de grave dans ton enfance. Il faut que tu me parles. » Et là, j’ai eu l’image de mon entraîneur assis sur mon lit. Après, j’ai eu des flashs. Petit à petit, les souvenirs sont remontés. Encore aujourd’hui, des flashs peuvent survenir. Alors, je le remercie. Il m’a beaucoup apporté dans la vie. Et c’est un homme. La preuve qu’il ne faut pas tous les mettre dans le même panier.

➜ A 15 ans, vous dénonciez les agressions sexuelles, jour après jour, sous forme de codes, dans votre cahier à spirales (T pour toucher, P pour peloter, S pour sucer, C pour coucher). Ce cahier est resté 30 ans dans un tiroir...

Je ne voulais pas l’ouvrir. J’avais dit à Emmanuelle ( Anizon, ndlr) que je ne pouvais pas le lire. Mais, pour poser des mots, il fallait avancer. Il fallait écrire dans le livre, qu’à 15 ans, j’avais dénoncé ces actes. Ça donnait du poids à ma parole. J’ai donc fini par l’ouvrir et redécouvri­r ma belle écriture de jeune fille. Mais c’était difficile. Mon cahier a fini par retourner dans son tiroir.

➜ A partir de quand avezvous réussi à qualifier de viol ce qui vous était arrivé ?

Il y a quatre ans, en écrivant le livre. Finalement, juste avant la parution, j’ai appelé mon éditeur, je voulais tout annuler. Je ne pouvais pas voir afficher ce mot associé à moi. Ma psy m’a raisonnée. Aujourd’hui, ça va mieux, j’arrive à le lire, mais j’ai encore du mal.

➜ Pourtant, votre témoignage a permis de sauver de potentiell­es victimes...

En effet, je suis fière de ce parcours. Quand je vois toutes les personnes qui m’écrivent et que j’ai pu sauver, celles qui ne comprenaie­nt pas pourquoi elles allaient mal et qui ont pu parler, c’est incroyable. La parole se libère partout. Judith Godrèche parle au bout de trente ans - moi aussi, ça faisait trente ans. L’écoute aussi se libère. J’étais la première sportive qu’on écoutait. Isabelle Demongeot ( une joueuse de tennis française, ndlr) avait parlé 20 ans avant moi, mais n’avait pas été entendue. Sans oublier l’affaire Duhamel... Il y en a eu tellement. J’ai ouvert la libération de la parole dans le sport.

➜ Regrettez-vous de ne pas avoir parlé plus tôt ?

Si j’avais pu, j’aurais aimé oui. J’aurais été vite mieux dans ma vie et j’aurais pu sauver un plus grand nombre de personnes. Mais je n’y arrivais pas. Et puis, l’amnésie traumatiqu­e bloque le cerveau pour préserver de la souffrance.

➜ Comment donner les moyens aux femmes et aux jeunes filles de se protéger elles-mêmes des prédateurs ?

Il faut qu’elles apprennent quelles sont les limites. Pour ça, on doit aller sur le terrain, en parler le plus possible. Sensibilis­er, c’est protéger. Quand on en parle en tant que victime, on prévient et les jeunes filles mesurent l’emprise qu’un entraîneur peut avoir sur elles et jusqu’où il a le droit d’aller ou pas.

➜ A l’époque, vous aviez décidé de patiner sur « Sacrifice » d’Elton John pour crier votre mal-être. Comment détecter les signaux envoyés par les victimes de violences sexuelles ?

Le signal peut prendre différente­s formes : un échec scolaire, une boulimie ou une anorexie soudaine, un isolement, l’arrêt subi de son sport... Avec l’associatio­n La voix de Sarah, on explique aux familles qu’un changement d’attitude n’est pas toujours dû à l’adolescenc­e.

➜ Comment arrivez-vous à vous reconstrui­re alors que votre entraîneur n’a pas pu être puni, puisqu’il est mort avant d’être jugé ?

A son décès, je me suis dit que Dieu m’avait peut-être protégée d’un procès trop lourd. Remettre le couvert sur tout ça aurait été difficilem­ent supportabl­e. Je me conforte dans l’idée que le ciel l’a repris jeune. C’est déjà ça. Je tourne la page et j’ouvre un nouveau livre.

➜ En tout cas, il avait fini par s’excuser. Excuses que vous aviez refusées à l’époque. Vous avez eu la force de parler, pensezvous que vous aurez un jour la force de lui pardonner ?

( Après un long silence) Pardonner ? Je ne sais pas ( un silence à nouveau). Peut-être, le jour où je serai guérie à 100% et 100% heureuse ( silence). Je ne suis pas sûre qu’on puisse vraiment pardonner. Les victimes de violences sexuelles sont marquées à vie. C’est quelque chose qu’on a dans notre corps et sur lequel on ne peut jamais revenir. On ne pourra jamais me rendre ce que j’ai perdu. On peut oublier, mais pardonner... on verra avec les années.

■ Conférence/débat « Parcours d’une championne », animée par Sarah Abitbol, à 14h au théâtre municipal de Coulommier­s, vendredi 8 mars. La conférence sera suivie d’une séance de dédicaces de son livre « Un si long silence », à partir de 16h.

 ?? La Voix de Sarah ?? Violée par Gilles Beyer, son entraîneur, Sarah Abitbol viendra animer un débat à Coulommier­s sur les violences faites aux femmes et aux mineures au sein des clubs sportifs.
La Voix de Sarah Violée par Gilles Beyer, son entraîneur, Sarah Abitbol viendra animer un débat à Coulommier­s sur les violences faites aux femmes et aux mineures au sein des clubs sportifs.

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