ZENITH ET LA RAF L’ÉPOPÉE DES MONTRES DE RECONNAISSANCE
Avec la Première Guerre mondiale, les montres sont passées de la poche aux poignets des militaires. Pour les pilotes des premiers avions embarqués dans les combats aériens, elles furent très vite adoptées, quittant les tableaux de bord, y compris en dehor
La Première Guerre mondiale marque un tournant dans la conquête du ciel. Non seulement l’aviation progresse très rapidement mais en plus, l’aéronautique va avoir une double mission : d’une part le renseignement et l’aide à la reconnaissance, d’autre part le support d’armement. Avec les premiers combats aériens de l’histoire, les pilotes deviennent les héros modernes. Les pertes, tant en matériels volants qu’en hommes, vont se compter par milliers. La bravoure des pilotes est sans limite. Ils essuient les tirs ennemis, qui plus est dans l’inconfort des avions et le froid paralysant en altitude.
Plus qu’une simple montre de bord
Les tableaux de bord sont encore très sommaires. Parmi les premiers fournisseurs d’instruments de l’air Force, la manufacture Zenith est en bonne place pour ses altimètres, qui mesurent avec précision la hauteur des vols jusqu’à plus de 5 000 mètres, et également pour ses montres de bord polyvalentes. L’alimentation électrique des pendules de bord n’est pas encore à l’ordre du jour et les garde-temps mécaniques doivent donc être remontés manuellement. La manufacture du Locle est en parfaite adéquation avec le cahier des charges de l’armée britannique, dont elle était déjà l’un des fournisseurs avant la guerre. Les militaires ont, durant les deux dernières années de la guerre, intégré de nouveaux besoins. Les pilotes veulent, en effet, une montre qui va se clipper sur un support spécialement étudié du tableau de bord, en caoutchouc ou à ressorts plats. Une fois les missions terminées, elle pourra se porter au poignet grâce à un bracelet en cuir pourvu d’un logement englobant la montre. Certains pilotes, en 1918, ne posent même plus leurs montres sur le tableau de bord, mais les conservent en permanence au poignet. Sur la base du cahier des charges modifié par les Britanniques, Zenith livre donc des montres de type gousset, dont la bélière est inexistante et le pendant allongé pour permettre, quel que soit le support, un remontage aisé sans avoir à ôter les gants – déconseillé en altitude et en plein vol.
La lisibilité, qualité indispensable
Pour être bien lisibles, ces montres sans matière luminescente de type radium – d’où la mention « non luminous » – sont pourvues d’aiguilles poires pour les heures et les secondes peintes en blanc, et d’une aiguille sabre pour les minutes. La large trotteuse, fragile lors du démontage, est en usage sur des montres servant principalement aux missions de reconnaissance photographique aérienne. Un appareil spécialement conçu photographie simultanément la montre et le mouvement au sol. Le tout est complété d’informations sur la position géographique du lieu de la prise de vues et la date. À partir de ces images, on peut à la fin de la journée connaître la vitesse à laquelle se déplace l’ennemi et la zone où il s’engage et risque de livrer bataille. La montre
permet d’anticiper les lieux à attaquer et s’avère un instrument essentiel. Les montres de service sont gravées de la lettre A sur leur fond, au-dessus de la Broad Arrow militaire, et comportent un cachepoussière articulé sur charnière qui protège le mouvement chronomètre doté de 15 rubis. Le cadran à gros chiffres arabes mentionne « 30 Hours non Luminous Mark V », ainsi qu’une référence C.B 596 qui renvoie à la fabrication par Zenith. En général, lors des opérations de maintenance, les horlogers militaires, ne disposant pas de trotteuses de rechange identiques aux pièces originales, remplaçaient ces dernières par des trotteuses classiques. Conséquence : les montres ne pouvaient plus servir aux missions de reconnaissance photographique ou, tout au moins, faire partie du matériel de prise de vues où les données étaient relevées à la seconde. Très appréciées, ces montres de bord étaient détournées de leur usage quand, intégrées à un support en cuir, elles se portaient aux poignets des pilotes. Ces pièces devaient rester fiables, que ce soit à – 20 °C en altitude ou encore au sol où les pilotes les utilisaient notamment pour mesurer le temps de chauffe des moteurs avant décollage – une étape obligatoire pour éviter que le carburant ne gèle dans les airs ou que le moteur ne casse pour avoir tourné trop vite à plein régime. Un verre très épais les protégeait des casses intempestives.
Une pièce de collection
Peu de ces montres sont restées en l’état, à savoir avec leurs aiguilles d’origine et des cadrans intacts. Leur destin suivait souvent celui des avions abattus et carbonisés. Lorsqu’une pièce est d’un bel aspect extérieur, le mouvement est rarement d’origine, ou alors son état indique qu’il n’a pas profité d’une maintenance adéquate ni été assorti d’aiguilles de rechange adaptées. En service dans l’armée de l’air britannique jusqu’à la fin des années vingt, elles furent remplacées ensuite par des montres de bord fixes « Type B, Type 10 » puis « Type 20 » dans les années trente, et par des montres-bracelets munies de couronnes boules éloignées des carrures vers 1928. La manufacture du Locle détient un long savoirfaire en matière de montres militaires. Elle a livré, dès 1916, les Signal Corps américains puis les Corps of Engineers, et a fourni la marine américaine en chronomètres de marine lors de la Seconde Guerre mondiale. L’armée britannique fit souvent appel à Zenith, notamment à l’époque coloniale. Durant la guerre 39-45, l’armée polonaise, mais aussi l’armée de terre allemande se sont ajoutées à la liste des armées internationales dont Zenith était le fournisseur. Quant à l’air Force italienne, elle fut, elle aussi, cliente dans les années 1960 pour ses pilotes d’avions de chasse. Ce n’est pas un hasard si Zenith aujourd’hui est une manufacture leader des montres d’aviateurs. Elle a, il faut le dire, une certaine légitimité historique…