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Petros Protopapas, la mémoire d’omega
Petros Protapapas, un homme aussi passionné que passionnant qui connaît l’histoire d’omega sur le bout des doigts, et plus largement celle de l’horlogerie. Rencontre avec le conservateur du Musée d’omega à Bienne. Propos recueillis par Stephan Ciejka et Clark Zog
Stephan Ciejka. Les appellations sont toujours liées à la structure des groupes et à leur organisation. Les appellations d’origine anglosaxonne sont de plus en plus visitées par rapport aux francophones. Comment devient-on directeur du patrimoine d’omega ?
Petros Protopapas. En premier lieu, être chanceux! Et je dois dire que j’ai eu cette chance unique, «once in a lifetime». De plus, il ne faut pas se contenter d’aimer les montres, mais de les adorer, elles et leur histoire. Pour ma part, j’étais collectionneur. Après mon baccalauréat, j’ai reçu la montre de mon grand-père en cadeau, c’était une Seamaster de 1964 – et oui, le legs de l’aïeul, cela arrive quelquefois. Et c’est ce garde-temps qui m’a ouvert la voie de la curiosité. J’ai remarqué, à l’époque, que sur le fond figurait un cheval marin et, sans connaître grand-chose à l’horlogerie, que ce même signe se retrouvait sur les Speedmaster. C’est ce cheval marin qui m’a lancé. Pourquoi ? Avant l’arrivée d’internet et autres technologies, tout était fait par l’être. Lors de mes premières vacances d’été en Grèce, j’ai recherché d’anciens porteurs d’omega, posé des questions – par exemple, où se procurer des archives. J’ai reçu des copies et, des mois durant, j’ai lu des archives inconnues. C’est ainsi que je me suis forgé une connaissance historique d’omega et que je suis rentré dans l’univers des montres. Quelques années après – alors pilote aux Etats-unis –, je me suis mis à collectionner, j’ai commencé à acheter des garde-temps vintage et j’écrivais un peu sur les montres et leur histoire. Mais pour l’achat d’une pièce d’une autre marque, je faisais l’acquisition de deux ou trois Omega, je revenais toujours chez eux ! Je ne connaissais pas encore les ouvrages écrits par Marco Richon (ex-conservateur du musée Omega fondé en 1984, président de l’association Chronométrophilia, ndlr), que j’ai découvert un peu plus tard. J’y ai retrouvé tout ce que moimême avait croisé, ce qui a aiguisé davantage ma curiosité. Etant aux Etats-unis, j’avais relevé l’histoire avec la Nasa et me suis demandé si elle était exhaustive. Il n’en fallut pas plus pour me lancer dans les recherches.
Puis Internet s’est développé et j’ai commencé à écrire sur les forums – Timezone, etc. C’est Omega qui m’a remarqué et fait une offre pour rejoindre la marque. Pas encore en tant qu’historien, mais pour la formation de vente, etc. (Omega a compris très tôt que les ventes, internet, etc., devaient toujours être mis en lien avec notre ADN. Et surtout que l’histoire et L’ADN, quand on a la chance d’en avoir une, il faut l’utiliser de la bonne manière.)
En 2013, on m’a proposé de devenir le responsable du musée, mon prédécesseur Brandon Thomas étant parti (il occupait ce poste depuis 2010 lors de la rénovation du musée fondé en 1984, ndlr). Après deux ans, tout le département était formé, le musée était seul ; aujourd’hui il n’est qu’un arbre du département héritage. Mon équipe et moi-même sommes responsables de tout ce qui est héritage ou patrimoine. Nous faisons des recherches, des voyages pour visiter d’autres musées, nous avons réécrit l’histoire avec la Nasa, y apportant de nouvelles preuves. Nous sommes un peu les Indiana Jones d’omega.
Est-ce le département héritage qui est l’intervenant Omega pour la nouvelle proposition d’expertise des montres vintage ?
Au niveau opérationnel, oui. Nous avons déjà des pièces que nous sommes en train d’expertiser. Il y a une Speedmaster venue de Genève, nous avons reçu une constellation à expertiser, afin d’établir un certificat d’authenticité. C’est un grand projet qui n’est pas simple à gérer car la responsabilité est là. Mais c’est une chance pour la marque.
Combien de pièces Omega le musée abrite-t-il ?
Il y a une collection, nous l’avons divisée en deux sous-parties. Il y a la collection utilisable et actuelle, les plus conformes historiquement : soit environ 6000 pièces. Ensuite un backup de montres historiques correctes mais dans un moins bon état, qui compte quelque 8000 pièces dans notre collection musée. Ce qui ne veut pas dire que toutes ont pris vie dans le musée. Actuellement, 1200 d’entre elles. Et il y a un roulement, car il y a toujours des actualités, des vitrines qu’on peut changer…
Au sein de cette collection, quelles sont vos pièces préférées ?
Comme nous avons retravaillé avec mon équipe sur l’histoire de Speedmaster, celle-ci est très haute dans mon ranking (classement, ndlr) personnel – je porte une Ultraman. Pour moi l’histoire portée par cette montre est incroyable. C’est un des chronographes les plus importants au monde. Première chose, la famille Speedmaster donc.
En outre, je pratique la plongée. Ce sont des préférences liées à mon histoire personnelle. Par chance, tout ce qui fait partie de mes passions – plongée, aviation, automobile… –, on le retrouve à 100% dans L’ADN d’omega. Donc les montres de plongée sont celles que j’apprécie le plus ensuite. Je parle de tout ce qui est arrivé après 1957 et la fameuse trilogie. La première Seamaster 300 est très importante. Sur le plan historique des montres de plongée, la 300 CK2913 est une montre qu’on va vous dire être over-engineered (sur-conçu, ndlr). Ces montres étaient conçues pour l’helium diving (plongée à l’hélium). La 300 de l’époque était l’une des seules à avoir un cristal vissé par l’intérieur. Même si ce n’était
pas conçu pour ce type de plongée, le verre ne pourrait jamais sortir. J’adore.
Nous avons aussi les prototypes, réalisés de 1969 à 1971 environ pour la Comex. Nous avons retrouvé toutes les archives de travail commun avec cette maison française. Sans oublier les montres du Concorde, la Concorde 001 et 002. Pour le premier vol du 001, nous avons les instruments d’origine.
L’organisation muséale est-elle historique et par thématique ?
Nous avons travaillé avec des professionnels pour la muséographie: là réside la grande différence entre le vieux musée classique et l’actuel. J’aime appeler ce musée « l’expérience Omega », car c’est véritablement une expérience que nous nous sommes attachés à créer. Elle implique plusieurs catégories de gens: collectionneurs, amateurs, écoles, enfants, profanes. C’est comme ça que nous avons conçu en premier le « Wow Effect ».
Nous avons séparé la timeline, toute l’histoire dans une vitrine qui a la forme d’un bracelet. Là, vous avez déjà une vision avec cette timeline réunissant toutes les montres historiques par année. Et vous avez les highlights d’une décennie. Avec le management, nous avons choisi un grand thème: les Jeux Olympiques, par exemple. Nous avons essayé d’être interactifs, mais sans être numériques. Comme cette piste de course.
Il y a aussi la Lune, forcément, avec la speedmaster, tout ce que nous avons fait avec la Nasa – une montre peut véritablement sauver des vies, comme lors de la mission Appolo 13. Après vous avez la dernière thématique historique : Omega dans les films. Nous ne parlons que de James Bond pour le moment, mais ça devrait changer dans les prochains mois. Il y a aussi un côté technologie où nous parlons coaxial, certificat Master Chronomètre, etc. Après, le deuxième fil, qui vient boucler notre histoire, ce sont des expositions.
Quelle est la genèse de l’exposition Her Time ?
C’était une chance pour Omega de parler d’un sujet qui lui est cher. C’était la genèse des montres bracelets. Il était important pour nous de revenir sur un fait historique ignoré aujourd’hui. Des journalistes disent que c’est à cause de la Première Guerre mondiale ou des deux guerres des Boers en Afrique du sud, qu’il y a eu la distribution en masse des montres bracelets pour les soldats. En fait, on sait que la reine d’angleterre Elisabeth 1er avait reçu, en cadeau, un bracelet avec le plus petit mouvement. « Her Time » met en avant tout ce qu’omega a fait pour les femmes.
Les archives sont-elles ouvertes aux chercheurs et, si oui, sous quels critères ?
Elles ne sont pas ouvertes. Mais les certifications, c’est l’une des manières d’ouvrir les archives pour des recherches. Mais nous y conservons encore beaucoup de choses secrètes…