CHRONIQUE HISTORIQUE
Regina, la petite soeur d’omega
Tout le monde connaît Omega, la manufacture horlogère biennoise, mais cette grande maison a eu plusieurs « soeurs ». Si certains mouvements furent communs entre les marques détenues ou contrôlées par Omega, d’autres calibres, bien que développés par Omega, furent livrés uniquement par ces autres maisons, telle Regina.
marques pour diversifier son offre et s’adapter aux marchés. L’entreprise est progressiste au plan social : alors que le temps de travail hebdomadaire est fixé à 65 heures maximum, la manufacture limite la semaine à 59,5 heures – une avancée notable pour l’époque. À la fin des années 1880, celle qui prendra le nom d’omega quatorze plus tard, emploie 600 personnes et produit 100 000 montres par an.
La future Omega est en concurrence avec les autres grandes maisons sur l’ensemble des marchés, mais Louis Maier, fondateur de Regina, est convaincu que sa propre maison va profiter de l’aspiration créée par celle-ci. Aussi s’en inspire-t-il : il organise son entreprise pour ressembler, à une plus petite échelle, à la manufacture Louis Brandt. Les montres qu’il produit sous la marque Regina sont plutôt de bonne qualité et il parvient à les fabriquer à moindre coût. Une bonne partie du travail est effectuée par des ouvriers à domicile, les prix de vente pratiqués par Regina sont très bien placés sur les marchés. Mais Louis Maier est rapidement victime de son succès et peine à honorer les commandes, à un moment où Omega crée des entités pour mieux s’implanter sur tous les marchés : Patriote, Labrador font partie du cheptel de marques déposées par la manufacture de Bienne, dirigée par Louis Brandt.
L’heure de la fusion et de la conquête du marché américain
Omega, comme toutes les grandes maisons suisses, est en peine avec le marché américain à cause des mesures protectionnistes mises en oeuvre par le
Gouvernement des Etats-unis pour protéger son industrie. Vendre des montres sur le territoire nordaméricain impose d’emboîter et d’assembler sur place les kits de mouvements/cadrans, et parfois les aiguilles. En outre, une taxe progressive frappe les pièces en fonction du nombre de rubis dont elles sont dotées. Malgré ces obstacles, Omega tient tête aux manufactures américaines et propose des montres de très belle qualité. Toutefois, la maison souhaite disposer d’une marque spécifique sur le marché nordaméricain, tant aux Etats-unis qu’au Canada. Ce label est, dans l’esprit de ses initiateurs, une marque qu’elle souhaite exploiter soit en laissant les distributeurs apposer leur nom sur les cadrans, ce qui est courant à l’époque, soit en exploitant directement cette marque dont les prix seraient spécialement étudiés pour une concurrence encore plus offensive avec les marques américaines.
Omega s’associe dans un premier temps à Regina et fait preuve de souplesse dans la production de montres produites sous cette marque. Elle livre des séries spécialement dédiées à des revendeurs, boutiques et détaillants en apposant aussi bien sur les cadrans et sur les mouvements ou sur l’un ou l’autre, les noms de ces derniers et la ville, siège de leur commerce. Parfois, le nom de Regina n’apparaît même pas du tout.
En 1911, Omega rachète la maison Regina Watch C°. La diffusion des montres n’est pas synchronisée avec la date de leur fabrication et aucune chronologie ne peut être dégagée facilement, car la diffusion s’étale sur plusieurs années et la production d’une année est souvent simultanée avec d’autres.
Les modèles antérieurs à la prise de contrôle par Omega sont parfois directement datés sur les mouvements mais, à partir de 1911, la numérotation
reprend la logique de la maison mère. La datation des Regina est complexifiée par la destruction d’archives lorsqu’en 1970, Omega a revendu Regina à ses nouveaux propriétaires. Il semble qu’avant 1911, des montres labellisées Regina aient déjà reçu des mouvements produits par Omega, mouvements en général dotés de demi-platines mais dont l’architecture est semblable aux mouvements classiques d’omega. Les premiers échanges pourraient avoir eu lieu au tournant du xixe siècle au xxe siècle.
La qualité des mouvements varie du 7 rubis « non ajusté » au 21 rubis « ajusté » en 2 ou 3 positions, exceptionnellement davantage. Il est fréquent de rencontrer des versions d’au moins 17 rubis. Les montres Regina, sans prétendre atteindre le haut de gamme des Omega, n’en étaient pas moins des pièces fréquemment équipées d’une raquette à col de cygne avec une vis micrométrique de réglage et un empierrement de haute qualité. On ne peut pas dire qu’elles étaient d’une qualité inférieure à Omega. Cette gamme étendue tenait la comparaison avec les meilleures pièces de même niveau de finition, quels qu’en soient les fabricants. La qualité «railroad» des Regina aurait pu leur faire prétendre à équiper les compagnies de chemins de fer.
Si les compagnies américaines étaient quasiment inaccessibles aux horlogers suisses, les canadiennes, en revanche, furent un peu plus ouvertes. Néanmoins, il ne semble pas que Regina fut un fournisseur de l’une ou l’autre. On trouve pourtant des boîtes canadiennes de railroad habillant des couples cadran/mouvement Regina. La marque fut représentée autant à travers des modèles féminins que des versions masculines et si les mouvements les plus fréquents sont, selon la norme américaine, des 16 s soit 43,2 mm, on trouve également des 18 s (44,9 mm) et 13 s (40,64 mm) et 12 s (39,8 mm).
La fin de l’histoire
Omega semble avoir cessé d’exploiter la marque Regina au milieu des années trente. Les montres les plus récentes retrouvées avec des mécanismes Omega ont été produites en 1935. Sans doute l’émergence de la montre bracelet et son succès grandissant – il commence même à dépasser les ventes des modèles de poche –, ont-ils conduit Omega à appréhender différemment sa stratégie commerciale en privilégiant sa propre marque. Omega a ainsi offert à Regina des années de prospérité assorties d’une production fondée sur la qualité à travers des critères fixés par la maison mère. Les Regina de cette époque sont donc d’authentiques Omega, répondant en tous points aux exigences que leur possesseur pouvait avoir à l’égard de la marque biennoise.
On peut estimer à près de 80 % de la production totale de Regina, le pourcentage de pièces expédiées vers le marché nord-américain et donc emboîtées majoritairement dans des boîtes canadiennes, voire américaines. Les boîtes suisses avec cette marque au cadran sont, quant à elles, plus rares. Regina a longtemps continué à bénéficier d’une très bonne image auprès du public grâce à son mariage temporaire à Omega. La marque soeur reste, certes, beaucoup moins connue en Europe, mais elle réserve toutefois de belles surprises aux collectionneurs.