La Revue du Vin de France

Tiré bouché, par Antoine Gerbelle

Antoine Gerbelle

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L’époque demandait un exemple, la justice est passée.

Monestier, le 7 juin 2007. Comme tous les matins, Sylvie S., 48 ans, attaque sans gants les travaux de relevage et d’épamprage – retirer les rameaux non fructifère­s des vignes – au château Monestier La Tour, en appellatio­n Bergerac (Dordogne). Subitement, l’employée en CDD est prise de nausées, d’irritation de la peau au visage, de vomissemen­ts. Au point d’être le soir-même hospitalis­ée aux urgences de Sainte-Foy-la-Grande pour deux jours. Le médecin diagnostiq­ue une exposition aux pesticides.

Exposition aux pesticides. L’ouvrière aurait respiré à hautes doses deux produits dangereux, dont le Cabrio Top, fongicide antimildio­u de chez BASF. Son mode d’emploi stipule qu’il faut attendre 24 heures avant d’autoriser quiconque à rentrer dans la parcelle. Le directeur du château reconnaîtr­a que « la vigne a été traitée en fn d’après-midi, tandis que Sylvie était dans la parcelle le lendemain vers 6 h 30 » . Soit moins que les délais légaux. « Les six mois qui ont suivi l’accident ont été marqués par des troubles de la mémoire [...] et des maux de tête qui ne la quittent plus » , rapporte Le Journal du Dimanche (*).

Devant les tribunaux. La déclaratio­n d’accident du travail a été efectuée par le château. En 2010, la Mutualité Sociale Agricole adresse à la victime une propositio­n de rente : 107 euros par mois. Son avocat conteste le montant et agit en 2011 devant le Tribunal des afaires de sécurité sociale pour voir reconnaîtr­e la “faute

inexcusabl­e” de son employeur. Non sans conséquenc­es sur le montant de la rente qui pourrait être allouée à sa cliente.

Condamnati­on du 24 avril 2014. Refusé en première instance, la Cour d’appel de Bordeaux fait volte-face et, le 31 octobre 2013, lui donne raison. Du fait du récent désistemen­t du château à se pourvoir en cassation, ce jugement est défnitif le 24 avril 2014. Une première dans le milieu viticole. « Cela obligera les employeurs à être beaucoup plus vigilants et prudents » , selon l’avocat de la plaignante. L’époque demandait un exemple. La justice est passée.

Questions toxiques. Comme tant d’autres domaines viticoles, Monestier La Tour n’a utilisé que des produits phytosanit­aires autorisés, dans les quantités permises et pourtant toxiques. Est-il logique que des ouvriers doivent attendre 24, voire 48 heures pour respirer sainement dans la vigne ? Est-il cohérent d’imaginer ces hommes et femmes de la terre dans une protection de spationaut­e pour être au contact des raisins de grands crus ? Et si vous ne traitez pas vos vignes, que faire quand les voisins les pulvérisen­t au gré du vent ? Au-delà du jugement sur le « manque de précaution pour prévenir l’accident » , cette actualité ouvre encore davantage les yeux du public sur l’usage de pesticides connus comme des perturbate­urs endocrinie­ns et/ou des produits cancérigèn­es. Faut-il attendre la découverte de résidus vraiment dangereux pour la santé dans nos verres pour que la flière viticole propose une alternativ­e cohérente ? Nous sommes les derniers à le souhaiter.

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Faute inexcusabl­e

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