La Revue du Vin de France

LE VIN COMME PASSEPORT

- DENIS SAVEROT

Étudiant en médecine passionné par le vin, Mathieu Boulanger n’a pas aimé notre dossier sur les excès de zèle des autorités sanitaires (lire La RVF n°583, juillet-août 2014). Jeune lecteur de La RVF (il a moins de 30 ans), Mathieu estime que nous schématiso­ns l’opposition entre le bien (le vin) et le mal (la prévention). Et que nous traitons avec légèreté les ravages de l’alcool, « cause majeure de cancer, vecteur de violence conjugale, de violences sur les enfants, de chute sociale ».

Cher Mathieu Boulanger, loin de nous la tentation de nier les dangers d’une consommati­on excessive d’alcool, ni même l’incompatib­ilité entre le plaisir procuré par le bon vin et les contrainte­s de la conduite automobile. Mais si le vin contient de l’alcool, nous ne réduirons jamais le vin à de l’alcool. C’est là ce qui nous distingue des autorités sanitaires, lesquelles réclament désormais l’afchage des “unités d’alcool” sur les étiquettes et ne font plus de distingo entre un verre de saint-estèphe, une canette de premix et un shot de vodka.

À nos yeux, voilà qui est terrifant. Un châteauneu­f-dupape du domaine du Vieux Donjon (lire dans ce numéro la formidable dégustatio­n de Roberto Petronio) ne peut être assimilé aux mélanges de vodkas et jus de fruits avec lesquelles certains jeunes s’assomment le week-end au nom du binge drinking. Par expérience, nous savons que le vin, pour être apprécié dignement, réclame tempérance et maîtrise de soi. Que son apprentiss­age, qu’il s’agisse des plaisirs qu’il procure ou de ses dangers, constitue depuis des millénaire­s un rite d’accession à l’âge adulte, en tous cas dans nos civilisati­ons occidental­es.

Et il nous faut ici, cher Mathieu Boulanger, profter de cette discussion pour saluer le courage de celle dont vous serez bientôt le confrère, le docteur Virginie Guastella, chef de service du centre de soins palliatifs du CHU de Clermont-Ferrand. Cette praticienn­e a en efet osé un geste stupéfant : créer une cave de vins de qualité et même un “bar à vin” dans son hôpital afn de permettre à ses patients en fn de vie de profter de l’un des derniers plaisirs à leur portée, déguster un verre de bon vin.

Que nous dit le docteur Guastella ? Que le vin est à même « de ressuscite­r l’envie, de redonner une place aux émotions, voire de redonner une dimension sociale à ces malades qui ne sont pas tous en phase terminale. Ce qui fait le plus plaisir aux patients pendant le temps qui leur reste, c’est le plaisir gustatif. Je me souviens de cette malade qui n’arrivait plus à se nourrir. La seule chose qu’elle avait réussi à garder avant de mourir, c’étaient ces quelques gorgées de pomerol partagées avec ses copines. Notre initiative, conclut le docteur Guastella, peut aider beaucoup de patients soufrant d’un cancer, souvent dans un état d’anorexie, à retrouver le plaisir du goût. C’est un détail, mais il peut faire la diférence ». (Je cite ici l’excellent article de Christine Mateus dans Le Parisien du 4 août dernier).

Voilà pourquoi, cher Mathieu Boulanger, nous continuero­ns à dénoncer l’hygiénisme imbécile qui fait tant de mal à notre pays. Tant que l’actuel directeur de l’Agence nationale de sécurité du médicament afrmera que le « vin est cancérigèn­e dès le premier verre », tant que La Poste se réfugiera derrière la loi Évin pour refuser d’éditer un timbre à l’efgie d’un domaine viticole (lire page 17), nous éléverons la voix. Et puis, célébrer les vertus du vin, n’est-ce pas renouer avec l’optimisme qui fait tant défaut à notre pays ?

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