La Revue du Vin de France

Fabrice Suyrot à Majorque

Qui a dit que la vigne était intransfér­able ? Un vigneron vient de quitter le rude terroir de Bergerac pour l’île de Majorque, sa douceur et… sa réglementa­tion plus souple. Sa démarche peut-elle faire école ?

- Denis Saverot

La dernière fois que nous avons rencontré Fabrice de Suyrot, il faisait du vin à Bergerac. Un excellent bergerac, le Clos des Terrasses, à Sigoulès, à juste titre sélectionn­é dès l’édition 2007 de notre Guide vert.

Sept ans plus tard, nous retrouvons ce gestionnai­re de portefeuil­les amoureux de la terre et des beaux vins au nord-est de Majorque, la plus grande île des Baléares. Aminci, bronzé, l’homme a cédé Bergerac et changé de vie, mais il reste fdèle à sa passion : cultiver la vigne, avec la volonté de produire un vin d’auteur, un vin capable de se distinguer parmi les meilleurs de l’île.

Mais si la vigne, contrairem­ent à une usine, est réputée “intransfér­able” à l’étranger, pourquoi avoir mis le cap sur Majorque ? « L’île est splendide et ses vins sont connus depuis l’Antiquité. Au Ier siècle de notre ère, Pline l’Ancien les jugeait comparable­s aux meilleurs vins d’Italie » , assure le Français de 49 ans.

Colonia San Pere

Surtout, Fabrice de Syurot est convaincu d’avoir déniché un terroir près du village de La Colonia San Pere, à proximité de la très préservée Peninsula de Llevant, à l’opposé de la capitale Palma : un coteau en pente douce, exposé au nord, donnant sur la mer. « Les conditions sont parfaites. Pour trouver un point de comparaiso­n en France, il faudrait évoquer certains secteurs de Bandol.»

Mais l’île de Majorque ofre d’autres avantages pour un vigneron ambitieux, à commencer par la souplesse de la législatio­n locale. En 2007, malgré de gros investisse­ments, Fabrice de Suyrot peinait à valoriser son vin. « Convaincre un Français de payer 8,50 euros un bon bergerac est une gageure » , nous confait-il à l’époque (lire La RVF n° 510, avril 2007).

À Majorque, haut-lieu touristiqu­e où le vin est classé patrimoine national, comme dans toute l’Espagne, l’avenir apparaît plus porteur. La bureaucrat­ie pèse moins lourd qu’en France. « Surtout, le modèle champenois domine ici. Au sein d’une appellatio­n, n’importe quel vigneron peut acheter du raisin à son voisin et l’inclure dans son grand vin. »

Achats de raisins

Chaque producteur peut ainsi décider de vinifer ou bien vendre ses raisins. « À Bergerac, c’était l’inverse, poursuit Fabrice de Suyrot. À côté d’un Luc De Conti qui vendait très bien son vin, des voisins talentueux mais sans notoriété se retrouvaie­nt souvent en difficulté, sans qu’aucune forme d’échange ne soit possible entre eux. Un gâchis.»

L’appel du callet

Après avoir chouchouté merlots et cabernets francs en Dordogne, Fabrice de Suyrot a viré de bord en marin aguerri. Il ne plante à la Colonia San Pere que des cépages autochtone­s : callet, manto negro, gargollasa en rouge ; giro et malvoisie autochtone de Majorque en blanc. Subtils, peu extraits, fnement épicés, ses vins afchent déjà à la dégustatio­n un toque qui fait causer sur l’île, autrement dit un toucher particulie­r, notamment son blanc Es Mussols (La Chouette).

« Ce que j’ai fait ici, créer un domaine ex-nihilo en dehors du cadre d’une appellatio­n mais avec une perspectiv­e de réussite, je n’aurais jamais pu le faire en France », juge-t-il aujourd’hui.

À terme, la bodega Conde de Suyrot comptera 10 hectares, soit 40 000 bouteilles/an. Distribuée­s à Majorque, ses quatre cuvées (un blanc, deux rouges et un rosé) sont annoncées en France l’an prochain.

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FABRICE DE SUYROT. De ses années en Aquitaine, il a gardé ses bottes et le sens du beau vin.

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