À Margaux, Palmer se convertit au bio
Un château bio à Margaux
Quand un grand cru classé comme château Palmer décide d’adopter la biodynamie, il le fait avec la précision et le tact de ses vins. Chaque parcelle est étudiée, testée et travaillée avec un grand respect. Histoire d’une révolution de velours.
L’histoire de Palmer mériterait un article à part entière. Acheté en 1814 sur un coup de coeur par le major Palmer, un compagnon de Wellington séduit par les beaux yeux de madame de Gascq, ce cru va le ruiner aussi sûrement qu’une danseuse. Ce sont ensuite les banquiers Pereire au faîte de leur gloire qui mettront en valeur le potentiel du domaine, hélas trop tard pour accéder au frmament du classement de 1855 ; Palmer héritera du rang de 3e cru classé. Ils construiront le château à tourelles et le délicieux village vigneron qui le jouxte.
C’est en 1938 que quatre familles du paysage bordelais rachètent le cru, les Sichel, Mähler-Besse, Ginestet et Miailhe. Les deux dernières vendront leurs parts aux deux premières, représentées aujourd’hui par la troisième génération avec une kyrielle de cousins représentés au conseil de surveillance. Après une brillante direction de Bertrand Bouteiller, les actionnaires confent la direction de Palmer à Tomas Duroux en 2004.
Le vignoble est exceptionnel, avec une croupe qui fait face à château Margaux et regarde l’estuaire, composée de graves pyrénéennes güntziennes en trois horizons, 30 cm de graves sableuses en surface, puis 30 cm de graves argileuses assises sur de nouvelles graves sableuses. Un potentiel parfait pour une alimentation régulière de la vigne et un drainage idéal. « Cet horizon riche en argile agit comme un goutte-à-goutte naturel, la vigne ne soufre jamais de sécheresse. » Une autre partie, dans le secteur de La Croix de Fer vers Cantenac, est plus riche en argile, avec des graves très profondes, un enracinement important. Le premier secteur amène la fnesse, le second la puissance : une équation parfaite. Le rachat des quatre hectares de vieilles vignes de château Vincent vient enrichir le potentiel, elles sont désormais incorporées à Palmer.
La grande croupe de graves fnes près de l’eau, un véritable terroir de premier cru, était le lieu favori d’Henri Enjalbert, professeur de géographie à l’université de Bordeaux, pour ses études du sol margalais. En 2007, la nouvelle équipe y a initié une vaste campagne de caractérisation : mesure de la résistivité des sols, cartographie par ULM et caméra infrarouge, mesure des alimentations hydriques et azotées… le tout pour une synthèse qui a permis de caractériser le potentiel agronomique des parcelles.
Le changement de culture
Il en résulte une révision drastique des méthodes de culture : abandon des techniques traditionnelles du travail du sol et introduction de l’enherbement. Un enherbement raisonné au vu des caractéristiques de la parcelle : permanent ou saisonnier, semé ou naturel, il ne suit pas moins de 15 pratiques diférentes, en fonction des taux d’azote, d’eau, des diférences de sol, de
la vigueur des pieds de vigne. Ces données seront aussi déterminantes dans la décision des dates de vendanges. Seul le dessous du rang est travaillé, on évite un trop grand tassement des sols avec un tracteur muni d’un troisième essieu pour répartir la charge. En revanche, le projet de conversion en biodynamie a fait son chemin. Après une expérimentation menée sur un hectare en 2009 comparé à un hectare conduit en culture conventionnelle, on est passé à 11 ha en 2011, puis à 33 en 2013 pour atteindre la totalité en 2014. La démarche est en cours de certifcation. « Je n’exploite pas un vignoble, précise Tomas Duroux, je vis une propriété. Mais restons modestes. Nous avons baissé le rendement en rééquilibrant la vigueur des pieds, il est difcile de dépasser 35 hl/ha pour obtenir une qualité digne de Palmer » .
Ils adoptent donc une taille draconienne pour limiter les rendements : six à huit grappes par pied, en accord avec la densité traditionnelle du Médoc, 10 000 pieds/ha. Ce qui n’empêche pas une expérience surprenante : une parcelle a été replantée à 20 000 pieds espacés d’un mètre entre les rangs, avec une taille diférente pour optimiser l’espace. Un retour aux anciennes densités lorsque le vignoble était planté en foule. Autre curiosité, une parcelle de blanc a vu le jour avec un encépagement qui s’éloigne des canons médocains : muscadelle, lozet, sauvignon gris et merlot blanc. Ce dernier donne lieu à une production confdentielle (non commercialisée) d’un vin passerillé sur claies très étonnant.
Sur 55 ha, l’encépagement en rouge est composé de 47% de merlot, 47% de cabernet-sauvignon et 6 % de petit verdot. L’âge moyen navigue autour des 38 ans. Notez que la proportion importante de merlot n’est pas étrangère au style Palmer.
Une matière première choyée
Les raisins sont d’abord triés à la vigne, puis transportés en cagettes au cuvier
retournées sur un premier tapis vibrant. Un second tapis pour un tri manuel, puis un érafoir révolutionnaire qui bat les grappes en douceur et trie les grains selon leur taille grâce à des rouleaux successifs. Un dernier tri optique assure une matière première d’une grande pureté et d’un état sanitaire irréprochable.
D’abord, on évite le sulftage au raisin en lançant de suite la fermentation grâce à un levain qui colonise immédiatement le milieu sucré – lors d’une autre étape un levain est élaboré avec une levure indigène pour cause de certifcation. Puis la récolte est foulée et transportée par gravité en cuves avec de petits cuvons mobiles sur palans. Les 55 cuves inox sont tronconiques, de capacités adaptées aux parcelles voire aux portions de parcelles. Le cuvier équipé de cuves de 100 hl fonctionne comme un bain-marie. Les remontages sont efectués par un robot qui arrose le chapeau de façon homogène.
Les fermentations se déroulent entre 26 °C et 30 °C et la cuvaison entre 25 °C et 28 °C. « On essaie d’extraire plutôt en phase aqueuse, moins ensuite. » Un cuvier expérimental, avec des cuves de petites dimensions, est destiné aux nombreux essais dont Tomas Duroux n’est pas avare. Les marcs sont pressés dans des pressoirs verticaux, les jus seront sélectionnés et élevés à part, utilisés dans les assemblages selon dégustation.
Les vins sont ensuite entonnés dans 50 à 70 % de bois neuf pour le grand vin, 25 à 40 % pour Alter Ego. La malolactique s’efectue pour partie sous bois, les élevages durent entre 20 à 21 mois pour Château Palmer, avec des soutirages à l’esquive. Deux chais à barriques se partagent les vins, un par millésime, chacun y restera tout son élevage. Un collage au blanc d’oeuf viendra apporter une ultime clarifcation avant mise en bouteilles.
Primeurs obligent, les assemblages sont déterminés assez tôt entre Palmer et Alter Ego. Alter Ego n’est pas présenté comme un second vin : issu de parcelles propres, le style de ses raisins est diférent, ainsi que les vinifcations et l’élevage, avec moins d’extraction et moins de bois. Si 5 à 15 % des vins partent en vrac, le reste est également réparti entre Palmer et Alter Ego.
Un corps musclé et charpenté
Il y a un style Palmer qui transcende les évolutions technologiques. Un style qui se définirait entre élégance aromatique et velouté de trame. L’excellence de ce terroir va bien au merlot qui dévoile ici une fnesse particulière avec un fruité éclatant et précis. Le cabernet-sauvignon apporte sa droiture et sa rigueur. Le corps de Palmer est musclé et charpenté. Les tanins, à parfaite maturité et au grain très velouté, sont parfaitement extraits. Très charmeurs jeunes, les vins de Palmer s’étofent à la garde avec l’apparition d’un bouquet racé et complexe, une allonge qui s’étire avec le temps. Un grand margaux pétri d’élégance qui a pris une dimension supérieure avec ces derniers millésimes. Quant à Alter Ego, avec son fruité croquant, sa souplesse, son sourire immédiat et ses tanins fondus, c’est un vin de plaisir qui fait partie de la famille.