La Revue du Vin de France

À Margaux, Palmer se convertit au bio

Un château bio à Margaux

- Reportage de Pierre Casamayor

Quand un grand cru classé comme château Palmer décide d’adopter la biodynamie, il le fait avec la précision et le tact de ses vins. Chaque parcelle est étudiée, testée et travaillée avec un grand respect. Histoire d’une révolution de velours.

L’histoire de Palmer mériterait un article à part entière. Acheté en 1814 sur un coup de coeur par le major Palmer, un compagnon de Wellington séduit par les beaux yeux de madame de Gascq, ce cru va le ruiner aussi sûrement qu’une danseuse. Ce sont ensuite les banquiers Pereire au faîte de leur gloire qui mettront en valeur le potentiel du domaine, hélas trop tard pour accéder au frmament du classement de 1855 ; Palmer héritera du rang de 3e cru classé. Ils construiro­nt le château à tourelles et le délicieux village vigneron qui le jouxte.

C’est en 1938 que quatre familles du paysage bordelais rachètent le cru, les Sichel, Mähler-Besse, Ginestet et Miailhe. Les deux dernières vendront leurs parts aux deux premières, représenté­es aujourd’hui par la troisième génération avec une kyrielle de cousins représenté­s au conseil de surveillan­ce. Après une brillante direction de Bertrand Bouteiller, les actionnair­es confent la direction de Palmer à Tomas Duroux en 2004.

Le vignoble est exceptionn­el, avec une croupe qui fait face à château Margaux et regarde l’estuaire, composée de graves pyrénéenne­s güntzienne­s en trois horizons, 30 cm de graves sableuses en surface, puis 30 cm de graves argileuses assises sur de nouvelles graves sableuses. Un potentiel parfait pour une alimentati­on régulière de la vigne et un drainage idéal. « Cet horizon riche en argile agit comme un goutte-à-goutte naturel, la vigne ne soufre jamais de sécheresse. » Une autre partie, dans le secteur de La Croix de Fer vers Cantenac, est plus riche en argile, avec des graves très profondes, un enracineme­nt important. Le premier secteur amène la fnesse, le second la puissance : une équation parfaite. Le rachat des quatre hectares de vieilles vignes de château Vincent vient enrichir le potentiel, elles sont désormais incorporée­s à Palmer.

La grande croupe de graves fnes près de l’eau, un véritable terroir de premier cru, était le lieu favori d’Henri Enjalbert, professeur de géographie à l’université de Bordeaux, pour ses études du sol margalais. En 2007, la nouvelle équipe y a initié une vaste campagne de caractéris­ation : mesure de la résistivit­é des sols, cartograph­ie par ULM et caméra infrarouge, mesure des alimentati­ons hydriques et azotées… le tout pour une synthèse qui a permis de caractéris­er le potentiel agronomiqu­e des parcelles.

Le changement de culture

Il en résulte une révision drastique des méthodes de culture : abandon des techniques traditionn­elles du travail du sol et introducti­on de l’enherbemen­t. Un enherbemen­t raisonné au vu des caractéris­tiques de la parcelle : permanent ou saisonnier, semé ou naturel, il ne suit pas moins de 15 pratiques diférentes, en fonction des taux d’azote, d’eau, des diférences de sol, de

la vigueur des pieds de vigne. Ces données seront aussi déterminan­tes dans la décision des dates de vendanges. Seul le dessous du rang est travaillé, on évite un trop grand tassement des sols avec un tracteur muni d’un troisième essieu pour répartir la charge. En revanche, le projet de conversion en biodynamie a fait son chemin. Après une expériment­ation menée sur un hectare en 2009 comparé à un hectare conduit en culture convention­nelle, on est passé à 11 ha en 2011, puis à 33 en 2013 pour atteindre la totalité en 2014. La démarche est en cours de certifcati­on. « Je n’exploite pas un vignoble, précise Tomas Duroux, je vis une propriété. Mais restons modestes. Nous avons baissé le rendement en rééquilibr­ant la vigueur des pieds, il est difcile de dépasser 35 hl/ha pour obtenir une qualité digne de Palmer » .

Ils adoptent donc une taille draconienn­e pour limiter les rendements : six à huit grappes par pied, en accord avec la densité traditionn­elle du Médoc, 10 000 pieds/ha. Ce qui n’empêche pas une expérience surprenant­e : une parcelle a été replantée à 20 000 pieds espacés d’un mètre entre les rangs, avec une taille diférente pour optimiser l’espace. Un retour aux anciennes densités lorsque le vignoble était planté en foule. Autre curiosité, une parcelle de blanc a vu le jour avec un encépageme­nt qui s’éloigne des canons médocains : muscadelle, lozet, sauvignon gris et merlot blanc. Ce dernier donne lieu à une production confdentie­lle (non commercial­isée) d’un vin passerillé sur claies très étonnant.

Sur 55 ha, l’encépageme­nt en rouge est composé de 47% de merlot, 47% de cabernet-sauvignon et 6 % de petit verdot. L’âge moyen navigue autour des 38 ans. Notez que la proportion importante de merlot n’est pas étrangère au style Palmer.

Une matière première choyée

Les raisins sont d’abord triés à la vigne, puis transporté­s en cagettes au cuvier

retournées sur un premier tapis vibrant. Un second tapis pour un tri manuel, puis un érafoir révolution­naire qui bat les grappes en douceur et trie les grains selon leur taille grâce à des rouleaux successifs. Un dernier tri optique assure une matière première d’une grande pureté et d’un état sanitaire irréprocha­ble.

D’abord, on évite le sulftage au raisin en lançant de suite la fermentati­on grâce à un levain qui colonise immédiatem­ent le milieu sucré – lors d’une autre étape un levain est élaboré avec une levure indigène pour cause de certifcati­on. Puis la récolte est foulée et transporté­e par gravité en cuves avec de petits cuvons mobiles sur palans. Les 55 cuves inox sont tronconiqu­es, de capacités adaptées aux parcelles voire aux portions de parcelles. Le cuvier équipé de cuves de 100 hl fonctionne comme un bain-marie. Les remontages sont efectués par un robot qui arrose le chapeau de façon homogène.

Les fermentati­ons se déroulent entre 26 °C et 30 °C et la cuvaison entre 25 °C et 28 °C. « On essaie d’extraire plutôt en phase aqueuse, moins ensuite. » Un cuvier expériment­al, avec des cuves de petites dimensions, est destiné aux nombreux essais dont Tomas Duroux n’est pas avare. Les marcs sont pressés dans des pressoirs verticaux, les jus seront sélectionn­és et élevés à part, utilisés dans les assemblage­s selon dégustatio­n.

Les vins sont ensuite entonnés dans 50 à 70 % de bois neuf pour le grand vin, 25 à 40 % pour Alter Ego. La malolactiq­ue s’efectue pour partie sous bois, les élevages durent entre 20 à 21 mois pour Château Palmer, avec des soutirages à l’esquive. Deux chais à barriques se partagent les vins, un par millésime, chacun y restera tout son élevage. Un collage au blanc d’oeuf viendra apporter une ultime clarifcati­on avant mise en bouteilles.

Primeurs obligent, les assemblage­s sont déterminés assez tôt entre Palmer et Alter Ego. Alter Ego n’est pas présenté comme un second vin : issu de parcelles propres, le style de ses raisins est diférent, ainsi que les vinifcatio­ns et l’élevage, avec moins d’extraction et moins de bois. Si 5 à 15 % des vins partent en vrac, le reste est également réparti entre Palmer et Alter Ego.

Un corps musclé et charpenté

Il y a un style Palmer qui transcende les évolutions technologi­ques. Un style qui se définirait entre élégance aromatique et velouté de trame. L’excellence de ce terroir va bien au merlot qui dévoile ici une fnesse particuliè­re avec un fruité éclatant et précis. Le cabernet-sauvignon apporte sa droiture et sa rigueur. Le corps de Palmer est musclé et charpenté. Les tanins, à parfaite maturité et au grain très velouté, sont parfaiteme­nt extraits. Très charmeurs jeunes, les vins de Palmer s’étofent à la garde avec l’apparition d’un bouquet racé et complexe, une allonge qui s’étire avec le temps. Un grand margaux pétri d’élégance qui a pris une dimension supérieure avec ces derniers millésimes. Quant à Alter Ego, avec son fruité croquant, sa souplesse, son sourire immédiat et ses tanins fondus, c’est un vin de plaisir qui fait partie de la famille.

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convertie en biodynamie en 2014.
Photos : D. R. PALMER S’EST MIS AU VERT. Après une étude très approfondi­e du terroir initiée en 2007, la totalité du vignoble de château Palmer a été convertie en biodynamie en 2014.
 ??  ?? THOMAS DUROUX Thomas Duroux est ingénieur ENITA et oenologue. Il a roulé sa bosse en Médoc, Frioul, Hongrie, Toscane, Californie. Il a participé à l’aventure Mondavi en Languedoc avant de prendre les rênes de château Palmer. Ce fou de jazz organise des...
THOMAS DUROUX Thomas Duroux est ingénieur ENITA et oenologue. Il a roulé sa bosse en Médoc, Frioul, Hongrie, Toscane, Californie. Il a participé à l’aventure Mondavi en Languedoc avant de prendre les rênes de château Palmer. Ce fou de jazz organise des...
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Après Pontet-Canet, Palmer est le deuxième cru classé du Médoc a engagé la révolution du bio.
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AU-DELÀ DES TECHNIQUES, UN STYLE. Château Palmer se défnit avant tout par une élégance issue d’un terroir et d’un encépageme­nt particulie­r. Et c’est sans compter sur son art de l’extraction parfaiteme­nt maîtrisé.
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