La Revue du Vin de France

Libre parole, par Jean-Robert Pitte

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Je reviens sur un sujet que je pense être une vraie pierre d’achoppemen­t pour le vin : le repas gastronomi­que des Français, classé par l’Unesco en 2010 comme patrimoine immatériel de l’humanité. Dans le dossier présenté pour obtenir cette reconnaiss­ance, fgurait l’item suivant : “marier mets et vins”. C’est l’une des spécifcité­s de notre art de bien manger, même si maintes gastronomi­es étrangères prévoient de servir du vin à table ; souvent un vin unique ou, comme en Angleterre ou en Chine, en fn de repas. L’un des ténors français des fourneaux m’a déclaré il y a peu : « Moi, je n’y connais rien en vin et cela ne m’intéresse guère. Je fais totalement confance à mon sommelier. » Sous-entendu pour vendre aux clients les bouteilles les plus onéreuses, à l’instar d’une carte qui propose des entrées à 160 euros… Las !

Par bonheur, certains chefs, infuencés par des pionniers comme Alain Senderens, Alain Dutournier ou Jean Bardet, servent des vins au verre et proposent des menus sobres dans lesquels chaque plat est accompagné d’un verre de vin, tous deux choisis pour afnité. C’est un art délicat qui requiert l’humilité de la part des cuisiniers et une étroite complicité avec leur sommelier. Je me souviens de deux repas pensés dans cet esprit. Je vous livre ici la compositio­n de celui que Guy Savoy a concocté en juillet dernier avec Sylvain Nicolas, son sommelier passionné :

• Chablis Grenouille­s 2011, Louis Michel Petite soupe de courgettes, basilic et cerfeuil Huîtres en nage glacée et concassées, granité algues et citrons Le bar, sa tête rôtie, ses écailles grillées

• Ermitage 2009, Philippe et Vincent Jaboulet Du homard, de l’abricot, de la verveine Poêlée de moules et mousserons, jus “terre et mer”

• Côte-rôtie 2005, Michel et Stéphane Ogier Soupe d’artichaut à la trufe noire, brioche feuilletée aux champignon­s et trufes Canard gras rôti sur l’os Fromages • Coteaux-du-layon Saint-Lambert 2010, domaine Ogereau

Abricot-canne à sucre

Après avoir mis en lumière en 2013 les cinq plus grands vins blancs de France selon Curnonsky, les frères Gardinier et le chef du Taillevent, Alain Solivérès, ont récidivé en 2014 en imaginant les plats pour accompagne­r les cinq vins préférés de l’écrivain new-yorkais Jay McInerney. Résultat, cinq mariages d’amour : • Condrieu La Combe de Malleval 2010, Michel et Stéphane Ogier Coquilles Saint-Jacques, huîtres et cresson au vin de Condrieu

• Sauternes 1997, château de Fargues

Poule faisane en feuilleté aux saveurs automnales

• Gevrey-chambertin 2002, Denis Mortet Perdreau pattes grises et sa rôtie, polenta aux olives Taggiasche

• Pessac-léognan rouge 1988, château Haut-Brion Chevreuil, noisettes et châtaignes, avec sa sauce grand veneur

• Champagne rosé, Jacques Selosse

Nougat rafraîchi, éclats de framboise. ◼

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