La Revue du Vin de France

Jean-Pierre Xiradakis

Chantre de la cuisine du Sud-Ouest, le propriétai­re du restaurant La Tupina à Bordeaux est un infatigabl­e randonneur qui a marché jusqu’à l’origine de la vigne, en Crète.

- Entretien et photos par Jérôme Baudouin.

La Revue des vins de France : C’est un sacré périple que vous avez effectué l’été dernier… Jean-Pierre Xiradakis : J’avais envie de partir un long moment sur les chemins, marcher un mois vers la Méditerran­ée, en solitaire. Je marche depuis que j’ai fait mon service militaire, à 18 ans et j’en éprouve toujours le même plaisir de découverte. Pour moi, c’est le meilleur moyen de regarder le monde. Le rythme de la marche est idéal. Nous avons le temps de voir se profler le paysage, il faut de longues minutes avant d’arriver à un point que l’on aperçoit. C’est la même chose avec les gens que l’on croise. Ils nous voient arriver tranquille­ment et il y a déjà un échange qui se crée. C’est formidable. La RVF : Quel était le but de cette longue marche ? J.-P. X. : Rejoindre les rives de la Méditerran­ée, en empruntant des chemins de randonnée et des vignobles, depuis mon point de départ, l’abbaye de Saint-Ferme, dans l’Entre-deux-Mers, près de Bordeaux. Ensuite, fnir ce voyage en Crète, qui est à la fois un berceau de la viticultur­e mais également l’origine de mon nom. La RVF : Au cours de ce voyage, vous avez remonté l’histoire de la vigne ? J.-P. X. : Exactement. C’était l’idée que j’avais avant mon départ, remonter en sens inverse le chemin entrepris par la vigne avec les Romains, depuis les rives de la Méditerran­ée jusqu’aux bords de l’Atlantique. Mais ce but a fnalement été alimenté par la qualité des discussion­s que j’ai pu avoir avec les vignerons rencontrés sur mon chemin. Je vais d’ailleurs résumer ce voyage dans un ouvrage à paraître en septembre prochain 1. La RVF : Que vous ont-ils appris ? J.-P. X. : Chacun m’a donné son interpréta­tion du vin. Laurent de Bosredon m’a parlé de la difficulté de continuer à faire du Monbazilla­c, Jean-Marc Verhaeghe des paysages de Cahors, Robert Plageoles, à Gaillac, de vignes sauvages et Philippe Courrian, en Corbières, d’un vin qu’il élabore sans chimie. Et chaque étape a été l’objet de discussion­s sur la vigne, sa culture, mais aussi la biodiversi­té du vignoble et l’origine des cépages. La RVF : Quels sont les interlocut­eurs qui vous ont le plus surpris ? J.-P. X. : Par exemple, Robert Plageoles m’a abondammen­t parlé de la biodiversi­té et de l’origine des vignes. Il m’a emmené dans une forêt près de chez lui où pousse dans les arbres une vigne sauvage d’origine inconnue, c’est impression­nant. Je ne pensais même pas que cela existait encore. D’ailleurs, il doit la peindre en bleu pour être sûr que les forestiers ne la coupent pas. Philippe Courrian m’a fait goûter son rosé qui ne contient aucun produit chimique à l’intérieur et qu’il réserve pour sa consommati­on personnell­e. Un vin surprenant, aromatique, comme une friandise. Je repense également à Hervé Durand qui a reconstitu­é un vignoble gallo-romain à Beaucaire. Autant de rencontres et d’informatio­ns qui ont nourri ma réfexion sur l’origine de la vigne.

Chaque étape a été l’objet de discussion­s sur la vigne et sa culture.

Une bonne balade, c’est comme un bon plat

La RVF : Quel regard portez-vous sur la vigne à présent? J.-P. X. : Je trouve que l’on a laissé passer beaucoup de choses au proft de la viticultur­e intensive. La terre se meurt à cause des engrais chimiques et de sa surexploit­ation. Je crois beaucoup à l’agroforest­erie et à la permacultu­re qui permettent d’associer une autre plante à la vigne, comme par exemple des arbres fruitiers ou des cultures maraîchère­s. Cette technique commence à se développer, elle permet de régénérer les sols naturellem­ent et d’entretenir une biodiversi­té. Regardez, autrefois, il y avait des arbres fruitiers dans chaque vigne, ce qui a donné la pêche de vigne. On utilisait le marcottage pour replanter partiellem­ent une vigne, aujourd’hui, on arrache complèteme­nt la parcelle et on replante derrière. On en arrive à cette hégémonie des mêmes cépages que l’on retrouve partout dans le monde, comme le cabernet sauvignon ou le merlot. J’ai terminé mon voyage en Grèce, où il y a un potentiel de cépages originels considérab­le, avec des goûts très divers. Malheureus­ement, nombre de vignerons locaux ont tout arraché pour replanter du merlot, du cabernet et du chardonnay. C’est terrible, cette dérive. La RVF : Existe-t-il une issue ? J.-P. X. : On arrive peut-être à la fn d’un cycle. Il commence à y avoir une prise de conscience de la part de certains vignerons dans les grands vignobles. Et les gens que j’ai croisés, Courrian, Verhaeghe, Plageoles et les autres mettent en place des solutions alternativ­es. À l’instar d’Hervé Bizeul en Languedoc par exemple qui s’intéresse de près à l’agroforest­erie. À Bordeaux, certains commencent à replanter de la carménère et du malbec, on voit la résurgence des cépages locaux du Sud-Ouest et tant mieux ! Il faut une diversité des goûts. La RVF : Vous êtes un vrai défenseur des vins et de la culture du Sud-Ouest, vous êtes né à Blaye, dans le nord de la Gironde, mais vous avez découvert le vignoble bordelais de manière étonnante. J.-P. X. : Si je suis né à Blaye, j’ai grandi au coeur du quartier des Capucins, dans le centre de Bordeaux. Mes parents tenaient une petite épicerie, et mon horizon se limitait aux rues voisines. Imaginez que lorsque nous allions du côté des Quinconces (NDLR : centre historique et bourgeois de Bordeaux), c’était comme si nous allions à la ville. Je n’ai pas fait d’études et je suis parti en apprentiss­age pour devenir quincailli­er. Après mon service militaire, je suis allé travailler dans un restaurant en Espagne et vivre au Pays basque, où j’étais serveur. De retour à Bordeaux, j’ai dit à mon épouse, alors étudiante, que je voulais ouvrir un restaurant. La RVF : Qu’est-ce qui vous plaisait dans la restaurati­on ? J.-P. X.: En fait, au cours de mon séjour en Espagne, puis au Pays basque, comme serveur, j’ai découvert le contact avec les clients, l’idée de donner du plaisir et d’avoir ce retour immédiat. Au Pays basque, j’ai travaillé chez un couple de restaurate­urs un peu baba cool qui ne cuisinaien­t que les produits de leur ferme. L’idée a fait son chemin et quelques mois plus tard, lors de la rentrée universita­ire, j’ai décidé d’ouvrir un petit restaurant dans le quartier populaire de SainteCroi­x, à Bordeaux, en reprenant ce que j’avais vécu au Pays basque, produire une cuisine de terroir, simple et goûteuse. La RVF : Dans le même temps, vous viviez une véritable révolution culturelle ? J.-P. X. : On peut dire cela. On était en 1968. Je commence à rencontrer des étudiants, grâce à ma femme et à m’ouvrir à un autre milieu social que le mien. Cela a été comme un déclic. Je me suis mis à lire énormément, à écouter de la musique. J’avais même des complexes par rapport aux autres. C’est à ce moment-là que j’ai redécouver­t ma ville et son histoire. J’avais l’impression que l’horizon s’ouvrait devant moi. La RVF : Et le vin dans tout cela ? J.-P. X. : J’ai commencé à marcher autour de Bordeaux, découvert les vignobles, des coteaux et les grands crus que je ne connaissai­s pas. Cela a été une véritable révélation ! Évidemment, je me suis rendu compte que la cuisine et le vin faisaient bon ménage. Sauf que j’avais un manque criant de connaissan­ce, c’est pour cela que j’ai passé le diplôme d’aptitude à la dégustatio­n à la faculté d’oenologie, pour mieux comprendre les vins et les associer aux plats traditionn­els que nous proposions dans mon restaurant, la Tupina. La RVF : Cette identité du Sud-Ouest que vous revendique­z et que vous mettez en avant dans votre établissem­ent est apparue à cette époque ? J.-P. X. : Je n’ai pas attendu le Slow Food et les Locavores pour mettre en avant les produits locaux. Cela fait 40 ans que l’on travaille avec les producteur­s locaux à la Tupina. On a besoin de cette relation car c’est notre environnem­ent, notre tissu social qu’il faut le maintenir. Et nous avons eu la même démarche avec les viticulteu­rs. La RVF : Vos marches dans les vignes vous ont amené à écrire le premier guide de randonnée dans le vignoble dès le début des années 1990, avec votre ami et chroniqueu­r gastronomi­que, Alain Aviotte. Vous êtes un pionnier de l’oenotouris­me en quelque sorte. J.-P. X. : J’ai imaginé ces guides avec Alain Aviotte, car ce qui me plaît dans la marche, c’est ce temps ralenti qui permet de rencontrer les gens, ceux qui travaillen­t dans les vignes, les personnes assises sur un banc, et de découvrir le patrimoine qui nous entoure. Une bonne balade, c’est comme un bon plat, il doit y avoir du goût, du sel, diférentes textures et dans la marche, le piéton doit avoir la même sensation. S’il ne devait voir que la vigne, ce serait ennuyeux. J’ai donc imaginé des balades de deux heures environ où l’on parle du patrimoine, de la vigne et des vignerons, de la géographie, des plantes et des produits traditionn­els de la région. Finalement tout ce qui construit le paysage que l’on découvre.

La RVF : Comment jugez-vous aujourd’hui l’accueil dans les vignobles ? J.-P. X. : Je trouve malheureus­ement que les vignerons sont un peu comme des moutons de Panurge. Je ne suis pas le premier à le dire et là, je reprends les propos du journalist­e Pierre-Marie Doutrelant qui disait cela, déjà dans son ouvrage Les Bons Vins et les autres, à propos de Bordeaux. Trop de vignerons se contentent de copier le voisin. Mouton Rothschild a été le premier à faire des étiquettes avec des artistes, aujourd’hui, combien sont-ils à faire de même ? On retrouve ce même suivisme pour les élevages en barrique, puis avec les cuves en inox et maintenant avec le cheval dans les vignes. À force, les vignerons tiennent tous le même discours et racontent la même histoire aux touristes de passage. La RVF : Que préconisez-vous ? J.-P. X. : Par exemple, en ce qui concerne les balades dans le vignoble, j’ai proposé au syndicat viticole de côtes de Bordeaux de former des personnes sans emploi des communes viticoles pour qu’elles accompagne­nt les marcheurs pendant quelques kilomètres et qu’elles leur expliquent ce que l’on voit. Par exemple, un ruisseau qui passe par ici et où l’on pêchait enfant, les traditions locales et bien entendu le vignoble, les cépages, les modes de culture. Nombre de personnes âgées, dans les villages, ont des histoires à raconter, un savoir à transmettr­e qu’il serait formidable de valoriser auprès des marcheurs et des touristes. Ces gens possèdent un véritable trésor, une ressource incroyable. La RVF : Marcher ce n’est pas seulement avancer sur un chemin. J.-P. X. : Non, en efet, les paysages que l’on découvre méritent d’être interprété­s et expliqués. L’église romane que l’on voit au loin possède une histoire, tout comme le chêne au bord du chemin. Des guides, des accompagna­teurs sont les bienvenus car ils connaissen­t mieux que personne leur région. La RVF : Il y a des appellatio­ns que vous aimez particuliè­rement ? J.-P. X. : Malheureus­ement pour certains, je chéris les faibles, donc les vins de l’Entre-deux-Mers. C’est l’un des plus beaux vignobles de la Gironde, mais le plus délaissé alors que c’est celui qui a le plus d’atouts. Vous avez également les vins des côtes, comme Blaye et Bourg. Le vignoble du fronsadais est sublime et il soufre d’être à l’ombre des crus de Saint-Émilion et Pomerol. Or certains crus de Fronsac sont meilleurs que des grands crus de l’appellatio­n voisine. La RVF : Nous avons parlé de votre périple en Crète. Avez-vous goûté là-bas des vins qui vous ont plu ? J.-P. X. : J’ai un souvenir très précis, après avoir marché quatre heures dans le centre de l’île. Je sens des arômes de rafe. Derrière un muret, je vois un jeune homme qui vinife du vin dans une cuve. Je lui demande si c’est du vin et il me tend un verre de vin qui avait des arômes de fruits très expressifs. C’est sans doute le meilleur vin que j’ai jamais bu et je lui demande d’où proviennen­t les raisins. Et là, il me montre une treille au-dessus de sa tête. Les raisins venaient de là-haut. C’était magique et cela m’a donné à revoir mon jugement sur ce qu’est un bon vin. Doit-il être exempt de défaut ou doit-il amener à réféchir ? Est-ce qu’au fond ce n’est pas cela, un vin philosophi­que ? Faut-il systématiq­uement juger le vin avec des critères très stricts ou bien se laisser aller à passer un bon moment avec un compagnon qui s’appelle le vin ? La RVF : C’est aussi en Crète que vous avez retrouvé l’origine de votre nom. J.-P. X. : Je croyais mon nom était originaire d’un village portuaire. Mais un gars sur l’île m’a dit que mon nom venait d’un village de montagne. J’y suis allé et efectiveme­nt, dans le cimetière, je vois plein de tombes au nom de Xiradakis. Je vais m’asseoir à la terrasse de la taverne du village, je discute avec le patron qui me dit que lui aussi s’appelle Xiradakis. Il me montre les hommes assis aux diférentes tables et me dit : lui s’appelle Xiradakis, lui aussi et l’autre aussi. Et voilà, mon voyage s’est terminé là, je suis remonté jusqu’à l’origine de la vigne et à l’origine de mon nom. J’ai bu le vin de la treille. Je pouvais rentrer chez moi. La RVF : Ce vin, qu’avait-il de particulie­r ? J.-P. X. : Il m’a transmis une très grande émotion au moment où je l’ai goûté. Parce qu’il y avait ces circonstan­ces particuliè­res qui l’entouraien­t. Pour moi l’émotion transmise par un grand vin est toujours associée à un moment partagé avec quelqu’un. Par exemple, j’ai toujours en mémoire le vin que j’ai bu lorsque j’ai rencontré mon épouse, un château Saint-Georges 1945. Ce n’est pas le plus grand de Bordeaux, mais j’en garde une grande émotion.

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REGARD. Ennemi de la viticultur­e intensive, il regrette l’hégémonie de certains cépages internatio­naux et prône une plus grande biodiversi­té du vignoble.

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