À Givry, petite révolution au domaine Joblot
Après trois générations d’hommes, c’est une jeune femme de 29 ans, la fille de Jean-Marc, qui prend les commandes du fameux domaine de Givry. Objectif : moins de bois neuf.
Comme nombre de domaines de cette côte chalonnaise, celui de Joblot est issu d’une lignée paysanne qui pratiquait la polyactivité agricole. C’est l’arrière-grand-père de Juliette, Charles Joblot, qui ouvre la dynastie vigneronne avec les Clos de la Servoisine et du Cellier aux Moines, le coeur historique du domaine.
Instigateur de l’AOC Givry, l’ancêtre sera secondé par ses deux fils qui vont étendre le vignoble par achats de parcelles, une pratique plus aisée à l’époque, tout en abandonnant la vente en vrac dès les années 1950 pour ne plus vendre que du vin en bouteilles en 1960. À partir de 1979, le père de Juliette, Jean-Marc, a porté la réputation du domaine au devant de la scène locale. Sa formation d’oenologue, plutôt rare en ces temps, le poussera à repenser de nouveaux moyens techniques, à introduire de la modernité dans un monde pétri de ces traditions qui pouvaient friser l’archaïsme. Il repensera la qualité du matériel végétal, mis à mal par la plantation de ces clones médiocres qui ont fait tant de mal à la réputation du pinot noir bourguignon ; il sera un fervent défenseur des vins de Givry. Il sera rejoint en 1986 par son frère, Vincent. Celui-ci s’occupera du vignoble. Une parfaite association de deux compétences, l’un à la vigne, l’autre au chai. Le domaine deviendra un fer de lance de cette côte chalonnaise, avec des vins recherchés par les amateurs, au même titre que ceux d’appellations plus prestigieuses et bien plus onéreuses.
« Il est où votre père ? »
En 2010, ce sera l’arrivée de la nouvelle génération, avec Juliette, fraîche émoulue de son diplôme d’oenologie de Dijon, la tête pleine de projets, elle apporte une vision contemporaine sur ce domaine familial. La transition s’effectue en douceur : « Nous sommes en pleine phase de passation de pouvoir, raconte-t-elle, mon père, Jean-Marc, a du mal à partir, mon oncle Vincent est toujours dans les vignes, nous parlerons d’évolution plutôt que de révolution. » D’autant que les visiteurs se montrent parfois surpris : « Il est où votre père ? » « Il n’est pas là ! » répond Juliette, agacée, en quête d’affirmation. « Je suis une “fille de…”. Il me faut batailler pour me faire accepter » .
Le terroir de Givry, niché dans un amphithéâtre naturel qui regarde au sud et à l’est, est couronné de bois qui protègent le vignoble des vents d’ouest et des risques de grêle. Le domaine Joblot possède des parcelles aux expositions multiples, le Clos de la Servoisine et le Cellier des Moines. Ils regardent au sud-est et au sud et sont surmontés par des parcelles acquises par un ancien de LVMH, Philippe Pascal. Des gens reconnus pour leur flair… On se désole ici du grignotage du bois du sommet de la colline pour établir des plantations. Lorsque l’on connaît son extrême importance microclimatique dans le vignoble bourguignon, ce laisser-aller inquiète.
Les sols sont soit des argilo-calcaires bruns, soit des altérations des calcaires de l’oxfordien jurassique au Cellier aux Moines, à des altitudes qui s’étagent entre 240 et 280 mètres. Les blancs sont plantés en haut, les rouges en bas.
Gérée avec passion par Vincent Joblot, la viticulture du domaine se veut pragmatique. Les sols sont travaillés, un griffage pour éviter de les perturber, avec passage de l’intercep sous les rangs, on ne pratique pas ici les chaussages et déchaussages traditionnels, traumatisants, d’après Juliette.
Pas d’option bio ici, on ne veut pas être prisonnier d’une idéologie. Il faut entendre le truculent Vincent, torse nu dans ses rangs de vigne, le couteau à la main, s’emporter contre ces biodynamistes qui ont une activité de négoce parallèle pour amortir les effets de leurs pratiques sur la survie économique de leurs domaines : « Ce ne sont qu’escroqueries intellectuelles ! »
GŽrer la prŽcocitŽ
Les vignes sont plantées à 8 000 pieds par hectare, avec une taille traditionnelle, un courson et une baguette assez courte. On laisse trois yeux sur cette baguette, deux sur le courson. Relevages, rognage, les branches sont écartées au maximum pour bien aérer le cep, un objectif primordial, l’ébourgeonnage est pratiqué très tôt en deux passages. On peut pratiquer une vendange en vert si nécessaire, avec ablation des épaulements, un vrai travail de jardinier effectué par les huit à dix saisonniers formés à ce travail de minutie. L’objectif affirmé est de gérer la précocité, afin d’avoir des maturités qui surviennent avant la phase pluvieuse des équinoxes d’automne, qui peut anéantir tous les efforts d’une saison.
Les traitements obéissent au même principe de réalité, avec des produits pénétrant autour de la fleur, puis du cuivre et du soufre. On vendange donc assez tôt, avec trente vendangeurs qui vont trier le raisin dès la vigne. La vendange est transportée en cave dans des bennes de trois tonnes, on ne veut pas de cagettes : « On perd les jus les plus aromatiques », explique Juliette. Fort heureusement les maturités sont assez homogènes entre les parcelles,
« Nous parlons d’évolution plutôt que de révolution »