La Revue du Vin de France

La carte était presque parfaite

- DENIS SAVEROT Directeur de la rédaction

Au restaurant, l’un des plaisirs du connaisseu­r consiste à repérer, dès le premier coup d’oeil, la carte des vins originale. Par une présentati­on singulière, par le choix des vins bien sûr, avec des références que l’on sent personnell­es, l’alternance de domaines connus et de découverte­s, la mention particuliè­re portée à un vigneron admiré. Par les prix enfin, qui doivent être variés et réserver des surprises, bonnes de préférence.

Cette émotion, je l’ai ressentie au Comptoir du Relais, la brasserie-restaurant d’Yves Camdeborde, près de l’Odéon à Paris. Ayant eu la chance d’y trouver une place à l’improviste (c’est plus facile au mois d’août), j’attaquais ma lecture par les vins de dessert, 20 références judicieuse­ment proposées en début de carte pour mettre en avant les liquoreux : Magali Tissot et Ludovic Bonnelle à Buzet (60 euros), Château d’Yquem 1999 (390 euros), Chemin des Aspes 2012 du domaine Ribiera (46 euros) et puis cette mention :

« Jurançon 1979 Clos Joliette, Mme Maurice Migné » . Ce « Mme » pour marquer le respect porté à cette vigneronne en particulie­r, ce « Maurice » totalement démodé parce qu’il fait référence à son mari mais qui restitue si bien l’époque. Pas de doute, ces prémices annonçaien­t la carte particuliè­re.

Plus qu’une carte, c’est un livre d’heures du vignoble, version séculière. Étirée en hauteur, elle ne compte que 14 pages au demi-format et près de 350 références. Le tempo y est insolite. On trouve d’abord « Nos Pétillants » avec un panaché de champagnes et de “méthode ancestrale” (Roederer, Selosse, Agrapart côtoient le romorantin effervesce­nt de Philippe Tessier à Cheverny). Puis viennent « Les Avants » au verre avec des perles savoureuse­s, vins cuits de Provence, pineau des Charentes, bugey cerdon d’Élie RenardatFa­che ou absinthe. Suivent « Les Après » , florilège également en début de carte : cerises à l’eau-de-vie semi-confites de Pontarlier de Pierre Guy, calvados du Pays d’Auge Léon Desfrièche­s, manzana verde… Puis « Nos Vins en

Carafe » , qui claquent comme un étendard au vent : un rouge de Nicolas Reau (24 euros le litre), un rosé de Ray-Jane, un blanc du domaine Bourdin.

Au moment de choisir les vins pour le coeur du repas, c’est le pot-pourri des prix qui attise la soif, de 19 euros (le Tracteur Blanc 2014 de Finot Frères ou la Buvette de la cave de Castelmaur­e) à 640 euros (hermitage 2012, JeanLouis Chave). Il est devenu rare de trouver dans un restaurant de qualité une bouteille de vin à moins de 20 euros. L’entrelacs des grands et des cadets fascine : La Grange des Pères 2012 (240 euros) et le Meli Melo du domaine de Roquemale (26 euros) en Languedoc ou, parmi les magnums, le morey-saintdenis Les Loups 2004 (Domaine des Lambrays, 330 euros) et le cahors Clos Siguier 2011, sur table à… 33 euros.

Les conviction­s sont affichées, c’est mieux ainsi : une majorité de vins biologique­s ou biodynamiq­ues, des niveaux de sulfites faibles. 33 références en Languedoc et Roussillon, 34 en Bourgogne et seulement 10 bordeaux, des vins d’artisan pour la plupart. La carte n’accueille que deux crus classés : Troplong Mondot et Smith Haut Lafitte.

La maîtrise de la complexe toponymie des vins couronne cette petite merveille. J’ai souvent ri en voyant François Mauss, l’érudit familier des grandes tables, s’amuser à attraper le sommelier : « Je vous parie une bouteille que je

trouve au moins deux fautes dans votre carte » . Et en moins d’une minute, le facétieux en avait déjà trouvé trois. Eh bien celle du Comptoir résiste assez longtemps à l’examen. Hormis quelques approximat­ions (section bulles) et fautes d’accent, la carte était presque parfaite. Et si poétique.

« PLUS QU’UNE CARTE, C’EST UN LIVRE D’HEURES DU VIGNOBLE, EN VERSION SÉCULIÈRE »

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