Le spleen de la bouteille vide
Grâce à une superbe rétrospective de ses oeuvres, le marché des enchères enregistre un engouement pour les oeuvres sombres du peintre français disparu il y a près de vingt ans.
Paris, 1948, le docteur Maurice Girardin, grand collectionneur, découvre à la Galerie DrouantDavid les premières oeuvres de Bernard Buffet. Il se rend à l’atelier de l’artiste où, pour 5 000 anciens francs (un peu moins de 500 €), il achète trois tableaux, dont le célèbre portrait du Buveur. Suite à une longue tractation avec les ayants droit, ladite toile figure aujourd’hui au catalogue des collections du Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris, où se tient jusqu’au 26 février une rétrospective exceptionnelle de l’oeuvre de Buffet. L’occasion unique d’y admirer la diversité picturale de l’artiste. Conséquence de l’événement : la cote du peintre grimpe sur le marché de l’art.
Un style, une signature
Dans les années 50, le Tout-Paris découvre les toiles de Bernard Buffet. Ses créations intriguent. Son mal-être en fait un être à part, si troublé par la vie mondaine qu’il s’exile dans une ferme sur les hauteurs du village de Reillanne, dans les Alpes-de-Haute-Provence. Là, il consomme quantités de vins et d’eaux-de-vie.
Après des années de galère, Buffet commence à vivre de son art. Il s’oppose aux peintres abstraits très en vogue à l’époque avec un art figuratif qui fait l’effet d’un buzz avant l’heure. Son style, c’est sa signature. Aisément reconnaissable, avec des figures et compositions allongées, de longs traits noirs, secs.
Son Buveur en est un parfait exemple. On y perçoit la force gestuelle du peintre et la fragilité de l’homme face à sa bouteille vide. En vérité, c’est un autoportrait. Bernard Buffet fut en effet dépendant à l’alcool une grande partie de sa vie. Une addiction décrite par son épouse Annabel dans son livre D’Amour
et d’eau fraîche (1986). Malgré cela, ce travailleur acharné produit quelque 8 000 oeuvres, dont de nombreux personnages avec bouteille, des centaines d’huiles
sur toile avec grappes de raisins, carafes et verres renversés ou rougis par le vin.
Le regain d’intérêt actuel du marché de l’art pour les créations de Bernard Buffet a été initié il y a une dizaine d’années. En 2007, sous le marteau de maître Binoche, à Paris, une petite Nature morte à la coupe, grappe de raisin
et poire, toile légèrement accidentée, datée de 1949, estimée 8 000 €, se vend 15 500 €. Et l’huile sur toile de 1954 intitulée Vanité, représentant deux verres et une bouteille à côté d’une tête de mort sur fond rouge, estimée 40 000 €, part à 120 000 € en 2012 chez Artprecium, à Paris.
Pour les portefeuilles plus modestes, il reste la possibilité d’acquérir des lithographies signées sur papier vélin. Celle intitulée Le Pain et le
vin (1964) était récemment accessible à 1 695 € à la Galerie 125 d’Olgy-Argancy. Plus simple encore, les milliers de posters émis d’après ses oeuvres que l’on trouve dans les vide-greniers. Buffet fut en effet l’un des premiers artistes français à diffuser son art via les circuits de la consommation de masse, ce qu’une partie de la critique ne lui pardonna jamais. Rétrospective de l’oeuvre de Bernard Buffet au Musée d’Art Moderne de Paris jusqu’au 26 février 2017.
BERNARD BUFFET FUT DÉPENDANT À L’ALCOOL UNE GRANDE PARTIE DE SA VIE.