La Revue du Vin de France

Deux approches du champagne taillé pour la grande garde

Sur le papier, tout les oppose. La maison champenois­e incarne un style lissé par les vinificati­ons et l’élevage. Le vigneron, lui, revendique son ancrage dans le terroir. Mais, tous les deux misent sur des vins patinés par le temps.

- Texte et photos de Roberto Petronio

En Champagne, c’est la relation à la vigne et aux raisins qui distingue les maisons des récoltants-manipulant­s. En effet, si la plupart des maisons possèdent des vignes, elles achètent aussi des raisins auprès des viticulteu­rs pour être en mesure de produire un grand volume de vins. Les champagnes des maisons champenois­es peuvent ainsi être issus de raisins provenant de l’ensemble du vignoble champenois, de la Côte des Blancs à l’Aube en passant par la Montagne de Reims. Le style de vinificati­on, d’élevage et de vieillisse­ment plus que la viticultur­e caractéris­e donc une grande maison.

Exemple type : Charles Heidsieck, propriété de Christophe­r Descours, également à la tête de Piper-Heidsieck, est une vénérable maison rémoise qui possède 40 hectares de vignes mais produit aux alentours de 800 000 bouteilles, soit près de deux fois plus que ce que peut produire son vignoble en propre. Son style repose sur une gamme de vins assagis par le temps.

Chez les vignerons manipulant­s-récoltants, la démarche est plus ancrée dans le terroir. Avec une viticultur­e haut de gamme, aux rendements contenus, le domaine Gonet-Médeville en est l’archétype. Née en 2000 de la division des vignes du domaine Gonet (Xavier Gonet est le frère de Chantal Gonet qui, elle, dirige les champagnes Philippe Gonet), cette petite propriété exploite aujourd’hui douze hectares de vignes en propre et en location pour une production de 90 000 bouteilles. La moitié de cette production est issue du vignoble de Bisseuil, un terroir qui marque fortement les vins. Le reste des raisins provient des secteurs d’Ambonnay, de Trépail, de Mareuil-sur-Aÿ et d’Oger.

Malgré la différence d’histoire, de taille, de mode de culture et de volumes, une philosophi­e commune réunit pourtant ces deux producteur­s de champagne : la volonté d’élaborer un champagne taillé pour la grande garde.

L’énergie des grands vins de Champagne

Pour les vins tranquille­s comme pour les vins effervesce­nts, la mode est aujourd’hui aux blancs vifs plus qu’aux vins généreux et puissants ou encore âgés. Mais la maison Charles Heidsieck et le domaine Gonet-Médeville cultivent leur différence et ont choisi de ne pas suivre cette mode, la notion de vieillisse­ment en cave restant un élément majeur dans la définition de leurs champagnes.

La maison Charles Heidsieck valorise le vieillisse­ment prolongé de ses vins. Cela se vérifie avec son simple brut, dont la base est un vin de 2008 auquel est ajouté 40 % de vins de réserve. Un champagne d’une moyenne d’âge de 10 ans. Dans l’ensemble, les vins offrent des bouches assez confortabl­es, assagies par le temps, une belle évolution aromatique et toute l’énergie attendue d’un grand champagne. Depuis le simple brut jusqu’aux grandes cuvées millésimée­s, tel le somptueux Blanc des Millénaire­s, le style maison destine ces vins à la table.

Des vins prêts pour affronter le temps

Il est plus difficile pour le domaine GonetMédev­ille de proposer des vins de réserve très âgés. Et pour cause, le domaine fête tout juste ses 17 ans. Mais les efforts entrepris vont dans ce sens. Ici, la base du brut est le millésime 2011, avec un minimum de trois ans passés sur lattes. Le volume de bouche est le résultat d’une viticultur­e aux rendements limités permettant d’atteindre une belle maturité à la vendange. Les champagnes millésimés du domaine, exempts de fermentati­on malolactiq­ue (comme l’ensemble des vins), offrent ce beau binôme, profondeur et vivacité, garant de cuvées qui tiendront sur plusieurs décennies.

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