DOMAINE D’AUPILHAC Le plus frais des carignans du Languedoc
À une trentaine de kilomètres au nord de Montpellier, Sylvain et Désirée Fadat élaborent des cuvées généreuses et solaires typiques de la région, mais aussi des vins fins et racés comme Les Cocalières, plus proches du style bourguignon.
Si les gènes vignerons de Sylvain Fadat remontent à plusieurs générations, c’est en 1989 qu’il s’installe à Montpeyroux, sur les deux hectares de vignes du patrimoine familial que son père, ornithologue réputé, entretenait pour approvisionner la coopérative. Du côté de sa mère, deux hectares de vignes à Aniane, la cuvée Les Plôs de Baumes entretient sa mémoire. Après des études en viti-oeno, Sylvain débute sa carrière comme vendeur d’engrais organiques, en Côtes du Rhône et Bourgogne. Puis il s’installe comme polyculteur, avec une production de melons, asperges et tomates, en attendant de basculer en 1992 sur une activité viticole intégrale. Au début, l’aventure est plutôt acrobatique. Il conduit sa première vinification dans des citernes de camion, dehors, à l’air libre, avec sa première vendange de carignan. Une cave couverte et du matériel viennent à point nommé pour accueillir les vendanges qui ne cessent de grossir au fur et à mesure des achats et plantations. En 1997, une cave enterrée est édifiée pour abriter les élevages. En 1998, Sylvain se lance dans l’aventure des Cocalières.
Un carignan méprisé
Mais il n’est pas tout de faire du vin, il faut le vendre. Avec son pur carignan, Sylvain démarche les cavistes parisiens qui ne manquent pas d’a priori sur ce cépage méprisé, l’image de la “bibine” du Midi a la peau dure. Les Anglo-Saxons sont plus ouverts, c’est le début du succès. Est-ce en souvenir des rebuffades que ce vigneron obstiné devient le chantre du carignan ? Autrefois dominant en Languedoc, ce cépage exigeant a été bousculé par la syrah rhodanienne, pourtant souvent “grillée” sous le soleil d’Oc. Sylvain le considère, avec le mourvèdre, comme le cépage traditionnel à maturation tardive, à condition de le tailler court, de le laisser mûrir, de lui laisser atteindre les 13°, de le vinifier en traditionnel. Le tout à partir de vieilles vignes. Son acidité naturelle équilibre alors sa générosité et ses tanins, autrement acerbes et rustiques, parviennent à se policer.
Deux entités à forte personnalité
Aujourd’hui, le terroir de 25 hectares et un hectare de plantiers se partage en deux entités à forte personnalité, les deux faces d’une même pièce.
Le vignoble des débuts, aux abords du village de Montpeyroux, sur des sols calcaires issus d’éboulis du Jurassique, et des marnes bleues, issues d’un bord de mer du Hercynien, des sols de dépôts lacustres, riches en fossiles d’huîtres. Ce vignoble est installé sur de multiples terrasses orientées au sud, avec une altitude moyenne de 120 mètres. Le sous-sol marneux est un formidable réservoir hydrique, la vigne ne souffre jamais de la sécheresse, les vents qui descendent du Larzac entretiennent un microclimat favorable à la fraîcheur des équilibres. Sur ce secteur, ugni blanc, clairette, grenache blanc et rolle donnent naissance aux vins blancs ; mourvèdre, syrah, carignan, grenache et cinsault engendrent la cuvée Aupilhac en rouge, les vieux carignans sont l’objet d’une cuvée à la gloire du cépage et du vigneron.
Derrière la colline, au départ d’un canyon qui entaille le relief, le secteur des Cocalières se niche à 350 mètres d’altitude, assis sur un amphithéâtre qui regarde au nord, nord-ouest. Cette pente abrupte était autrefois au bord d’un lac de cratère volcanique (ou “maar”), les sols y sont
basaltiques et calcaires, très caillouteux. Guetté depuis longtemps par Sylvain Fadat alors que tout le monde lui déconseillait de s’installer dans ce secteur oublié, ce “maar” a été planté de vignes il y a bien longtemps, puis abandonné, acheté en n en 1998, une nouvelle aventure pour ce vigneron passionné.
Le sol est défriché, avec parfois des défonçages à la dynamite, les cailloux extraits du sol forment une moraine en bas de pente. En dessous, une ancienne vigne de remarquables vieux cinsaults entre dans les cuvées Le Mazet et Les Servières. Tout à côté, une bergerie pourvoit à la fourniture du compost, mélangé à du marc, un compost dynamisé selon les préceptes de Steiner.
L’altitude, l’exposition, la proximité du Mont Baudille (ancien récif corallien), la grande amplitude thermique jour/nuit expliquent le style frais de la cuvée Les Cocalières, à base de grenache et mourvèdre, carignan et syrah, complétés, pour le blanc, par roussanne, marsanne, rolle et grenache blanc. « À l’origine, j’ai planté les Cocalières pour équilibrer la générosité d’Aupilhac, mais après avoir dégusté le premier vin en 2001, les clients se sont enthousiasmés pour ce style original en Languedoc, j’ai donc créé cette nouvelle cuvée. Mais il y a La Boda pour réaliser la synthèse ! » , raconte Sylvain Fadat.
Rien que du naturel !
Certifiée bio et biodynamie, la viticulture est ici conforme aux exigences du genre, avec une bonne dose de bon sens. Les sols sont grattés sur 10 cm d’épaisseur, désherbés sous le rang avec des interceps, l’herbe est tondue, parfois au roto l. Les vignes sont conduites en gobelet traditionnel ou palmé, on évite de trop rogner pour ne pas favoriser la pousse de grapillons. La charge est régulée à la taille, mais on peut avoir recours à des vendanges vertes pour les jeunes vignes ; la maturité du mourvèdre ne pose aucun problème tant qu’on ne le charge pas avec plus de quatre grappes par pied, le carignan suit le même régime. Hélas, les vieilles vignes sont menacées d’esca, Sylvain Fadat complante les pieds manquants. Les traitements respectent les cahiers des charges, que du naturel, soufre et cuivre, préparations 500, etc.
Les vendanges sont manuelles, les raisins apportés à la cave dans des bennes de 1 000 kg et déversés dans un conquet. Les blancs sont pressés en raisins entiers (les cépages des Cocalières sont assemblés avant fermentation), ils sont vini és et élevés neuf mois dans des contenants
LA VITICULTURE SE PRÊTE AUX EXIGENCES DE LA BIODYNAMIE, AVEC UNE BONNE DOSE DE BON SENS.
divers, demi-muids, muids, foudres Stockinger, oeuf en béton. Ils font toujours leur fermentation malolactique.
Loin des cuvées de vanité
Pour les rouges, c’est ici que se prend la décision de l’égrappage. Tout dépend de la maturité des rafles et de l’équilibre du raisin. Par exemple, si 2012 et 2014 ont été entièrement éraflés, 2013 est issu de vendange entière ; entre les deux, certains cépages sont vinifiés en entier, d’autres pas. Les grains sont encuvés avec une girafe, le tri s’effectue au passage. La politique de vinification tient en un mot : équilibre. Les fermentations puis macérations ne dépassent pas 30° C – les cuves sont thermorégulées avec double paroi ou drapeau –, elles sont relativement courtes, quinze jours au maximum, avec remontages ou pigeages mesurés. « L’expression du terroir suffit à assurer
la garde sans avoir besoin de trop extraire » , précise-t-il. Effectivement, nous sommes loin des surextractions des cuvées de vanité qui ont longtemps fleuri en Languedoc. Bien entendu, tout se passe avec des levures indigènes, sans enzyme ou autre activateur. Les vins sont entonnés à chaud, en cépages séparés, la première presse est réintroduite, les autres sont élevées à part, assemblées si besoin. La gestion du SO est mesurée, avec un objectif de 20 mg 2 de libre à la mise. Les élevages varient avec les cuvées, barriques, demi-muids ou foudres, avec une cuve en béton ovoïde. Les vins sont mis en bouteilles sans filtration.
Le style des vins rouges
L’exposition sud d’Aupilhac (dominante carignan et mourvèdre, vingt mois en petits foudres et barriques anciennes) explique le caractère solaire de cette cuvée, équilibré par une belle fraîcheur issue du sous-sol. D’un style languedocien affirmé, sans les excès de bien des cuvées qui ont longtemps confondu profondeur et lourdeur, elle s’affine avec l’âge, avec une belle aptitude à la garde. Les millésimes 1998, 1996, 1994 développent de l’élégance aromatique, avec apparition de notes truffées, de jus de viande, sur des tanins gras et fondus, et si le 2000 rappelle la période des extractions exagérées, le 1991 est un superbe vin de mémoire, tout à la gloire du Languedoc.
La cuvée Le Clos provient des plus vieilles vignes du secteur, mourvèdre, syrah et carignan à parts égales ; elle est élevée deux ans en barriques, dont des neuves. Le 2009 est un vin profond, avec une trame veloutée, une expression aromatique complexe qui se prolonge, appuyée par de beaux tanins accomplis et élevés avec doigté.
Avec des syrahs développant une finesse très rhodanienne, des grenaches à 13 °, des mourvèdres à juste maturité, le secteur frais des Cocalières (quinze mois en foudres et barriques) induit un style très bourguignon, avec une palette sur le fruit frais, le végétal noble, des notes balsamiques, des tanins satinés, une longueur complexe portée par une nervosité minérale. Un vin fin et racé qui tire le meilleur des cépages sudistes, en leur conférant un tonus inhabituel, un style très élégant qui s’étoffe à la garde.
L’assemblage des meilleurs raisins des deux secteurs donnera La Boda (25 mois en barriques de 300 litres). Véritable synthèse des deux styles, c’est un vin harmonieux, plein et expressif, avec un remarquable équilibre entre matière et tension, générosité et nervosité. L’allonge est supérieure, la complexité au rendez-vous.
Quant à la cuvée Le Carignan, le 2013 est sur un fruité frais et sapide, avec une bouche aromatique aux tanins mûrs, à la nervosité tonique. Preuve que ce cépage peut engendrer des vins de garde, le 1996 dévoile des notes balsamiques, de cuir noble, une bouche expressive aux tanins encore jeunes, portés par une tension intacte.
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