La Revue du Vin de France

Sauvegarde­r ce vignoble, un incroyable défi collectif

Accroché au relief face à la mer, le vignoble de Banyuls et Collioure est l’un des plus beaux du monde. Et les vins qu’il engendre sont passionnan­ts. C’est pourtant un vignoble fragilisé… Par Sophie de Salettes

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Passion et courage. Deux qualités dont les vignerons ne peuvent se passer à Banyuls. Les pentes vertigineu­ses, la rudesse des sols de schistes, la chaleur sèche et écrasante de l’été, les pluies automnales torrentiel­les et la violence du vent sont autant d’éléments qu’il faut savoir dompter pour y produire du vin.

Rares sont les vignobles qui rendent ainsi hommage au travail de l’homme. Car pour cultiver la vigne dans cet environnem­ent extrême, on a façonné les montagnes en terrasses soutenues par des milliers de kilomètres de murs et parcourues par un réseau complexe d’évacuation des eaux de pluie (“peu de galls”).

Situé au bord de la Méditerran­ée, à l’extrême oriental de la chaîne des Pyrénées (Massif des Albères), le vignoble de Banyuls s’accroche au relief entre 0 et 400 mètres d’altitude.

Les sols issus de schistes du Cambrien, des roches très fissurées structurée­s verticalem­ent, permettent un bon drainage en cas de forte pluie et laissent les vignes plonger pour puiser l’eau dont elles ont besoin lors des étés très secs. Pour compenser le manque d’eau, elles profitent aussi de l’air marin qui induit une hygrométri­e élevée même en été.

La vigne doit aussi s’accommoder du vent. Si le grenache y résiste bien, la syrah et le mourvèdre le craignent, surtout au printemps lorsque les rameaux sont à

la fois longs et fragiles. La tramontane (nord-est), qui souffle 130 jours par an, est un vent violent et asséchant. Quant au vent marin (est/sud-est), il favorise les entrées d’air frais et humide qui modèrent la chaleur estivale. « Des zones telles que Mas Bentous sont très chaudes et précoces, mais la maturation est régulière grâce à l’influence marine. À l’intérieur des terres, la chaleur sans l’air de la mer peut mener à un blocage de maturation des raisins » , explique Laurent Dal Zovo (domaine Vial Magnères). Paysage découpé

La profondeur du relief induit une grande diversité de situations mésoclimat­iques. Les exposition­s qui évitent aux vignes d’être soumises au soleil brûlant de l’après-midi sont les plus intéressan­tes. Philippe Gard (Coume del Mas) privilégie ainsi les exposition­s au soleil levant : « J’ai planté des vignes dans des vallées ouvertes exposées à l’est qui me permettent de faire des vins secs aboutis car les maturités alcoolique et phénolique y

sont synchrones » . Les parcelles les plus fraîches (exposition, altitude, profondeur de sol) sont généraleme­nt réservées au vin sec (Collioure), tandis que les parcelles les plus chaudes et portant les plus vieilles vignes sont destinées au vin doux naturel (Banyuls). Mais la réalité est souvent plus compliquée. Les parcelles anciennes (plus de 50 %) sont complantée­s ( 2), les raisins sont donc ramassés en plusieurs fois selon le cépage et la destinatio­n des baies (vin blanc, vin rouge, vin doux naturel). Par ailleurs, selon le climat et l’évolution du raisin qui peut être très rapide, les vignerons peuvent décider au dernier moment de ramasser leur grenache pour faire un vin sec ou de le laisser surmûrir (mais pas flétrir…) pour faire du vin doux naturel.

« Nos banyuls viennent de nos vieilles vignes de Mas Janési, une zone chaude exposée au sud/sud-ouest, aux sols peu profonds, précise Thierry Parcé (domaine de la Rectorie). Nos vins secs viennent de secteurs plus tempérés comme Cosprons, une zone maritime qui monte en altitude. Ou les Abeilles, des parcelles exposées au nord/nord-est avec des sols plus profonds

et une pluviométr­ie plus importante qu’en bord de mer. » Parcelles fraîches

Philippe Gard aime souligner ces différents visages de l’appellatio­n dans ses

vins : « Nos vins rouges peuvent venir de parcelles de bord de mer dont les sols pauvres apportent de l’amertume ou de parcelles moins solaires qui donnent des vins plus équilibrés. Le grenache gris exprime clairement les nuances des différents terroirs dans les vins blancs. On peut par exemple obtenir des blancs avec une certaine structure tannique. Ou des blancs frais grâce à l’air marin du bord de mer » . La fraîcheur des vins secs est un enjeu important car la chaleur et le vent du sud font grimper les degrés potentiels et chuter l’acidité. En outre, un degré élevé ne

veut pas dire que le raisin est mûr… « Il n’est pas toujours facile de faire un vin sec, indique Vincent Cantié (domaine La Tour vieille). Nous avons tous tendance à vendanger plus tôt pour préserver les acidités, mais ce n’est pas toujours souhaitabl­e car, en août, les nuits sont chaudes. En fin de maturation, l’équilibre aromatique et phénolique est plus intéressan­t lorsque les nuits sont fraîches et les matins humides. Il vaut donc mieux récolter mi-septembre, à la juste maturité phénolique… »

D’où l’importance de privilégie­r les parcelles fraîches pour la production des vins secs. C’est avec cet objectif que Michel Chapoutier s’investit dans le

vignoble de Banyuls. « Son premier coup

de coeur viticole après l’Hermitage, souligne Christelle Acosta, directrice tech

nique des vignobles M.Chapoutier. Il s’agit de sélectionn­er des parcelles fraîches en altitude ou près de la mer et d’y replanter du grenache gris pour tenter d’obtenir dans un vin blanc sec la minéralité que l’on peut attendre de ce terroir. Pour les rouges, nous faisons aussi un gros travail de sélection des parcelles et du matériel végétal… »

Accès difficile

Les vins secs occupent toujours plus les vignerons au détriment des banyuls ( 3). En effet, malgré la qualité indéniable des vins doux naturels de Banyuls, la demande continue à chuter. Les prix ne s’en portent que plus mal. Et les coûts de production sont toujours plus élevés. Car si coloniser les pentes via la constructi­on de terrasses et de murs fut un immense travail, entretenir cette architectu­re et s’occuper de la vigne au quotidien dans un tel environnem­ent est une tâche très lourde et coûteuse.

Les parcelles traditionn­elles sont petites, très pentues (25 à 50 %), difficiles d’accès et donc non mécanisabl­es. Les parcelles plus récentes sont plus larges, mais la majorité d’entre elles ne permettent que le travail au treuil, au motoculteu­r ou au mulet.

ENTRETENIR CETTE ARCHITECTU­RE EST UNE TÂCHE LOURDE ET COÛTEUSE.

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Le grenache, majoritair­e, peut donner naissance à des vins secs comme à des vins doux naturels.
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 ??  ?? Les terrasses qui façonnent l’architectu­re du vignoble permettent de retenir la terre et l’eau.
Les terrasses qui façonnent l’architectu­re du vignoble permettent de retenir la terre et l’eau.

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