La Revue du Vin de France

L’inspiratio­n d’un maître

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Àquoi reconnaît-on un grand vigneron ? Souvent à son art d’associer savoir ancestral et sens de l’innovation. À 67 ans, avec son accent chantant, sa chemise rose et son pantalon vert d’eau, Éloi Dürrbach ressemble de plus en plus à Yves Montand, malgré ses origines lorraines. Mais en parcourant à ses côtés le domaine de Trévallon que ses parents avaient acheté en 1955, on reçoit, comme dans un livre de Giono, la foi d’un terrien visionnair­e. Voici quarante ans, il s’est mis en tête de produire du vin dans les Alpilles, sur des collines sans vigne. Et il a offert au monde le plus fameux des vins de Provence.

Que de batailles il a menées : contre l’Inao bien sûr, qui ne voulait pas entendre parler de son cabernet-sauvignon ; contre les chasseurs de SaintRémy-de-Provence et désormais – c’est peut-être la rançon de sa phobie cynégétiqu­e – contre les sangliers. L’an passé, les hardes lui ont croqué en

raisins l’équivalent de 15 000 bouteilles de vin. « Surtout des blancs et des syrahs, les sangliers aiment moins le cabernet… Ils ont aussi chassé trois compagnies de perdreaux et dévoré les lézards vert pâle d’un mètre qui logeaient là » , se désole-t-il en inspectant ses vignes. Comme tous les grands vignerons, Éloi Dürrbach s’est nourri de la rencontre des hommes : son père, le peintre René Dürrbach, et sa mère, Jacqueline de la Baume, fréquentai­ent Giono et furent les amis de Picasso, Robert Delaunay et Fernand Léger. Lui s’est lié à des vignerons, Gérard Chave et Jacques Reynaud, le très royaliste propriétai­re de Rayas, ou encore Anselme Selosse. Il évoque très souvent François Peyraud, du domaine Tempier, à Bandol ou encore le regretté Didier Dagueneau, mort en ULM il y aura neuf ans ce mois-ci.

Les vignes de Trévallon sont enchâssées dans la forêt de pins. C’est magnifique. En 1973, la pinède occupait tout l’espace. On inspecte chaque parcelle : le jas (bergerie en provençal), le gaudre (un ruisseau à sec en été) et enfin rayas. Rayas ? Comme le fameux châteauneu­f-du-pape ? « Oui, il y a quarante ans, Jacques Reynaud m’avait confié quelques greffons de ses propriétés, mais c’est une dénominati­on sentimenta­le, je ne sais pas si son neveu

Emmanuel est au courant… » , confie Éloi, un peu gêné. Il a aussi obtenu des greffons de grenaches centenaire­s chez Gérard Gauby. Chave, Reynaud, Selosse, Gauby, Dürrbach : l’échange est une loi sacrée entre grands vignerons, une marque de confiance.

Floriane, sa femme, fille de vignerons de Fleurie, a préparé des côtelettes d’agneau. En route pour la salle à manger, on croise Coline, la jeune nièce de Laurent Vaillé (La Grange des Pères), qui travailla à Trévallon dans sa jeunesse. Dürrbach est devenu le sage que tout le monde appelle, consulte. C’est ce que vient de faire le banquier et néo-vigneron Jean-François Hénin, qui s’est offert le château Gigognan et rêve déjà de nouvelles acquisitio­ns…

Entre deux expérience­s sur les porte-greffes et l’usage de pépins de raisins en lieu et place du soufre, le maître poursuit son chemin, façonnant son

« vin biblique » . Vendange entière, pas de levurage, pas de soufre lors de la vinificati­on des rouges (il n’ajoute qu’un peu de soufre en fût après décuvage). Est-il fier de son oeuvre, Éloi Dürrbach ? « Il y a parfois de la lassitude, reconnaît-il, mais il y a aussi de l’espoir. » Si son fils s’est éloigné et travaille pour des Italiens dans les Alpilles, sa fille Ostiane, 33 ans, a repris des études viti-oeno à Marseille pour s’engager à ses côtés. « Elle vinifiera cette année,

tout se met en place » , sourit Éloi. 

« L’ÉCHANGE EST UNE LOI SACRÉE ENTRE GRANDS VIGNERONS, UNE MARQUE DE CONFIANCE. »

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DENIS SAVEROT directeur de la rédaction

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