EXPERTISE DU TERROIR
Au-delà de la formule “chardonnay sur Kimméridgien” qui caractérise le terroir de Chablis, explorer les crus du Chablisien est un voyage passionnant.
Les crus de Chablis révèlent de superbes expressions du chardonnay
Nous sommes en Bourgogne, mais le vignoble de Chablis occupe une place à part… Isolé à 130 km au nord-ouest de Dijon, il constitue une sorte d’avantposte septentrional de la Bourgogne.
À Chablis, le climat océanique aux influences continentales engendre des précipitations modérées et régulières ( 1), des températures fraîches (2) et un fort risque de gelées hivernales et printanières. Un risque tristement célèbre, associé aux images nocturnes des Grands crus illuminés par les bougies destinées à réchauffer l’air ambiant ou aux vignes prises dans les glaces à l’aube, alors que l’aspersion d’eau a créé sur chaque bourgeon un cocon de glace protecteur.
Le vignoble chablisien (3) est implanté sur les reliefs bordant la rivière Serein (orientée nord-ouest/sud-est) et les nombreuses petites vallées transversales. Au fil du temps, les cours d’eau ont tailladé la Côte des Bar, une entité géologique constituée de formations calcaires et marneuses du Jurassique (lire l’encadré sur les sols ci-contre), à l’origine d’une série de collines et vallons.
Les versants marneux de ces collines, couverts d’éboulis calcaires, portent la majorité des vignes du Chablisien, 100 % chardonnay.
La topographie complexe de l’aire et ses variations mésoclimatiques et
pédologiques importantes engendrent une grande diversité de climats à l’origine d’une palette de vins passionnante à parcourir.
Ainsi, l’épaisseur du manteau d’éboulis couvrant les marnes influe sur le caractère des climats. « Elle est très faible sur les plateaux comme Roncières (Vaillons) ou sur les très fortes pentes (Blanchot), explique Guillaume Morvan, responsable viticulture oenologie à la Chambre
d’agriculture de l’Yonne. Sur les pentes plus douces (Les Clos), le sous-sol de marnes est littéralement nappé de colluvions calcaires. Dans chaque cas de figure, la vigne se comporte différemment et les expressions du chardonnay varient. »
Les propriétés du sol sont déterminantes dans le classement des crus de Chablis. Mais le relief via la pente, l’altitude et l’exposition au vent et au soleil est également essentiel, car il conditionne la maturation du raisin.
LES SEPT GRANDS CRUS BÉNÉFICIENT D’UNE SITUATION TRÈS FAVORABLE.
Zoom sur les Grands crus
Les sept Grands crus de Chablis bénéficient d’une situation particulièrement favorable : ils correspondent à un coteau pentu de marnes du Kimméridgien situé entre 130 et 215 m, sur la rive droite du Serein, majoritairement exposé au sudouest et protégé des vents froids du nord. Cet environnement “chaud” au sein de ce vignoble septentrional permet aux raisins d’atteindre une maturité particulièrement aboutie. Les Grands crus de Chablis, taillés pour la garde, allient majestueusement concentration et minéralité.
Dans le détail, la topographie chahutée du coteau des Grands crus le découpe en petits versants dont les expositions varient, ainsi que l’épaisseur du sol et la circulation de l’air et de l’eau.
Le Grand cru Vaudésir et ses expositions multiples illustrent bien cette complexité du terroir, tout en affirmant son entité de cru. « La vallée de Vaudésir
étant très étroite, elle emprisonne l’air chaud de telle sorte que les versants offrent des conditions de maturation très proches quelle que soit leur exposition, explique
Guillaume Morvan. L’homogénéité de l’environnement chaud prend le pas sur la variabilité des expositions. »
Dans les Preuses, le terroir révèle aussi ses multiples facettes. Pour Didier Seguier, directeur du domaine William Fèvre, elles
riment avec « équilibre » . « La minéralité y est particulièrement marquée dans la pente car le sol est très peu profond, précise-t-il. Sur le plateau, il y a plus de terre et les vins sont plus généreux. Ces deux visages donnent un assemblage très équilibré du Grand cru qui illustre la force des vins de Chablis : le mariage de la tension et de la richesse, de la douceur et de la droiture. »
De même, dans Blanchot, Jean-Marie Raveneau met en valeur la complémentarité des terroirs du cru, travaillant une parcelle en haut de côte et une autre située plus bas dans la pente. Il souligne ainsi l’ampleur et le charnu du Grand cru qui s’équilibre avec une belle énergie.
Une mosaïque de Premiers crus
Les 17 Premiers crus implantés sur les mêmes marnes du Kimméridgien encadrent les Grands crus sur la rive droite du Serein et leur font face sur la rive gauche.
De l’autre côté des Grands crus, le Premier cru Montée de Tonnerre affiche un visage minéral. « Les parcelles sont
tardives car exposées aux courants d’air froid. Les vins sont marqués par leur fraîcheur et leur équilibre » , précise Didier Seguier (domaine William Fèvre). « Au sein du cru, les climats Côte de Bréchain et Pieds d’Aloue, riches en marnes ocres et blanches, sont ceux qui confèrent le
plus de minéralité au vin, estime Benoît Droin (domaine Jean-Paul & Benoît Droin). Plus bas, le climat Chapelot participe plus au volume du vin et moins à sa minéralité. »
Sur la rive gauche, les Premiers crus correspondent à des coteaux plus isolés, le plus souvent exposés à l’est (Vau Ligneau, Vau de Vey…) et au sud-est (Vaillons, Montmains…). Les vallons se succèdent en dessinant une alternance de versants exposés au sud-est (AOC Chablis Premier cru : Montmains, Vaillons, Côte de Léchet…) et au nord, nord-ouest (AOC Chablis).
Le Premier cru Vaillons est composé de huit climats. Et, selon certains vignerons, ils méritent parfois d’exprimer leur personnalité. Ainsi, si Olivier Bailly aime assembler les différents caractères des Vaillons pour rechercher l’équilibre du cru, Vincent Dauvissat préfère laisser s’exprimer certains lieux-dits. « Dans Sécher, on trouve 30 cm de terre, puis la dalle calcaire. Le vin affiche toujours un caractère cristallin et une grande droiture,
LES 17 PREMIERS CRUS SONT IMPLANTÉS SUR LES MÊMES MARNES DU KIMMÉRIDGIEN.
LE SECTEUR CLASSÉ EN AOC PETIT CHABLIS EST PLUS TARDIF, CAR PLUS PLAN ET VENTÉ.
explique ce dernier. J’aime son tempérament, j’ai envie qu’il existe en tant que
Sécher. » Par ailleurs, les autres vignes de ses Vaillons, plantées sur un sol plus profond, donnent naissance à un vin différent, à la fois puissant et suave.
Quand il s’agit d’expliquer les spécificités des Premiers crus de Chablis, Guillaume Morvan souligne l’importance de l’alimentation hydrique des
vignes liée au sol et à la pente. « Les couches du sous-sol s’inclinent vers Paris suivant une direction sud-est/nord-ouest. L’eau glisse en sous-sol sur les marnes suivant cette direction. Ainsi, dans les Premiers crus, les excès d’eau s’écoulent vers l’autre côté de la vallée et arrivent sur le versant opposé, classé en Chablis. Les parcelles de Chablis reçoivent une partie de l’eau qui tombe sur les Premiers crus » , explique l’agronome.
Au-delà des crus
Les vignes classées en AOC Chablis sont majoritairement plantées sur les marnes du Kimméridgien des coteaux exposés au nord et à l’est, ainsi que sur celles des plateaux. Autant de caractères dont les vignerons se saisissent pour donner naissance à leurs vins. Comme Olivier Bailly (domaine Billaud-Simon) : « Notre
chablis Tête d’Or est l’assemblage de plusieurs de nos parcelles classées en village. Le vin issu de la parcelle située sous Chapelot constitue le squelette de l’assemblage. Puis, selon le millésime, le vin de secteurs plus froids peut apporter de la fraîcheur à l’as
semblage. Comme en 2015… » . Pour ce qui concerne l’AOC Petit Chablis, l’essentiel des vignes se trouve sur des sols de haut de côte et de plateau (230 à 280 m) issus de calcaire du Portlandien et localement de marnes du Kimméridgien (Chichée). Il s’agit de secteurs plus tardifs, car plus plans et ventés. Dans le nord-ouest du vignoble, on trouve aussi des vignes sur des versants argileux du crétacé. Ces situations variées donnent naissance à des vins tantôt fruités et gourmands (Lignorelles), tantôt iodés et minéraux (parcelles situées au-dessus des Grands crus).
Ainsi, du Petit Chablis au Chablis Grand cru, le Chablisien offre une hiérarchie de vins et une palette d’expressions du chardonnay qui illustre la mise en valeur de son terroir. (1) Précipitations annuelles moyennes : 650 à 750 mm. (2) Température moyenne annuelle : 10,8° C. (3) Quatre AOC : Petit Chablis, Chablis, Chablis Premier cru, Chablis Grand cru.