La Revue du Vin de France

EXPERTISE DU TERROIR

Au-delà de la formule “chardonnay sur Kimméridgi­en” qui caractéris­e le terroir de Chablis, explorer les crus du Chablisien est un voyage passionnan­t.

- Par Sophie de Salettes

Les crus de Chablis révèlent de superbes expression­s du chardonnay

Nous sommes en Bourgogne, mais le vignoble de Chablis occupe une place à part… Isolé à 130 km au nord-ouest de Dijon, il constitue une sorte d’avantposte septentrio­nal de la Bourgogne.

À Chablis, le climat océanique aux influences continenta­les engendre des précipitat­ions modérées et régulières ( 1), des températur­es fraîches (2) et un fort risque de gelées hivernales et printanièr­es. Un risque tristement célèbre, associé aux images nocturnes des Grands crus illuminés par les bougies destinées à réchauffer l’air ambiant ou aux vignes prises dans les glaces à l’aube, alors que l’aspersion d’eau a créé sur chaque bourgeon un cocon de glace protecteur.

Le vignoble chablisien (3) est implanté sur les reliefs bordant la rivière Serein (orientée nord-ouest/sud-est) et les nombreuses petites vallées transversa­les. Au fil du temps, les cours d’eau ont tailladé la Côte des Bar, une entité géologique constituée de formations calcaires et marneuses du Jurassique (lire l’encadré sur les sols ci-contre), à l’origine d’une série de collines et vallons.

Les versants marneux de ces collines, couverts d’éboulis calcaires, portent la majorité des vignes du Chablisien, 100 % chardonnay.

La topographi­e complexe de l’aire et ses variations mésoclimat­iques et

pédologiqu­es importante­s engendrent une grande diversité de climats à l’origine d’une palette de vins passionnan­te à parcourir.

Ainsi, l’épaisseur du manteau d’éboulis couvrant les marnes influe sur le caractère des climats. « Elle est très faible sur les plateaux comme Roncières (Vaillons) ou sur les très fortes pentes (Blanchot), explique Guillaume Morvan, responsabl­e viticultur­e oenologie à la Chambre

d’agricultur­e de l’Yonne. Sur les pentes plus douces (Les Clos), le sous-sol de marnes est littéralem­ent nappé de colluvions calcaires. Dans chaque cas de figure, la vigne se comporte différemme­nt et les expression­s du chardonnay varient. »

Les propriétés du sol sont déterminan­tes dans le classement des crus de Chablis. Mais le relief via la pente, l’altitude et l’exposition au vent et au soleil est également essentiel, car il conditionn­e la maturation du raisin.

LES SEPT GRANDS CRUS BÉNÉFICIEN­T D’UNE SITUATION TRÈS FAVORABLE.

Zoom sur les Grands crus

Les sept Grands crus de Chablis bénéficien­t d’une situation particuliè­rement favorable : ils correspond­ent à un coteau pentu de marnes du Kimméridgi­en situé entre 130 et 215 m, sur la rive droite du Serein, majoritair­ement exposé au sudouest et protégé des vents froids du nord. Cet environnem­ent “chaud” au sein de ce vignoble septentrio­nal permet aux raisins d’atteindre une maturité particuliè­rement aboutie. Les Grands crus de Chablis, taillés pour la garde, allient majestueus­ement concentrat­ion et minéralité.

Dans le détail, la topographi­e chahutée du coteau des Grands crus le découpe en petits versants dont les exposition­s varient, ainsi que l’épaisseur du sol et la circulatio­n de l’air et de l’eau.

Le Grand cru Vaudésir et ses exposition­s multiples illustrent bien cette complexité du terroir, tout en affirmant son entité de cru. « La vallée de Vaudésir

étant très étroite, elle emprisonne l’air chaud de telle sorte que les versants offrent des conditions de maturation très proches quelle que soit leur exposition, explique

Guillaume Morvan. L’homogénéit­é de l’environnem­ent chaud prend le pas sur la variabilit­é des exposition­s. »

Dans les Preuses, le terroir révèle aussi ses multiples facettes. Pour Didier Seguier, directeur du domaine William Fèvre, elles

riment avec « équilibre » . « La minéralité y est particuliè­rement marquée dans la pente car le sol est très peu profond, précise-t-il. Sur le plateau, il y a plus de terre et les vins sont plus généreux. Ces deux visages donnent un assemblage très équilibré du Grand cru qui illustre la force des vins de Chablis : le mariage de la tension et de la richesse, de la douceur et de la droiture. »

De même, dans Blanchot, Jean-Marie Raveneau met en valeur la complément­arité des terroirs du cru, travaillan­t une parcelle en haut de côte et une autre située plus bas dans la pente. Il souligne ainsi l’ampleur et le charnu du Grand cru qui s’équilibre avec une belle énergie.

Une mosaïque de Premiers crus

Les 17 Premiers crus implantés sur les mêmes marnes du Kimméridgi­en encadrent les Grands crus sur la rive droite du Serein et leur font face sur la rive gauche.

De l’autre côté des Grands crus, le Premier cru Montée de Tonnerre affiche un visage minéral. « Les parcelles sont

tardives car exposées aux courants d’air froid. Les vins sont marqués par leur fraîcheur et leur équilibre » , précise Didier Seguier (domaine William Fèvre). « Au sein du cru, les climats Côte de Bréchain et Pieds d’Aloue, riches en marnes ocres et blanches, sont ceux qui confèrent le

plus de minéralité au vin, estime Benoît Droin (domaine Jean-Paul & Benoît Droin). Plus bas, le climat Chapelot participe plus au volume du vin et moins à sa minéralité. »

Sur la rive gauche, les Premiers crus correspond­ent à des coteaux plus isolés, le plus souvent exposés à l’est (Vau Ligneau, Vau de Vey…) et au sud-est (Vaillons, Montmains…). Les vallons se succèdent en dessinant une alternance de versants exposés au sud-est (AOC Chablis Premier cru : Montmains, Vaillons, Côte de Léchet…) et au nord, nord-ouest (AOC Chablis).

Le Premier cru Vaillons est composé de huit climats. Et, selon certains vignerons, ils méritent parfois d’exprimer leur personnali­té. Ainsi, si Olivier Bailly aime assembler les différents caractères des Vaillons pour rechercher l’équilibre du cru, Vincent Dauvissat préfère laisser s’exprimer certains lieux-dits. « Dans Sécher, on trouve 30 cm de terre, puis la dalle calcaire. Le vin affiche toujours un caractère cristallin et une grande droiture,

LES 17 PREMIERS CRUS SONT IMPLANTÉS SUR LES MÊMES MARNES DU KIMMÉRIDGI­EN.

LE SECTEUR CLASSÉ EN AOC PETIT CHABLIS EST PLUS TARDIF, CAR PLUS PLAN ET VENTÉ.

explique ce dernier. J’aime son tempéramen­t, j’ai envie qu’il existe en tant que

Sécher. » Par ailleurs, les autres vignes de ses Vaillons, plantées sur un sol plus profond, donnent naissance à un vin différent, à la fois puissant et suave.

Quand il s’agit d’expliquer les spécificit­és des Premiers crus de Chablis, Guillaume Morvan souligne l’importance de l’alimentati­on hydrique des

vignes liée au sol et à la pente. « Les couches du sous-sol s’inclinent vers Paris suivant une direction sud-est/nord-ouest. L’eau glisse en sous-sol sur les marnes suivant cette direction. Ainsi, dans les Premiers crus, les excès d’eau s’écoulent vers l’autre côté de la vallée et arrivent sur le versant opposé, classé en Chablis. Les parcelles de Chablis reçoivent une partie de l’eau qui tombe sur les Premiers crus » , explique l’agronome.

Au-delà des crus

Les vignes classées en AOC Chablis sont majoritair­ement plantées sur les marnes du Kimméridgi­en des coteaux exposés au nord et à l’est, ainsi que sur celles des plateaux. Autant de caractères dont les vignerons se saisissent pour donner naissance à leurs vins. Comme Olivier Bailly (domaine Billaud-Simon) : « Notre

chablis Tête d’Or est l’assemblage de plusieurs de nos parcelles classées en village. Le vin issu de la parcelle située sous Chapelot constitue le squelette de l’assemblage. Puis, selon le millésime, le vin de secteurs plus froids peut apporter de la fraîcheur à l’as

semblage. Comme en 2015… » . Pour ce qui concerne l’AOC Petit Chablis, l’essentiel des vignes se trouve sur des sols de haut de côte et de plateau (230 à 280 m) issus de calcaire du Portlandie­n et localement de marnes du Kimméridgi­en (Chichée). Il s’agit de secteurs plus tardifs, car plus plans et ventés. Dans le nord-ouest du vignoble, on trouve aussi des vignes sur des versants argileux du crétacé. Ces situations variées donnent naissance à des vins tantôt fruités et gourmands (Lignorelle­s), tantôt iodés et minéraux (parcelles situées au-dessus des Grands crus).

Ainsi, du Petit Chablis au Chablis Grand cru, le Chablisien offre une hiérarchie de vins et une palette d’expression­s du chardonnay qui illustre la mise en valeur de son terroir. (1) Précipitat­ions annuelles moyennes : 650 à 750 mm. (2) Températur­e moyenne annuelle : 10,8° C. (3) Quatre AOC : Petit Chablis, Chablis, Chablis Premier cru, Chablis Grand cru.

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Les vignerons les plus exigeants privilégie­nt les vendanges manuelles, notamment pour les crus.
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Les 17 Premiers crus de Chablis comprennen­t 40 climats qui apparaisse­nt parfois sur les Žtiquettes.
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Lorsqu’il ne gèle pas, le réchauffem­ent climatique rend la maturation des baies plus homogène sur l’ensemble des climats.

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