La Revue du Vin de France

Nuits-Saint-Georges, ce chef-d’oeuvre bourguigno­n

Au-delà du plaisir que procure l’exploratio­n de cet emblématiq­ue vignoble bourguigno­n parfois sous-estimé, ces vins issus de l’élégant millésime 2014 vous convaincro­nt de l’exceptionn­el potentiel de Nuits-Saint-Georges.

- Dégustatio­n et photos de Roberto Petronio

C’est l’une des étrangetés de la Bourgogne qui font le régal des connaisseu­rs : Nu it s - S ai nt - G e orge s , très injustemen­t, ne jouit pas de la cote d’amour que connaissen­t les autres villages, tels Gevrey-Chambertin, Vosne-Romanée ou Chambolle-Musigny. Pourtant, ce village a donné son nom à la célèbre Côte de Nuits. Et les vins qu’on y produit sont exceptionn­els. Que s’est-il passé ?

Pour commencer, les vins de Nuits-SaintGeorg­es se sont au fil des ans forgé une réputation de bourgognes rigides, voire austères et surtout sans cette amabilité du fruit que l’on aime tant dans les vins de la Côte de Nuits. Des vins de garde qu’il faut attendre patiemment. Une situation qui ne correspond pas à l’impatience frénétique du consommate­ur qui aime boire les bourgognes de plus en plus jeunes.

Un héritage cabossé

L’histoire a aussi légué un héritage cabossé à cette appellatio­n. Nuits-Saint-Georges possède, en bas de l’échelle, des villages avec ou sans nom de lieu-dit. Viennent ensuite 38 climats classés en Premier cru (43 si l’on compte les sous-divisions), mais aucun Grand cru. Une anomalie, alors que, de l’avis général, le Premier cru Les Saint-Georges a tous les attributs d’un Grand cru.

Cet “oubli” doit beaucoup à la modestie d’un homme, Henri Gouges. Célèbre producteur de Nuits-Saint-Georges et président des appellatio­ns d’origine en 1936, il possédait une belle parcelle dans Les Saints-Georges. Pour ne pas être soupçonné de s’être lui-même favorisé, cet homme intègre aurait délibéréme­nt renoncé à demander le classement au sommet de la hiérarchie de ce cru splendide…

Ce n’est pas, à nos yeux, la seule anomalie. Près de 80 ans plus tard, nous considéron­s que les crus Les Vaucrains et le Clos de l’Arlot méritent eux aussi, et amplement, le rang de Grand cru, cette dégustatio­n en témoigne.

Aujourd’hui, bon nombre de vignerons espèrent le classement des Saints-Georges en Grand cru. Une démarche est officielle­ment engagée, mais la simple présentati­on du dossier auprès de l’Inao est si compliquée que Thibault Liger-Belair, producteur talentueux de la Côte-d’Or et fervent militant de la cause, parle de parcours kafkaïen.

Précisons encore que l’appellatio­n Nuits-Saint-Georges aurait pu englober une partie du vignoble de la commune de Comblanchi­en. Il suffit d’observer les vignes qui jouxtent le Clos de la Maréchale pour s’en convaincre : de l’autre côté du mur, les vignes classées en simple Côte de Nuits ne se distinguen­t en rien des vignes de Jacques-Frédéric Mugnier. Dommage qu’en 1936, le village de Comblanchi­en ait privilégié, dit-on, la production du cassis au classement d’une partie de ses vignes en NuitsSaint-Georges. Ainsi va l’histoire…

Un archétype viril

La découverte de ce vignoble, à elle seule, est un enchanteme­nt. En quittant Beaune en direction de Dijon, le long de la route nationale 74, sitôt dépassé les carrières de pierre du village de Comblanchi­en, le vignoble de NuitsSaint-Georges est à portée de vue. À cheval sur deux communes, il débute au sud à Prémeaux-Prissey par le célèbre Clos de la Maréchale, se prolonge sur la commune de Nuits-Saint-Georges pour se terminer au nord, aux confins du vignoble de Vosne-Romanée.

Ce vignoble en coteaux, long de 20 km, entaillé par une combe, est traversé en son milieu par le Meuzin. Si les Premiers crus et les villages sont répartis des deux côtés du Meuzin, ce petit cours d’eau établit une distinctio­n essentiell­e dans le profil des vins. Les vignes au nord de la rivière touchent Vosne-Romanée. À l’image de la superbe Richemone de Perrot-Minot, les vins y sont généraleme­nt plus accessible­s jeunes car très soyeux, sans pour autant avoir le velouté de texture des vosne-romanée voisins.

Les nuits-saint-georges du sud s’étalent depuis la commune de Nuits-SaintGeorg­es jusqu’aux confins du vignoble de Comblanchi­en, là où débutent les Côte de Nuits-villages. Ils représente­nt à nos yeux l’archétype du vin de Nuits-Saint-Georges : puissant, viril, parfois à la limite de l’austérité. Ainsi, chez Jean-Jacques Confuron, Les Chaboeufs, au sud, se montre-t-il toujours plus musclé qu’Aux Boudots, au nord.

Toutefois, les choses évoluent. Bonne nouvelle pour les connaisseu­rs, la nouvelle génération de producteur­s a su redonner un brin de sourire à ces vins naturellem­ent virils. Les derniers millésimes en primeur que nous avons dégustés le prouvent. On perçoit de meilleures maturités des raisins dans les vins, probableme­nt plus de tris et des vinificati­ons avec plus de souplesse sans trahir l’esprit de longévité de l’appellatio­n. Pour s’en convaincre, il suffit de déguster les derniers millésimes du domaine Henri Gouges qui nous avait habitués à des vins impénétrab­les avant vingt ans de garde. Aujourd’hui, ses 2014 procurent déjà un énorme plaisir. Passés à la vendange entière, les frères Chopin produisent de sublimes nuits-saint-georges pleins, denses, mais merveilleu­x de soyeux dès lors qu’on les laisse respirer à l’air une bonne journée d’ouverture. De son côté, Axelle Machard de Gramont, qui produit essentiell­ement des nuits-saintgeorg­es, sait leur insuffler beaucoup de délicatess­e et d’élégance.

Un vieillisse­ment admirable

Du nord au sud, les vins de NuitsSaint-Georges présentent donc aujourd’hui un intérêt majeur, surtout si vous aimez les vins droits et solidement constitués. En réalisant cette dégustatio­n – à laquelle il manque le Premier cru Les Cailles, aucun échantillo­n de ce très joli climat typé sud ne nous étant parvenu –, il nous est encore apparu que comme souvent, le style des vignerons marque davantage le profil des vins que le seul terroir. Ainsi, nous avons goûté cinq bouteilles de Damodes, produites par cinq domaines : Lécheneaut, Chopin, Dominique Laurent, Faiveley, La Vougeraie. Aucun de ces flacons ne se ressemblai­t !

Ajoutons que tous ces vins vieillisse­nt admirablem­ent bien, à l’image de ce Premier cru Les Saint-Georges 1958 du domaine Gouges (petit millésime) dégusté lors d’un repas, tout en nuances, avec une magnifique complexité tant olfactive que gustative.

Soucieux de déguster des vins disponible­s à la vente, nous avions le choix entre 2015, millésime très riche et dominateur, et 2014, millésime typiquemen­t septentrio­nal et qui donne une bonne lecture des terroirs. Nous avons tranché en faveur de 2014, grand millésime à mettre en cave car il présente une très belle vivacité sans manquer de fond. S’il procure un réel plaisir en vin jeune, il grandira un demi-siècle. À tous, bonne dégustatio­n !

LES CONDITIONS DE LA DÉGUSTATIO­N

Les vins ont été dégustés fin juillet 2017 à la Maison des vignerons de Nuits-Saint-Georges par Roberto Petronio, Thibault Liger-Belair et Grégory Gouges. Ils sont présentés en quatre parties, tels qu’ils ont été dégustés.

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Curieuseme­nt, Nuits-Saint-Georges ne jouit pas de la notoriété d’autres appellatio­ns comme Gevrey-Chambertin, Vosne-Romanée et Chambolle-Musigny.
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LE VIGNOBLE DE NUITS-SAINT-GEORGES

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