Un sauvignon transfiguré
Ce grand sancerre né sur le terroir si particulier de Chavignol est un exemple pour les jeunes générations.
Pierre Citerne : On dit souvent du sauvignon qu’il n’est que variétal. Une injustice selon toi ?
François Breteau : À l’aveugle, j’ai pris mon premier sancerre de François Cotat pour un chablis, ce sauvignon m’est apparu comme un chardonnay ! Je me suis fait piéger plus d’une fois depuis, mais l’intérêt était né pour le terroir de Chavignol, si différent du reste de l’appellation Sancerre. Cette Grande Côte 2007 en est un bel exemple.
P. Ci : Je suis bien d’accord avec toi ! On est dans l’esprit Chavignol, même si, pour la petite histoire, La Grande Côte est située sur la commune d’Amigny…
F. B. : Encore pâle, tranchant, le vin affirme dès à présent un énorme caractère, avec une panoplie d’arômes très personnels : cire de bougie, miel… Son avenir paraît serein.
P. Ci : Il faut encore l’attendre. La tenue dans le temps de ces vins est formidable. Ni variétal, ni éphémère : à l’opposé de l’image du sancerre de comptoir bu dans l’année !
F. B. : C’est étonnant comme le cortège aromatique attendu du sauvignon, avec ses arômes de buis et de fruits exotiques, est ici gommé, ou plutôt magnifié par ce terroir.
P. Ci : Le sol est kimméridgien, comme à Chablis. Mais le terroir n’est pas tout, il y a aussi la façon de travailler, l’idée que le vigneron se fait de son vin. Pour produire un vin si tendu et plein à la fois, si apte à perdurer, il faut une vision.
F. B. : En tout cas, impossible de ne pas adorer les vins des meilleurs vignerons de Chavignol, quand on est, comme moi, amateur de chablis !
P. Ci : Pour moi, ce goût, cette émotion ont été incarnés par les trois mousquetaires de Chavignol : Edmond Vatan (Clos La Néore) et les frères Paul et Francis Cotat. Anne Vatan, François et Pascal Cotat ont repris le flambeau. J’ajouterais aujourd’hui à cette liste Gérard Boulay. Il s’agit là d’une famille stylistique. Ce sont des vins d’auteurs, de caractères différents, avec leurs mystères, leurs singularités et leurs aspérités. Puissent-ils inspirer les nouvelles générations !
F. B. : Nous avons les mêmes références… Outre le terroir, qu’est-ce qui permet à ces cuvées d’intégrer avec tant de régularité la sphère des plus grands blancs ?
P. Ci : J’ai bien une piste… Sans avoir aucune prévention idéologique contre le levurage, j’ai souvent relevé que seuls les sauvignons vinifiés avec les levures indigènes développent une réelle complexité, vectrice de cette émotion que nous évoquions. Les autres, aussi aboutis soient-ils, me semblent rester dans le registre technique, variétal.
F. B. : Peut-être faut-il associer un autre facteur : le matériel végétal. Lors de mon dernier passage chez Pascal Cotat, la cuvée Les Monts-Damnés semblait marquer davantage le terroir que La Grande Côte. Le vigneron assure que les vignes plus jeunes et ramassées plus tôt s’expriment plus vite.
P. Ci : Les Monts-Damnés, La Grande Côte, Les Culs de Beaujeu… Déjà, dans les noms des climats pointe le vivant : on sent ici la précieuse truculence d’une aristocratie paysanne qui palpite et c’est particulèrement enthousiasmant.
« LE SAUVIGNON, SOUVENT SI VARIÉTAL, EST ICI MAGNIFIÉ PAR CE TERROIR. »